FSM 2013 – Étape 4 : Un cap historique vers la liberté de circulation

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À l’initiative de Coordination internationale des sans-papiers, une caravane d’une dizaine de [sans-papiers] se rend au Forum social de Tunis en passant par la France, la Belgique et l’Italie. Deux journalistes d’Africultures les accompagnent dans leur périple à travers l’Europe pour atteindre les côtes tunisiennes puis revenir en France.

Partie pour le Forum social mondial de Tunis afin de porter la parole des migrants en situation irrégulière, la caravane des sans-papiers a été refoulée à Tunis le dimanche 24 mars. Repartis le jour même pour Gênes, les quatorze sans-papiers à son bord risquaient l’expulsion dans leur pays d’origine. Finalement, ils s’en sortent avec un ordre de quitter le territoire italien et sont rentrés à Paris le mercredi 27 mars 2013.
Lundi 25 mars, sur le pont Copacabana du bateau La Suprema, il est à peine 8 heures du matin et Nawal, militante d’une vingtaine d’années, s’active déjà derrière l’écran de son ordinateur portable. Le communiqué de presse est rédigé, il ne reste plus qu’à l’envoyer aux journalistes et à tous les réseaux susceptibles d’apporter leur soutien à la caravane qui se dirige désormais vers l’Europe. L’objectif est d’éviter le pire : le placement en centre de rétention des quatorze sans-papiers à bord et leur renvoi dans leur pays d’origine. La cafétéria du bateau se transforme rapidement en QG de la Coalition internationale des sans-papiers et des migrants (CISPM), organisation à l’origine de cette caravane. Chacun y apporte de son carnet de contacts, passe des coups fil et discute des dénouements possibles. Les militants tentent de contacter un avocat spécialiste du droit des étrangers en Italie afin de savoir quelle serait la meilleure attitude à adopter. Que faire des passeports des sans-papiers ? Vaut-il mieux les cacher ou jouer la transparence comme cela a été le cas dès le départ ? Leurs questions resteront sans réponses, la couverture du réseau en pleine mer rendant les contacts avec l’extérieur difficile. La situation d’un des sans-papiers, Wahid, préoccupe particulièrement les militants. Tunisien, rien ne justifiait son refoulement, ce qui augmente les risques d’expulsion.
La révolution pacifique
Après de longs débats où chacun expose son point de vue, une décision est actée. Si la police le réclame, tout le monde présentera son passeport, Wahid y compris. C’était là tout le sens de cette action : défendre la liberté de circulation en franchissant des frontières avec des sans-papiers, en toute transparence. Mais la tension monte au fur et à mesure que le bateau se dirige inexorablement vers Gênes… où personne ne sait à quoi s’attendre. Lorsque le capitaine, furieux d’avoir dû nous laisser monter à bord avec des sans-papiers, nous apprend que la police viendra nous accueillir à l’arrivé, la tension monte d’un cran.
Les figures du mouvement donnent des conseils aux plus jeunes. « Il faudra rester calme, c’est notre force. Aujourd’hui si on veut faire la révolution, il faut le faire pacifiquement, ce n’est plus comme en mai 1968 », tonne Anzoumane Sissoko, porte-parole de la CSP 75. Une heure avant que le bateau n’accoste, il nous est demandé de nous rendre dans le hall Chevalier afin d’attendre l’arrivée des autorités. La pièce ronde, carrelée de marbre du sol au plafond contraste avec les gilets jaune fluo. Le groupe se prépare au pire mais chacun s’efforce de sourire. En rangs d’oignons, tous les militants en profitent pour immortaliser ce moment. « La pire des situations serait que vous soyez renvoyés dans votre pays d’origine. Dans ce cas, nous prendrons l’avion depuis Gênes et nous irons à Tunis au Forum social mondial et nous ferons tout pour que vous puissiez revenir », assure Anzoumane Sissoko.
Une décision qui viendrait directement de Rome
Quelques minutes avant que le bateau n’accoste, une rumeur inespérée se répand au sein du groupe. Une délégation de soutien de la caravane aurait été reçue au consulat d’Italie à Tunis, une autre au consulat d’Italie à Paris, et l’ensemble du groupe devrait pouvoir repartir avec une simple convocation au commissariat. Certains explosent de joie, d’autres préfèrent ne pas se réjouir trop tôt. Vers 18 heures, la police monte à bord. Anzoumane Sissoko, Diallo et Françoise Carrasse disparaissent pour discuter avec les officiers. Le bateau se vide et bientôt nous sommes les seuls passagers à bord.
Une demi-heure plus tard, une nouvelle information tombe. Les sans-papiers devraient obtenir un laissez-passer leur permettant de rentrer en France sans encombre. Nouvelle explosion de joie. Même le capitaine du bateau avec lequel les relations avaient été des plus tendues depuis la veille, se détend. « La prochaine fois que vous décidez d’entrer dans un bateau illégalement, s’il vous plaît, choisissez un autre bateau que le mien », plaisante-t-il volontiers.
Petit bémol. Avant de pouvoir repartir, les sans-papiers doivent se rendre au poste pour que leurs empreintes soient relevées. Par solidarité, tout le monde les suit, citoyens européens compris. Après les rebondissements du jour et ceux de la veille, personne n’ose plus crier victoire. Sur la route qui mène du bateau au commissariat, un officier de police marche à nos côtés et nous fait part de sa confusion. « Je ne comprends pas. Que s’est-il passé hier en Tunisie ? », nous lance-t-il. Et de poursuivre : « Vous étiez pourtant tous en règle sur le territoire tunisien ? » Selon lui, parce que l’Italie a tamponné les passeports des sans-papiers lors de leur départ à Gênes, elle ne peut pas les expulser. L’agent nous confie que l’ordre proviendrait directement du ministère de l’Intérieur italien.
Une nuit au commissariat de Gênes
Arrivée au commissariat vers 19 heures. La méfiance se dissipe rapidement. Les policiers nous font tous entrer dans un bureau trop petit où les caravaniers s’entassent avec leurs affaires. Un des agents passe un coup de fil et nous annonce dans un français chantant : « On va manger du pain et fromage ». Près de 40 minutes plus tard, des policiers arrivent avec des sacs de sandwich au fromage sous le bras et des cagettes de pommes et d’oranges, sous les applaudissements de l’audience affamée. « En Italie, manger c’est important », dit-il sur le pas de la porte.
La procédure est lente et pour faire passer le temps, certains militants se mettent à jouer des saynètes, imitant les mimiques de chacun. Les policiers aussi se prennent au jeu et l’un d’entre eux en profite pour nous montrer ses meilleurs tours de passe-passe aux cartes. Et de nous apporter un arc et des flèches qu’il offre au groupe. « Seulement pour un usage pacifique », avertit-il. Les rires fusent et personne ne revient de l’accueil qui nous est réservé. « Maintenant, vous savez que la police italienne est très bizarre », conclut ce bonhomme aux cheveux poivre et sel.
Lorsque vers 2 heures du matin, la procédure n’est pas encore validée par le commissariat central, nos hôtes nous ramènent des couvertures. Les bagages sont déplacés et entreposés dans le couloir, les chaises empilées sur le côté de la pièce pour que nous puissions nous allonger sur le carrelage. Les documents certifiés, les autorités nous laisseront dormir jusqu’à 6 heures du matin. Au final, les quatorze sans-papiers font l’objet d’un ordre de quitter le territoire italien sous les sept jours et peuvent rentrer à Paris.
Les grands absents du Forum social mondial
Une fois encore, les sans-papiers seront les grands absents du Forum social mondial. Mais ils n’en resteront pas là. Une délégation se rendra mercredi 27 mars à Tunis. « Nous sommes tous d’accord sur la liberté de circulation mais quand les sans-papiers s’y mettent, il n’y a plus personne. Les organisateurs du FSM doivent se mettre d’accord pour que tous les citoyens, quelle que soit leur nationalité, puissent assister à ce forum », martèle Anzoumane Sissoko.
La caravane peut néanmoins se féliciter d’avoir franchi un cap historique vers la liberté de circulation en faisant traverser la Méditerranée, aller-retour, à des sans-papiers en toute transparence avec les autorités. Une action militante qui n’était pas sans risque et qui rappelle que la limite entre le courage et le gouffre est fine. « Mais on ne peut pas attendre des garanties pour que les choses changent », répondrait l’infatigable Anzoumane Sissoko.

Retrouver tout le périple dans [le zoom] consacré à la caravane des sans-papiers.///Article N° : 11422

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Les images de l'article
Dans le hall du bateau, les militants discutent avec les autorités italiennes © Anaïs Pachabézian
FSM 2013 : dans l'attente de la police italienne, depuis l'intérieur du bateau © Anaïs Pachabézian





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