Les Bêtes du Sud sauvage

De Benh Zeitlin

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Il y a dans ce film une rare énergie, qui lui valut la caméra d’or à Cannes autant que le grand prix du jury de Sundance. Cela tient avant tout à une petite fille de six ans époustouflante, Hushpuppy, dont la voix-off et le regard portent l’histoire. Cela tient aussi à l’indomptable force d’une communauté marginale qui semble condamnée mais rivalise de créativité pour se défendre. Et cela tient bien sûr à la magie permanente que réussit à installer le jeune cinéaste et musicien Benh Zeitlin (la trentaine, dont c’est le premier long-métrage) en une symphonie mariant le réel et l’étrange au point qu’on ne peut plus les distinguer.
Nous voici donc plongés entre mer et terre, aux tréfonds de la Louisiane des Bayous, au sein des derniers Mohicans qui veulent préserver leur mode de vie dans un monde où tout va à vau l’eau. La culture du Sud profond est là, musicale et résistante, inextricable et très physique mélange de tradition afro-américaine et de déglingue blanche. Dans la continuité de son court-métrage multi primé Glory at sea, (1) puissante vision onirique tournée dans l’après-Katrina où des personnages endeuillés aident un revenant à construire un bateau pour retrouver leurs défunts, Benh Zeitlin combine ses propres intuitions et la filiation des grands cinéastes du Sud américain : la voix-off élégiaque chez Terence Malick et chez David Gordon Green, leur lyrisme méditatif, leur rapport étroit à la nature qu’avait déjà théorisé Charles Laughton dans La Nuit du chasseur, jusqu’à la mise en scène de la menace chez Jeff Nichols.
Dans cette presqu’île de Louisiane que l’on désigne par Bathtub, on vit de la pêche aux écrevisses, qui se dégustent délicieusement le soir dans des fêtes déjantées, mais les bâtisses déconfites, agglomérats de matériaux récupérés, sont menacées par la montée des eaux. Katrina est passé par là et la marée noire a débuté le jour même du début du tournage. Au cœur de cette fable écologique, le réchauffement climatique libère d’antiques et mythiques aurochs pris par les glaces qui menacent d’écraser cette communauté du bout du monde. C’est dans ce contexte apocalyptique que le père de Hushpuppy part autant en vrille que la New Orleans face à l’ouragan et aux autorités qui veulent évacuer les habitants que les digues ne protègent plus. Il est pourtant aussi increvable et tenace que cette communauté dont l’opiniâtreté se manifeste malgré sa précarité dans l’extrême de ses fêtes et le fantastique de ses visions, et que Hushpuppy résume à elle seule, du haut de l’imaginaire de ses six ans.
C’est sur ce matériau, alors que la nature s’emballe, que Zeitlin bâtit, avec des acteurs non professionnels recrutés dans le milieu même de son objet, un feu d’artifice aussi détonnant qu’étonnant, porté par une musique envoûtante, mêlant humour, poésie et épique avec une édifiante dextérité qui frise parfois l’effet forcé mais qui, au final, nous emporte dans son radeau. S’il y parvient aussi aisément, c’est qu’il met à distance nos angoisses face à la catastrophe annoncée pour notre monde sans pour autant en renier l’imminence : par leur énergie vitale et leur réjouissante créativité, ces êtres en marge des systèmes gardent une solide foi en eux et l’espoir coûte que coûte qu’ils peuvent encore survivre.

1. 2008, 25′, visible sur [www.court13.com]///Article N° : 11182

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Les images de l'article
Quvenghané Wellis dans Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin © ARP Sélection
Dwight Henry et Quvenghané Wellis dans Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin © ARP Sélection
© ARP Sélection





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