Un aigle souligne l’azur

Je la voulais lointaine de Gaston-Paul Effa

Phase critique 22
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À quoi tient la singularité d’un roman ? La doxa héritée de Céline voudrait que ce soit par la langue. On appelle souvent Rabelais à la rescousse. Céline lui-même convoque La Fontaine. « La Fontaine ? C’est fait, c’est tout. C’est final », lançait-il non sans bravache. Accommodez le prince des écrivains classiques avec la truculence gargantuesque ? Un point au moins les relie : l’avalanche des faits – et, corrélativement, l’inflation rythmique. Il est aisé de soutenir que leur style « déménage » les faits qui, sans le concours d’un rythme tout à la fois effréné et contrôlé, deviendraient indigestes. Nous débattons de la vitesse, nous ne nous en rendons même pas compte. Elle permet la gestion idoine des événements. Or l’événement par excellence, c’est la phrase.
Introduire de la sorte à Je la voulais lointaine, le dernier roman de Gaston-Paul Effa, c’est renvoyer à son incipit :
Je m’appelle Obama, un nom d’oiseau.
Le nom est une réalité nourricière comme la salive. Dans l’ordre supérieur des symboles, il représente la vertu qui maintient la vie. Être digne de son nom est le souci majeur de l’existence, au point qu’un homme, à toutes les étapes de sa croissance, a besoin de s’assurer qu’il peut, sans risque de châtiment éternel, mourir, là, tout de suite, s’il porte mal son nom. Tout est dans le nom ; le reste compte bien peu.

L’événement-langue d’Effa est un orgue qui assume l’emphase. Sa beauté y réside. Curieusement il me permet d’entendre en creux le classicisme bien chambré de l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Le classicisme est la recherche de l’austérité et, partant, une tentation puritaine. L’univers musulman s’accorde parfaitement au jansénisme pascalien. Un critique l’avait noté à la parution de l’Aventure ambiguë. Je la réitère en ce qui concerne Je la voulais lointaine. Dans une certaine mesure, le romancier camerounais a écrit la suite de l’Aventure ambiguë, une suite résolument païenne. Je la voulais lointaine raconte la montée d’un adolescent africain en France. Le roman s’inscrit dans la même famille que Chemin d’Europe de Ferdinand Oyono, même si par l’imaginaire et le style ils ne partagent pas grand-chose.
Obama – comme Samba Diallo – va en Europe pour échapper à son initiation de gardien de la tradition. Il refuse de devenir le sac du destin. A-t-il déjà senti que l’existence est liberté ? Il étouffe dans des obligations qui, estime-t-il, ne sont ni de son âge ni de son goût. Il quitte l’ombre pour briller dans le ciel enneigé de France. Quel meilleur symbole que la neige pour suggérer la métamorphose à laquelle il se destine ? Il la réussira. Mais « ce qu’on apprend vaut-il ce qu’on oublie ? » demandait la Grande Royale dans l’Aventure ambiguë. La réponse qu’elle n’a su trouver en son temps, c’est Gaston-Paul Effa qui nous la procure. 102 ans sont passés – peut-être davantage. Les romans d’apprentissage nous bouleversent en qu’ils nous rappellent que la vie est initiation. C’est à ce titre qu’ils s’adjugent notre avenir. Au lecteur de le vérifier. Ce roman claudique comme l’être a – comme la voix de Victor Hugo. Il nous ramène sans cesse à sa vérité : « tout l’être est dans le nom ». Telle est l’essence de la phrase dans Je la voulais lointaine.

Gaston-Paul Effa, Je la voulais lointaine, Actes Sud, février 2012///Article N° : 10667

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