Nouther : « Nous ne vivons pas de notre art et oscillons sans cesse entre rêve et alimentaire »

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Nouther

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Le Camerounais Nouther est très représentatif de la situation que vivent la plupart des auteurs de BD d’Afrique centrale. Après plus de dix années de carrière et malgré un réel talent, il ne compte que des publications éparses dans des collectifs et magazines. La faute en revient sans doute au contexte camerounais capable de générer à la fois l’une des plus anciennes revues satiriques du continent (le popoli) et une quasi-absence d’éditeurs pour la jeunesse.
Retour sur un parcours empli de courage et de difficultés.

Parlez-nous tout d’abord de votre carrière en tant qu’auteur de BD…
Mes débuts dans la bande dessinée comme auteur remontent à 2000 où je suis lauréat du concours de BD organisé par le COE (Centre d’Orientation éducative). En 2001, je participe au Fescarhy et au projet du collectif Shegué financé par Proculture sous la coordination de l’association Irondel au cours d’un atelier de 1 mois. Nous avons suivi un atelier sur des techniques de dessin et de narration avec Christophe Edimo, le Gabonais Pahé, le Centrafricain Didier Kassai, le Congolais Bring de Bang, le Congolais de RDC Pisha Massamba, Almo, Bengone, Jaimes, le Tchadien Adji Moussa et Simon Mbumbo. Au sortir de cet atelier nous avons chacun produit 4 planches de BD qui ont fait l’objet d’un album collectif édité par Akoma Mba. Pendant cette période, j’ai aussi proposé des caricatures pour le journal satirique Mamy-Wata. Par la suite nous avons mis en place avec la maison d’édition Akoma Mba un projet de magazine de BD bimensuel intitulé Essingang qui avait pour ambition de poser les bases d’une publication d’un magazine BD Camerounais.
Quel y était votre rôle ?
Dans ce magazine j’écrivais et je dessinais l’histoire de la Mygale. Cela racontait en 10 pages la vie d’un jeune basketteur talentueux qui va se faire enrôler par une secte sanguinaire dont le coach et le président du club sont membres. J’étais également encreur pour la BD Ella. L’année suivante un autre atelier était initié et dirigé par Jean Claude Fournier. Puis je suis contacté par Christophe Edimo, scénariste et président de l’association L’Afrique Dessinée pour participer au projet de BD collective Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique, édité par L’Afrique Dessinée. À la même période je suis sollicité pour illustrer un livre pour enfants Nzié va au marché paru aux Éditions Akoma Mba et je commence ma carrière associative avec l’association Aile Cameroun. C’est au cours de ma présidence entre 2003 et 2005 que les premiers projets de formation en dessin sont initiés et menés pendant les vacances. Cela m’a permis de transmettre ma passion du dessin et de la BD aux jeunes dessinateurs. Malheureusement c’est aussi l’année de tous les chamboulements. Akoma Mba ferme ses portes et l’association aussi se disloque.
Vous avez dû prendre un coup sur la tête…
Oui, mais en 2007 une nouvelle flamme naît chez les jeunes dessinateurs que nous avions encadrés à Aile Cameroun et le besoin de se mettre ensemble renaît. Le Collectif A3 est créé et commence alors pour moi une nouvelle vie dans le milieu de la BD. Au sein de l’association, je mets à disposition mes talents de peintre coloriste et encreur. Des projets apparaissent. Tels Les Nyés, projet collectif pour lequel je suis coloriste ou bien le Magazine Bitchakala dans lequel je dessine les aventures du taximan Yenou, mais aussi le MBOA BD Festival dont je suis le président, Les Mercredis de la BD au CCF ou l’atelier Tous à vos Crayons pendant les vacances scolaires… Tout cela prend corps.
Et en terme de publications ?
Au cours du PANAF à Alger, mes planches ont été retenues pour l’album collectif La BD conte L’Afrique. Actuellement je travaille sur 3 d’albums, Ewane, Sarah, Puzzle et la mise en couleur du projet collectif Les Nyés qui sera disponible prochainement dans les librairies.
Quelles sont vos principales influences ?
Elles sont de plusieurs type. Je prendrai déjà les Comics Americains pour tout le coté heroic fantasy les caricatures du Camerounais Goaway, un peu de mangas animés pour la mise en couleur et surtout Emmanuel Lepage pour le réalisme de ses oeuvres. Et je suis aussi fan du dessin vectoriel de Arthur de Pins. Je suis assez curieux et j‘apprends tous les jours. Pour les histoires j’ai beaucoup apprécié les textes de Patrick Nguema Ndong sur Africa N°1 dans L’Aventure mystérieuse et projette de les mettre en BD….
Comment se fait-il que vous n’ayez pas d’album individuel ?
La réalisation d’un projet d’album demande de la disponibilité et une régularité dans la production mais surtout elle s’inscrit dans un processus à long terme. Jusqu’à présent, les conditions n’ont pas encore été réunies pour que cela se réalise. J’ai mis beaucoup de temps et d’énergie dans la formation et la promotion de cette discipline afin de préparer le terrain pour l’arrivée d’une production locale. En outre les projets d’albums que j’ai initiés se sont toujours arrêtés pour des raisons économiques, idéologiques, par manque de scénariste et surtout par manque de disponibilité. Le boulot de designer Web et les activités de l’association occupent presque 90% de mon temps depuis 2006.
Quels sont vos projets en la matière ?
En 2010 j’ai démarré le projet Ewané avec Stephane Akoa, scénariste et passionné de BD, un projet situé à l’intersection de plusieurs disciplines, graphisme, dessin, peinture numérique… Ce projet est actuellement en stand-by. Le projet Yenou le taximan a été converti en série de gag pour le magazine Bitchakala.
Le projet Sarah avec Paul Stevek (scénariste de film) est en cours de réalisation et sera certainement en 2012 un album achevé.
Le projet Puzzle est une expérience réalisée avec un artiste musicien… mais c’est top secret. Le plus avancé de tous est le travail de coloriste pour le projet Les Nyés. L’une de mes lacunes dans le domaine est celui du scénario. Cela constitue mon talon d’Achille. Je suis toujours à la quête d’un scénariste professionnel avec qui bosser et qui m’aiderait à présenter à un éditeur un projet complet. Un an sans boulot serait un gros sacrifice mais à présent je suis prêt.
Est ce que vous gagnez correctement votre vie ?
Pour ceux des artistes diplômes de l’école des Beaux-arts de Mbalmayo comme moi, le potentiel est grand. Nous sommes très polyvalents et sommes sollicités pour plusieurs types de services, conception d’affiches, illustrations de livre pour enfants, illustrations de documents éducatifs, réalisation de supports de communication, story-board… Je vis exclusivement des revenus générés par les activités de dessinateur graphiste et designer web. Je ne me plains pas trop mais je pourrais gagner plus j’en suis sûr. En fait je ratisse large pour pouvoir assurer. Notre métier n’est pas encore bien apprécié et puis, la profession compte quelques charlatans qui nous mettent les bâtons dans les roues.
La clientèle se résume à quoi ?
Tout d’abord les responsables d’agences de communications, les éditeurs, et les ONG qui n’ont pas souvent les budgets nécessaires pour s’offrir les services d’agences de communication renommées et qui apprécient mes réalisations. Il y a aussi beaucoup de particuliers surtout pour tout ce qui relève de l’événementiel : billets de mariage, cartes de voeux, illustrations explicatives pour dépliants, montage de journaux, et de documents, BD éducative…
C’est quoi la vie d’un artiste illustrateur, graphiste et webdesigner au Cameroun ?
C’est un peu la vie de tout jeune camerounais qui se débat au milieu de problèmes divers. Levé à 4h ou 5h du matin, je débute ma journée par quelques dessins ou croquis rapides pour chauffer les muscles et affiner le coup de crayon. C’est aussi le moment de suivre les informations du pays et du monde. Puis un bon petit-déjeuner quand l’occasion se présente… Ce n’est pas tous les jours qu’on a ce privilège !
Et la journée peux démarrer ! J’arrive au bureau vers 8h. La boite dans laquelle je bosse à plein-temps est une start-up (Open Solutions) qui s’est spécialisée dans le web. Je suis web and graphic designer manager. J’ai en charge la conception de tous les éléments visuels, que ce soit pour les clients ou pour les besoins de la boîte. C’est un boulot à plein-temps avec très souvent des heures supplémentaires, histoire d’avancer au maximum dans les projets avant de rentrer chez moi. Je m’occupe donc du design des sites web suivant, [www.mboa.info], www.ohada.org, www.aessoneltoday.com entre autres ainsi que de la conception et de l’animation flash des bannières publicitaires des clients. Au cours de la journée, je consacre mon heure trente de pause aux activités de l’association dont je suis le président, le Collectif A3. C’est pendant cet intervalle de temps que je peux échanger avec les membres, participer aux activités de formation que nous organisons et échanger avec le public du Centre Culturel Français de Yaoundé qui est notre partenaire. Ensuite, je retourne au bureau pour achever ma journée de boulot. Aux environs de 19 heures, je retourne chez moi ou je rejoins ma petite famille. Après quelques blagues et un repas léger je me remets au dessin cette fois-ci pour mes projets personnels. Aux alentours de 1h du matin, je me couche et le lendemain je redémarre. Le week-end est presque essentiellement consacré aux activités de l’association et aux projets de dessin personnels. Je n’arrête pas ! Mais c’est le lot de tous les artistes d’Afrique : nous ne vivons pas de notre art et oscillons sans cesse entre rêve et alimentaire.
Pourquoi avoir créé le collectif A3 ?
Les grosses difficultés dans ce métier résident dans la spécialisation des disciplines, la quête du pain quotidien et le marché qui ne consomme pas assez. Comme la plupart des auteurs camerounais nous sommes à la fois scénariste, dessinateur, encreur, coloriste, graphiste… ce qui réduit l’efficacité des auteurs et ralentis la production. Je suis toujours à la recherche d’un scénariste professionnel avec qui développer tout mon potentiel. Le collectif A3 est né du besoin persistant des dessinateurs de se mettre ensemble pour développer leur potentiel, professionnaliser les métiers de l’image et surtout celui de la BD au Cameroun. En évoluant en rang dispersé nous avons gaspillé beaucoup d’énergies et il était temps de concentrer tout cela en un seul point. D’autre part le déploiement des membres avait besoin d’un cadre légal pour pouvoir exercer et sortir ainsi de l’ombre. Le collectif A3 sert de plateforme d’échange et de partage pour tous les passionnés de BD, de dessins, de dessins animés, de cinéma, de graphisme et nous sommes fiers aujourd’hui de voir les résultats palpables de cette initiative qui en est encore à ses débuts.

Novembre 2011.///Article N° : 10637

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