« Le développement passe par la communication »

Entretien d'Olivier Barlet avec Saliou Diallo, Secrétaire général d'ISOC-GN (Guinée)

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Le parcours d’un précurseur dans un pays où les choses ne font que démarrer.

Comment en êtes-vous venu à agir sur les nouvelles technologies ?
Guinée Ecologie est un programme sur l’environnement qui avait par exemple préparé la Guinée à la Conférence de Rio en 92. C’est en écoutant les expériences des autres dans les rencontres internationales sur les questions de l’environnement que j’ai eu l’envie de développer l’intérêt pour les nouvelles technologies en Guinée. Lors d’une conférence sur la désertification à New York, on nous a présenté l’initiative du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et j’ai proposé que la Guinée soit aidée à ce niveau. J’ai ensuite participé à un atelier d’appui au développement d’internet au Sud du Sahara à Bissau, où j’ai pu rencontrer le responsable Afrique du PNUD. La Guinée a dès lors été inscrite à l’initiative Leland du gouvernement américain pour appuyer le démarrage d’internet en Afrique (du nom du parlementaire américain responsable) – et le premier point d’accès a été créé en 97 sur l’autoroute MCI. A la suite de Bissau, j’ai organisé en Guinée un séminaire  » Internet au service du développement « , avec la participation d’experts : un Canadien et un Américain. Sur les questions de l’environnement, constatant que Rio était restée une grande messe loin du pays sur laquelle il n’y avait pas assez eu de communication, j’ai aussi axé les trois jours sur ces questions. 450 personnes, secteur public et privé confondus, ont découvert internet puisqu’on avait installé la connexion directe à l’hôtel accueillant la rencontre. Cela m’a permis de relancer les responsables politiques sur les recommandations de Rio ! Et nous avons défini un non-projet (plutôt qu’un projet qui est toujours pour une durée limitée, tout le monde s’inquiétant de l’après projet !). Nous avons lancé l’association, ce qui a été bien perçu car cela évite qu’une partie s’approprie la chose au détriment d’une autre. L’association va donc faire le lobbying indispensable pour créer des facilités pour le plus grand nombre. Ce qui est mis en place n’est pas surdimensionné : cela démarre avec quelques dizaines de personnes qui acquièrent les connaissances et la capacité à manipuler des ordinateurs et l’accès aux informations. Le résultat attendu est d’aider tout acteur du développement à trouver sur internet les informations de base.
Qu’est-ce qui a préparé le fait que vous vous intéressiez à internet dans un pays qui n’est pas connecté au départ ?
Mon parcours personnel, sans doute : dès 1974, je donnais des cours de littérature mondiale, à la faculté de sciences sociales pour faire découvrir les grands auteurs, et j’ai eu l’occasion de diriger des thèses d’étudiants travaillant sur la communication. C’était l’époque de Mac Luan et de la littérature relative… J’ai fait du théâtre aussi… Bref, la communication était importante pour moi, et lorsque je me suis retrouvé directeur des Arts et de la Culture, je me suis rendu compte que le développement passait nécessairement par un renforcement de la communication. Je me suis intéressé à l’environnement en dilettante, après avoir passé huit ans aux Seychelles dont j’ai beaucoup aimé l’environnement, et je me suis rendu compte que la protection de l’environnement passerait aussi nécessairement par la communication ! Je me suis intéressé à l’informatique en autodidacte et ma position indépendante m’a beaucoup aidé. Je suis connu par ma réputation d’enseignant, et le respect que cela implique m’a permis de me faire écouter. Ma motivation profonde est d’arriver à la protection de l’environnement, intégrée à une approche bien comprise du développement, sans tomber dans une écologie pure et dure.
Vous n’êtes donc pas vraiment une émanation du secteur public ?
Ma position actuelle est ambivalente, les gens me voyant dans les ministères autant que dans le secteur des ONG, mais je me suis rendu compte qu’il ne faut pas s’enfermer dans l’un. J’ai quitté la fonction publique volontairement : je n’y étais pas indispensable ; d’autres personnes pouvaient faire ce que je devais y faire alors que je voulais aller au fonds des chose sans devoir répondre à une hiérarchie.
Quel est le contenu de votre travail ?
Le réseau de développement durable, ce  » non-projet  » dont je parlais, n’est pas une initiative personnelle : le PNUD aide les pays africains à se former aux nouvelles technologies pour renforcer le développement des stratégies, ce qui implique dans tous les domaines de pouvoir trouver sur le net qui sont les acteurs, où sont les activités, etc.. Mais l’approche est progressive : après avoir défini l’architecture, nous construisons le bâtiment ! Pour chaque domaine identifié, nous travaillons d’abord avec une cellule de quatre personnes formées aux nouvelles technologies. Ce travail se fait sur 35 domaines soit 4 fois 35 personnes. Le secteur privé intervient dans la formation : quatre personnes sont autour d’un ordinateur non connecté, mais organisé avec tous les outils du web, pour apprendre à naviguer, mettre des informations, créer des pages web ; le deuxième exercice est de comprendre l’interactivité avec le serveur ; enfin, une fois vérifié que la substance vaut la peine d’être publiée, et qu’on peut s’assurer d’une mise à jour constante de l’information, ce domaine devient actif : publié et accessible sur le web.
Tout cela est financé par le PNUD ?
Le projet pilote et une partie développement sur une période de quatre ans, en relation avec d’autres projets : appui aux initiatives, décentralisation, programme genres et développement… Le réseau de développement durable (RDD) est dès lors une interface offrant des services à ces différents programmes dans leur utilisation des nouvelles technologies.
On retrouve un RDD dans d’autres pays ?
Un certain nombre de pays (Bénin, Cameroun, Maroc etc.) ont mis en place avant la Guinée des RDD : chacun a son approche mais l’objectif de développement est le même : favoriser l’insertion des nouvelles technologies dans l’environnement du travail, de manière à améliorer la productivité, l’accès à l’information. Je suis allé voir d’autres pays et ai constaté que nous faisons quelque chose de spécifique mais à terme semblable. On peut le voir sur internet sur sdnp.org en anglais ou RDD. La Guinée n’y est pas encore : nous ne sommes pas pressés de publier. Nous préférons d’abord rendre le tout autonome, pour qu’il ne dépende pas d’un centre nerveux qui, s’il a des problèmes, mettrait en cause l’ensemble du système… On évolue pendant un an pour vérifier, et après on verra, on aura un lanceur…
Un état des lieux de l’internet en Guinée ?
Il y a des progrès notoires mais il y a beaucoup à faire en matière d’infrastructures de télécommunication. Plus d’un millier de personnes ont accès à internet dans les universités, les entreprises, l’Administration. La réponse de l’opérateur est un peu lente à la demande de lignes de téléphones ; la Guinée n’est pas encore sous numérique : le pays est couvert par une infrastructure par câbles, une liaison analogique, et souvent quand vous demandez un numéro de téléphone il faut avoir de la patience… Par ailleurs, le niveau d’une rentabilisation n’étant pas encore atteint, l’internet reste cher. Le prix moyen d’un accès par RTC est actuellement de 17 000 FCFA pour 20 heures par mois. Il y a trois fournisseurs d’accès : l’opérateur de télécommunication lui-même et deux privés. L’autoroute elle-même est assez étroite : 128 Kb pour la sortie de la Guinée ; les providers ont 64 Kb, sur RTC vous êtes en moyenne à 20 ou 25 Kb, selon le modem, mais en RTC analogique, les vitesses sont très faibles. Il ne faut donc pas charger les sites.
Disposez-vous d’une autonomie suffisante malgré le financement extérieur ?
Quand je sens que mon autonomie est menacée, je peux dire ce que je pense. Je suis installé dans mes propres bureaux. Nous avons mis le soutien du réseau Anaïs dans le même panier, avec des objectifs définis selon les accords passés avec chacun. Nous avons aménagé une salle en connexion permanente où des jeunes découvrent internet grâce à l’appui d’Anaïs, avec programme et formateurs. Nous sommes une équipe, des bénévoles et 40 jeunes diplômés de l’université en formation qui espèrent pouvoir créer leur propre emploi.
Cette formation est-elle payante ?
Non, c’est un programme Anaïs : comme en Europe, un ordinateur et un formateur. Ils ne payent que le prix de leur venue sur le lieu de travail.
Sur quelle durée ?
Après un mois, on sélectionne. Une moitié reste pour un second mois, et nous en repérons dix pour lesquels nous chercherons une formation plus poussée et les accompagnerons à la recherche d’un emploi : assistant de provider ou création de PME pour la création de pages web. Il y a un besoin énorme mais nous sommes encore en phase de démarrage.
Quelle est la demande actuelle ?
Dans la phase actuelle, il y a des demandes bien comprises, mais parfois c’est nous qui incitons la demande, en allant dans les entreprises. Elles sont toujours intéressées car elles sont en phase de modernisation, pas toujours équipées en informatique. Nous travaillons aussi avec les ONG mais au lieu de les amener à se connecter là où ils n’ont pas de ligne de téléphone, on leur propose les accès collectifs que nous avons aménagé avec Anaïs, sorte de cybercafés à la carte, gratuits et lieux potentiels de formation.
Quels sont les obstacles les plus forts ?
Le manque d’information chez nombre d’acteurs qui croient que les nouvelles technologies sont inaccessibles, ou ne sont pas prioritaires. Le retard dans l’infrastructure des télécommunications est aussi un gros frein. Le coût des équipements est par ailleurs alourdi par les taxes à l’importation, qui avec la TVA avoisine les 40%.
Au niveau de la langue ?
Le français est un facteur limitant au développement futur et la question se posera concrètement, mais plus tard.
Cybercafés et télécentres ?
Les télécentres existent déjà en milieu urbain, mais on peut les compter sur le bout des doigts en milieu rural. Il y a un cybercafé à Conakry qui est très fréquenté, surtout par des étrangers. La question est dans l’air et des ateliers de travail sont programmés pour des projets pilotes. Une fois lancées, les choses iront très vite.

///Article N° : 1120

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