Melt’hip-hop : des cultures au pluriel

Entretien de Carole Dieterich avec Vicelow et Baba

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Ousmane Sy, dit Baba, excelle dans la house dance et écume les scènes du monde entier avec son groupe, les Serial Stepperz. Pour un numéro spécial d’Afriscope, il rencontre le rappeur Vicelow, ancienne voix grave du Saïan Supa Crew. Ensemble, ils posent leur regard sur trente ans de hip-hop en France.

Si vous deviez définir le hip-hop en quelques mots, quels seraient-ils ?
Baba :
Cultures ! Le hip-hop est un arbre avec une multitude de branches, on parle de cultures au pluriel. C’est une musique qui rassemble, ce sont des vêtements qui rassemblent, etc.
Vicelow : Le hip-hop peut se définir comme un état d’esprit. Que l’on soit français, indonésien ou chinois, quand on appuie sur play, on hoche la tête de la même manière. Il est à la fois universel et personnel.
Quel est cet état d’esprit ? A-t-il évolué depuis vos débuts dans les années 1990 ?
Baba :
Les valeurs de peace, love, unity and having fun sont toujours présentes. Mais heureusement que le hip-hop a changé. Il a évolué avec son temps et est, en ce sens, un art contemporain. Le hip-hop n’est pas une culture figée.
Vicelow : Aujourd’hui, le hip-hop est partout. Il est entré dans les théâtres et dans les galeries. Quand j’avais 15 ans, je ne pensais pas que c’était possible de vivre du hip-hop. Mais aujourd’hui, les gamins se disent qu’ils veulent en faire leur métier.
Baba : Notre génération se doit d’inculquer ces valeurs aux plus jeunes. Si la première motivation reste la passion, les valeurs ne peuvent pas se perdre.
Quelle est l’importance du groupe dans le hip-hop ?
Vicelow :
Groupe n’est pas le mot. Pour moi, on peut parler d’une famille. Je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait sans les Saïan. Être dans un groupe te permet de tout surmonter.
Baba : Sans le groupe Wanted Posse, je ne serais pas Baba et il n’y aurait pas de Serial Stepperz. Travailler dans une compagnie, ce n’est pas la même chose. Si le projet ne fonctionne pas, on s’en va. Dans un groupe, on est là pour une passion commune, on partage les mêmes valeurs et on reste pour le meilleur comme pour le pire.
Quelles relations entretenez-vous avec les nouvelles et les anciennes générations ?
Baba 
: Il ne faut pas couper le cordon. C’est dans cet objectif que nous avons créé les Serial Stepperz qui comptent des danseurs de toutes les générations. On ne peut pas éduquer un jeune si on ne lui montre pas. Nous transmettons, non pas en dirigeant les jeunes mais en dansant avec eux. La culture consiste en un échange et les nouvelles générations ont beaucoup de choses à dire. Lorsque j’étais en Afrique du Sud, des enfants de 14 ans m’ont réappris la danse. Ils m’ont fait redécouvrir « l’instant ».
Vicelow : Dans le rap, nous n’avons pas forcément de liens directs avec nos mentors, on ne prend pas de cours. Mais quand on évolue dans un groupe, on s’influence mutuellement. Dans mes projets, j’essaye de mélanger les tranches d’âge. Je kiffe l’énergie et l’insouciance de la nouvelle génération. Ils en veulent.
Y a-t-il aujourd’hui une reconnaissance de la culture hip-hop ?
Vicelow
 : Le rap et la danse ne sont pas reconnus de la même manière. Le rap bénéficie de la force de frappe des radios et des télés. Quel que soit le genre, la musique, contrairement à la danse, nous accompagne partout.
Baba : En danse, les réseaux sont plus institutionnels. On demande aux acteurs du hip-hop de s’ouvrir, mais nombreuses sont les institutions qui ne font pas preuve d’ouverture d’esprit quant à ce que nous proposons. On va nous dire de penser à la lumière, à la dramaturgie, de travailler avec des circassiens, etc. J’ai la chance d’être soutenu par des lieux comme La Villette et des associations comme Moov’n aktion, qui me laissent carte blanche mais beaucoup de danseurs restent bloqués à la porte. Globalement, dans les réseaux underground, nous pouvons réellement nous exprimer.
Vicelow : En musique, les rappeurs deviennent rapidement des icônes ce qui leur donne une marge de manœuvre plus large.
Qu’en est-il de la reconnaissance médiatique ?
Baba
 : H.I.P. H.O.P. est l’émission qui a marqué la danse mais c’était en 1984…
Vicelow : Médiatiquement, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Au Japon et dans d’autres pays, il existe des émissions de hip-hop en prime time. En France, alors que nous sommes considérés comme la nation de la danse hip-hop dans le monde, cette discipline reste underground. La situation du rap est similaire, il n’est pas logé à la même enseigne que les autres genres musicaux.
Quels rôles peuvent jouer les événements comme Paris Hip-Hop ?
Vicelow :
Ces événements permettent de réunir les cinq disciplines du hip-hop et donnent l’opportunité aux artistes d’investir de belles salles parisiennes. Les festivals donnent aussi une visibilité dans des médias qui ne s’intéressent habituellement pas à notre travail.
Baba : L’importance des relais d’information est primordiale. En France, le hip-hop est souvent associé à la banlieue.
Cette assignation territoriale vous pose-t-elle un problème ?
Vicelow :
Je viens de banlieue cette étiquette ne me gêne pas. Le problème est que le hip-hop est toujours analysé à travers un prisme social. On nous parle rarement de notre processus de création et trop souvent des problèmes sociaux. Certes, le hip-hop aura été, pour certains, un facteur d’ascension sociale mais nous sommes avant tout des artistes.
Baba : J’ai moi aussi grandi en banlieue et les clichés associés au hip-hop me font sourire. Par exemple, notre style est l’objet de connotations négatives et est regardé comme étant un code vestimentaire « banlieue ». Pourtant, aujourd’hui beaucoup de danseurs sont issus de la bourgeoisie. Personnellement, je n’ai jamais galéré de ma vie. Parlez-nous de danse !
Quel est votre statut sur la scène internationale par rapport à la France ?
Vicelow :
Avec le Saïan, j’ai fait beaucoup de festivals à l’étranger mais les danseurs voyagent généralement davantage. En Russie par exemple, grâce à l’universalité de la danse, les danseurs connaissaient ma musique et chantaient avec nous… en français ! à l’étranger, on se retrouve parfois dans des workshops de plus de 200 personnes ! C’est extraordinaire, cette énergie nous fait tenir.
Baba : Personne n’a conscience de l’ampleur de nos réseaux. Partout dans le monde, on nous demande de juger des battles ou de donner des workshops. Le public parcourt des milliers de kilomètres pour voir de la danse debout et nous sommes capables de remplir des salles de 16 000 personnes. L’engouement pour le hip-hop est réel et les nouvelles générations ne cessent d’arriver…
Quel regard portez-vous sur les disciplines du hip-hop qui ne sont pas les vôtres ?
Vicelow :
Chaque discipline évolue dans son propre monde. Personnellement, je navigue entre la danse et le rap parce que je suis passionné de danse.
Baba : Auparavant, la danse et le rap étaient indissociables. Chaque rappeur avait ses danseurs et les sons étaient faits pour nous. À partir du moment où le rap a connu un succès commercial, où le BPM (battement par minute, ndlr) a ralenti, c’est comme si les danseurs avaient été mis à l’écart. Nous sommes donc devenus autonomes. Aujourd’hui, nous revenons aux côtés des rappeurs dans une perspective d’échange artistique. Nous ne sommes pas seulement là pour danser pour eux. Les éléments sont séparés mais on peut les rassembler.
Quels sont vos projets ?
Baba :
Cette année, nous fêterons les 20 ans des Wanted Posse. Avec les Serial Stepperz, nous jouerons Motherland. 2013 sera également marquée par les créations du mouvement afro house, une fusion entre des techniques ancestrales africaines et des techniques plus contemporaines. Il y aura notamment le groupe Paradox-sal, composé uniquement de danseuses. Ce mouvement est une façon de rassembler l’Afrique et l’Occident. D’autre part, en travaillant avec des DJ comme Boddhi sadva ou Zepherin, nous essayons de réunir à nouveau la musique et la danse. Nous organiserons aussi en juin prochain le premier stage d’afrohouse dance à Paris. Et en septembre, direction Marrakech pour le Boot Dance Camp, un stage intensif de danse.
Vicelow : Je viens de sortir une nouvelle version du site I love this dance, spécialisé sur la danse. Je travaille sur la 5e édition de la battle du même nom qui aura lieu au mois d’octobre. Avec Paris Hip-Hop, nous avons lancé le Beat Dance Contest qui aura lieu pendant la Quinzaine du hip-hop. Et mon prochain album solo devrait sortir fin 2014.
Auriez-vous un message à faire passer aux nouvelles générations ?
Baba :
Vas, vis, deviens, n’oublie pas d’où tu viens et rappelle-toi qui était là quand tu n’étais rien.
Vicelow : Je ne dirai pas mieux.

Vicelow en quelques dates :
– 1978 Naissance de Cédric Bélise alias Vicelow
– 1997 Création du Saïan Supa Crew
– 2007 Le Saïan Supa Crew se sépare
– 2009 Vicelow crée la battle « I love this dance »
– 2012 Le rappeur sort en solo l’album BT2 Collector.

Baba en quelques dates :
– 1977 Naissance d’Ousmane Sy, alias Baba ou Babson
– 1992 Commence la danse
– 1995 Intègre le groupe de hip-hop les Wanted Posse
– 2003 gagne pour la première fois le Juste Debout (qu’il remporte également en 2004, 2006 et 2012) et lance le concept d’afrohouse
– 2007 Cofonde les Serial Stepperz.

Vicelow et Baba au Paris Hip-Hop : 22 juin – Ouverture par les Wanted Posse
29 juin : Beat Dance Contest à la Gaîté Lyrique.

Cet article a également été publié dans le magazine Afriscope n° 31, mai-juin 2013///Article N° : 11609

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Ousmane Sy, alias Baba © WilliamK.





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