Le reflux de la Diaspora

Les communautés agoudas et tabons de l'Afrique occidentale

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Mes recherches concernent l’identité sociale des Agoudas, anciens esclaves et descendants d’anciens esclaves du Brésil repartis en Afrique. Ce sont également des descendants des anciens négriers brésiliens établis sur la côte dite « Côte des esclaves », les pays actuels appelés Bénin, Togo, Nigeria et Ghana. L’exposition intitulée Le reflux de la Diaspora – les communautés agoudas et tabons de l’Afrique occidentale a été présentée en 2009, dans un centre culturel de la ville de Rio de Janeiro appartenant à la mairie de Rio.

Le centre culturel de la ville de Rio de Janeiro est dédié à la culture afro-brésilienne mais bizarrement, il porte le nom d’un homme politique blanc, José Bonifacio, qui a lutté auprès du fils du roi du Portugal pour l’indépendance du Brésil. J’évoque ce détail parce qu’il me semble qu’il nous permet de mieux comprendre comment la culture afro-brésilienne est et a été toujours traitée au Brésil. Ce centre culturel est la seule structure publique au sein d’une municipalité à être totalement consacré à la culture afro-brésilienne alors que le Brésil a hérité d’une multiplicité de cultures du continent africain. Il existe un autre centre culturel à Salvador de Bahia, la maison du Bénin, qui est un lieu d’exposition de la culture africaine et afro-brésilienne, mais qui n’est pas un centre de référence comme celui de Rio.
Lors du recensement de 2010, 54 % des Brésiliens se sont déclarés « noirs » ou « métis ». C’est la première fois, dans l’histoire des recensements au Brésil que plus de la moitié des Brésiliens affirment cette appartenance. Ce pourcentage correspond à environ 100 millions de personnes, alors que le Brésil compte aujourd’hui 190 millions de personnes. Il s’agit de la plus grande concentration de Noirs hors de l’Afrique et de la deuxième population noire en nombre après le Nigeria. Ces dernières années, le gouvernement brésilien a soutenu plusieurs initiatives en ce qui concerne la culture afro-brésilienne. Il existe par exemple un système de quotas à l’université qui détermine un certain nombre de places pour les étudiants qui se déclarent afro-descendants. Par ailleurs, des lois assez sévères contre le racisme ont été créées :
au Brésil, celui qui est accusé et surpris en flagrant délit de racisme n’a pas droit au sursis, alors que dans le cas d’une agression ou d’un meurtre, on peut envisager cette mesure. Toutefois, si cette loi existe, c’est que le racisme existe malgré le mythe de la multiracialité et du métissage brésiliens. L’enseignement de l’histoire de l’Afrique et de l’histoire de la culture afro-brésilienne est, depuis le gouvernement Lula, une matière obligatoire dans l’enseignement. En dehors du continent africain où chaque pays privilégie actuellement l’enseignement de l’histoire locale et régionale ou encore continentale, je ne connais pas de pays, à part le Brésil, où l’enseignement de l’histoire d’Afrique ou des cultures de racines africaines, y compris les cultes, soit obligatoire. Cela veut dire qu’au sein des nouvelles générations, tous les Brésiliens vont apprendre à connaître leurs origines africaines. Au niveau du gouvernement, outre la Fondation Palmares qui dépend du ministère de la Culture, un secrétariat a été créé pour la promotion de la politique de l’égalité raciale et est rattaché directement à la présidence de la République.
Les territoires qui ont appartenu traditionnellement aux Quilombos (les communautés des esclaves en fuite), sont maintenant devenus,pour une partie d’entre eux, la propriété officielle des communautés « marrons » brésiliennes. Depuis une dizaine d’années, le gouvernement brésilien et différentes associations ont procédé au recensement de ces quilombos. Il existe actuellement 743 Quilombos identifiés au Brésil correspondant à un territoire de 30 millions d’hectares et une population de deux millions d’habitants.Le but de l’exposition Le reflux de la diaspora, les communautés agoudas et tabons de l’Afrique occidentale est de proposer un débat surla question de l’esclavage à partir de notre propre histoire. C’est une exposition conçue et construite de manière simple et directe. Les images sont des impressions numériques sur papier photographique collées surdes plaques de PVC. C’est une exposition didactique faite pour circuler dans les écoles de la municipalité de Rio. Mettre en valeur le retourdes anciens esclaves permet aussi, dans le cadre de cette exposition,de découvrir un peu de l’Afrique actuelle. Au Brésil, l’Afrique est toujours perçue comme un espace mythique et l’esclavage comme unequestion du passé. Il important de faire évoluer cette vision, en situantcette problématique dans le présent pour mieux la comprendre.
Cette exposition a été élaborée à partir de mes recherches sur les Agoudas et sur la communauté tabon du Ghana. J’ai pu l’enrichir également avec les suggestions de ma collègue Mariza de Carvalho Soares, du laboratoire « Histoire orale et Image » de l’Université fédérale de Rio, auquel je suis rattaché. Le retour des anciens esclaves affranchis du Brésil vers la côte occidentale du Togo, du Nigeria, surtout du Bénin, a connu une certaine croissance après la révolte des esclaves à Bahia en 1835. Le gouvernement a procédé à une déportation d’esclaves révoltés vers cette région qui est alors devenue une promesse d’un retour prospère pour beaucoup d’entre eux.
La traite négrière a ensuite connu ses dernières années lucratives puis a commencé à décliner entre 1835 à 1850. À cette date la traite a été finalement abolie. Ceci a permis aux anciens esclaves qui avaient acquis au Brésil une certaine connaissance et une maîtrise du fonctionnement de l’économie de saisir l’occasion du retour comme une opportunité économique. Ils ont eu un rôle à jouer dans cette phase cruciale de l’économie du Bénin, leur pays de retour. Une fois arrivés, ils furent bien accueillis par le royaume qui voyait en eux un moyen de s’insérer dans une nouvelle dynamique économique régionale et internationale mais ils continuaient d’être perçus comme des esclaves. Ces esclaves affranchis ont alors recréé une nouvelle identité sociale basée sur, ce que je nomme, le « bricolage de la mémoire du temps vécu » au Brésil. Ils ont utilisé le temps vécu au Brésil pour revendiquer leur identité brésilienne. Être Brésilien signifiait qu’ils avaient une nouvelle origine, qu’ils étaient nés au Brésil, parlaient portugais et qu’ils étaient catholiques ou bien musulmans. Rappelons que tous les esclaves subissaient le baptême catholique en embarquant sur le bateau négrier.
Partageant cette même origine, langue et religion, ils se sont insérés dans la communauté des anciens négriers installés au Bénin depuis de XVIIe siècle pour revendiquer leur identité brésilienne. Dans la dynamique des relations sociales complexes, les trafiquants d’esclaves et les anciens esclaves se sont unis dans une même communauté d’appartenance culturelle et identitaire guidés également par divers intérêts économiques dans un contexte où ils allaient jouer chacun un rôle économique important. L’exposition est composée de 23 panneaux. Le premier panneau résume ma présentation. Le deuxième panneau présente un état des lieux du commerce d’esclaves qui a touché environ dix millions d’Africains, le Brésil a reçu de 30 à 40 % de cette population. Le panneau suivant présente la copie d’un papier officiel de déclaration d’émancipation des Africains et les démarches à suivre pour conquérir la liberté.
Sur un autre panneau, on peut lire des informations portant sur la situation démographique de la population africaine dans l’ensemble de la population brésilienne, en 1850. La ville de Rio de Janeiro comptait 264 000 habitants dont 110 000 esclaves. 41 % de la population était donc esclave. C’était, à l’époque, la plus grande concentration d’esclaves des Amériques, outre les Africains et leurs fils nés au Brésil et les esclaves affranchis. Totalisant l’ensemble de cette population noire, on parvient autour de 70 % de la population de la ville de Rio de Janeiro.
Un autre panneau traite du travail et de la résistance des Africains au Brésil au XIXe siècle. Le thème de l’esclavage et de la résistance et la lutte pour la liberté représentent les aspects d’un même sujet.
La lutte pour la liberté des esclaves a commencé au moment où les premiers captifs ont été envoyés en Amérique. Il est nécessaire d’insister sur cette question de la résistance pour que les esclaves ne soient pas toujours perçus à peine comme des victimes du système de l’esclavage mais également comme des acteurs à part entière qui ont pu grâce aux divers mouvements de résistance menés se battre pour leur propre destin.
On peut observer les différentes occupations des esclaves à cette époque grâce à des gravures et des aquarelles reproduites. On peut voir le travail dans les mines, l’esclave domestique, et les esclaves qui travaillaient en ville pour leurs maîtres. La reconquête de la liberté est ensuite illustrée, à travers les différentes méthodes pour l’obtenir : lettre d’affranchissement au moment de la mort du maître, diverses possibilités d’acheter sa liberté à travers le soutien d’associations religieuses et professionnelles, création de quilombos. L’exemple le plus célèbre est le Quilombo de Zumbi dos Palmarès détruit en 1630 et symbole majeur de la résistance africaine au Brésil. Le grand chef de guerre Zumbi est représenté par une statue située sur une des plus grandes avenues de la ville. En accompagnant ainsi les panneaux, on est conduit à se familiariser avec l’épisode historique des Agoudas : on voit un exemple d’architecture afro-brésilienne, très présente dans le sud du Bénin notamment à Porto-Novo, au Togo et au Nigeria. Un portrait du président togolais Sylvanus Olympio, exécuté au début de son mandat, nous permet de faire référence au rôle que les Agoudas ont joué dans la politique et la formation des États modernes dans la région. La fête de Bomfim est une manifestation très proche du carnaval brésilien. Enfin, nous pouvons connaître le visage du Chacha, vice-roi de Ouidah et frère de sang du roi du Dahomey, ou de Ghézo, le plus grand trafiquant d’esclaves que l’histoire a connu dans cette région d’Afrique.
Les derniers panneaux sont dédiés à la communauté tabon d’Accra (Ghana), qui sont des anciens esclaves qui ont quitté le Brésil pour s’établir d’abord au Nigeria avant de se déplacer au Ghana. Ne comprenant pas la langue parlée dans la région où ils débarquèrent, ils disaient constamment « Ta bom, Ta bom, Ta bom », c’est-à-dire « c’est bien » en portugais et cette expression a fini par devenir le nom de leur communauté. À côté des photos historiques, sur lesquelles on peut voir, au début du siècle, les Tabons portant un haut-de-forme et un costume, sont présentés des portraits des personnalités tabons qui jouent, de nos jours, un rôle important au Ghana. C’est le cas de Madame la présidente de la haute Cour de Justice, la troisième autorité du gouvernement du Ghana, et de Azumah Nelson, le plus grand boxeur africain du XXe siècle. On peut aussi voir la Brazil House, un centre culturel brésilien appartenant à la communauté Tabon où se trouvent les bureaux de leur roi, le Mantse Nii Azumah V. Ce centre culturel se situe sur la Brazil Lane. L’ensemble de ces éléments est emblématique de la présence brésilienne dans cette ville si importante dans l’histoire de la traite négrière atlantique.

///Article N° : 11539

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