Femme de combat/Combat de femme 7 : La colère de Lady B

Print Friendly, PDF & Email

Elle a ouvert la voie aux rappeuses du Cameroun. Lady B a aussi été une des premières à évoquer les maltraitances subies par les femmes dans son pays.

On taxe souvent Lady B de « Diam’s camerounaise ». Une étiquette assez artificielle, sûrement imputable au flow brut et hardcore de la rappeuse de Yaoundé. Son style incisif et écorché aux entournures contraste avec la personnalité de cette jeune femme de vingt-huit ans. Plutôt réservée et timide en société, la voix douce, la taille de guêpe et le charmant minois, elle ne colle décidément pas au gros cliché de la rappeuse « virile » voire du « bonhomme ». Même si elle confesse à demi-mot avoir été dans son jeune âge un peu « garçon manqué », avec un « esprit de mec ». Cette attitude frondeuse lui a permis de se frayer un chemin dans un univers dans lequel les filles sont souvent cantonnées à chanter du RN’B ou à faire tapisserie dans les clips. « À chaque fois que j’ai fait partie de groupes j’ai toujours été la seule fille. Ça fait partie de moi. Je me donne les moyens. J’ai toujours su m’imposer ».

« La vérité vient du bas peuple »
Mireille Rosine Obounou a grandi à Yaoundé dans une famille Béti-Fang. Son père, médecin et guitariste à ses heures perdues, est originaire d’Ebolowa au sud, et sa mère du centre, de la région de Yaoundé. La petite Mireille côtoie les quartiers populaires de la ville : Kondengui, Etam Bafia, Mvog Ada. Bien vite, elle se déhanche au rythme du Bikutsi endiablé qui sort des enceintes des maquis et prend conscience des réalités sociales. « J’ai vécu avec des gens humbles, se souvient-elle. Le bas peuple vit dans les quartiers. C’est le bas peuple qui connaît la vérité. Ça fait que j’ai autant de choses à dire aujourd’hui. » Un jour, à quatorze ans, la chance passe sous la forme du chanteur Lead de Zangalewa : Jean-Paul Zé Bella(1). Il l’a fait débuter comme danseuse dans le groupe et repère ses dispositions vocales : « C’est un peu mon mentor dans la musique. Il m’a dit que j’avais une jolie voix, que je ferais une bonne carrière comme choriste ou chanteuse. » L’aventure Zangalewa durera trois ans.
La révélation « Coca-Cola »
En 1996, Mireille met un pied dans l’univers du Hip-hop, en intégrant Dirane Possy, plus tard intitulé Today Na Today. À l’époque où elle débute, les femmes sont très peu représentées dans le petit milieu du rap camerounais. Une fois n’est pas coutume, c’est la seule femme du collectif. Mais elle se dit que c’est possible en écoutant, subjuguée, la puissance vocale qui émane des « grandes sœurs » américaines comme Queen Latifah et Lauryn Hill. L’ironie veut qu’une multinationale de ce pays scelle définitivement son entrée dans le game. En 2002, elle est révélée par le concours Coca-Cola dream. « On était nombreux au départ. Sept personnes ont été retenues à la fin. J’étais la seule fille. Ça a abouti à une compilation. » Entre-temps, influencée par la Française Lady Laistee, Mireille a trouvé son « blase » : Lady B est née.
« Ma colère »
Très vite elle devient la première rappeuse, chanteuse, slameuse du pays, respectée pour son écriture, son style et son éclectisme. La jeune femme porte en elle une douleur, une rage intérieure qui aboutit deux ans plus tard à un album au titre pour le moins explicite : Ma colère. Le disque bouscule les conventions en abordant frontalement un problème passé sous silence : le viol. « C’est un vrai tabou, surtout ici chez nous. Il y a des jeunes filles qui se font violer par leurs oncles, par leurs pères. On n’ose pas en parler. » Les mots de la rappeuse heurtent d’autant plus que le récit se base sur des faits réels. « C’est le drame d’une jeune fille, une amie, qui m’a inspiré. Chacun peut s’identifier. Il faut changer la mentalité des hommes en Afrique et même partout ailleurs. Des histoires comme ça, on m’en a rapporté plein. Des jeunes filles qui se font abuser à sept ans par un parent. Elles vivent avec ça jusqu’à l’âge adulte et ça bousille leur vie ! » Et Lady B n’hésite pas à mettre en avant ses propres fêlures quand elle évoque un autre tabou : la violence domestique. « J’en sais quelque chose. J’ai été maltraitée physiquement par mon petit ami de l’époque. » De manière plus globale, elle interroge la place de la femme dans la société africaine. « La femme n’est pas vraiment prise au sérieux chez nous. Alors que c’est la mère de l’humanité. C’est la femme qui met au monde, qui rassemble. La femme africaine doit oser se prendre en main. Elle a une force qui lui a été donnée par Dieu. Il faut l’utiliser. » Pas étonnant que ses modèles d’artistes soient des femmes africaines qui l’impressionnent par leur énergie et leur charisme comme Koko Ateba, Sally Nyolo ou Miriam Makeba. Elle travaille même, le temps d’un atelier à Libreville, avec deux de ses modèles : les Nubians. « Des grandes sœurs qui m’ont beaucoup apporté. »

Engagée et racinée Cet héritage culturel, qu’elle a défendu au cours de tournées africaines, la « fille béti »(2) l’a fait fructifier dans son dernier album en date, enregistré entre Gabon et Cameroun, Au pays des femmes sages. « Je suis une artiste enracinée. Je pense qu’il est important en tant qu’Africains que nous restions fidèles à nos racines. Il faut essayer de savoir ce qui s’est passé avant nous. C’est dans mes racines que je trouve la force de comprendre qui je suis. » Dans cette démarche, l’artiste s’est entourée de la fine fleur de la scène urbaine de l’Afrique centrale : Sadrac des Négrissim’, Major Assé, Danielle Eog et Be Good pour le Cameroun et le groupe Movaizhaleine pour le Gabon. À surveiller !

(1) groupe camerounais célèbre dans les années quatre-vingt pour le titre Zamina (Waka Waka, time for Africa), repris de manière insipide par Shakira pour la coupe du monde 2010
(2) du nom de son deuxième album sorti en 2008
///Article N° : 11310

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire