Espace Schengen : Flux migratoires et Directive retour

L'expulsion de Freddy Tsimba le 18 octobre 2011

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Freddy Tsimba (auteur de la sculpture emblématique de Matonge, au croisement de la chaussée de Wavre et de la rue Longue Vie à Bruxelles) a été « mis dans l’avion » ce mardi matin 18 octobre 2011. Sa situation a inspiré ce texte d’une carte blanche dont le but est
d’élargir le propos pour mettre en lumière une série de contradictions. Ce texte est actualisé au fur et à mesure des développements.
Il est soumis pour libre signature à ceux qui désirent s’y associer et déjà ainsi signé par un certain nombre de personnalités et soutiens.

Puisque la politique est affaire de discours, je vais donc vous raconter une histoire. Elle se passe entre les lignes d’un document de six pages écrites en néerlandais dont le destinataire, « l’étranger », l’intéressé (de betrokkene), jugé « inadmissible » (INAD) dans l’espace Schengen, ne comprend pas un mot.

Il y a la mobilité professionnelle et le tourisme pour « les uns », les Occidentaux ; et l'(im)migration, l’asile, la répression pour « les autres », ceux qui sont d’office des étrangers ou des « INADS », des « inadmissibles », sur le territoire. Il y aurait quelques milliers de détenus annuels dans les centres fermés en Belgique. Il existe des rapports à ce sujet (http://www.cire.be/ressources/rapports/etat-des-lieux-centres-fermes.pdf)

Il arrive que l’étranger en question ait un nom propre et soit connu. Celui-ci s’appelle Freddy Tsimba. Il est sculpteur, plasticien. Il est notamment l’auteur de la sculpture emblématique de Matonge, au croisement de la chaussée de Wavre et de la rue Longue Vie à Bruxelles. En théorie, il relève de la catégorie des migrants temporaires. Il vient et il va, il rentre chez lui. Il est attendu des deux côtés de la frontière. Certains auteurs les appellent des transmigrants. Il a introduit à la maison Schengen de Kinshasa une demande de visa pour six mois, sur base d’un dossier d’invitations, de prises en charge et autres attestations de solvabilité et de bonne vie et mœurs. Depuis sa médaille d’argent aux 4e jeux de la francophonie à Ottawa en 2001, il circule à travers le monde pour présenter son travail. Son langage est plastique. Mais il parle avec des douilles qui ont tué et des cuillères qui ont mangé. S’il a conquis une belle reconnaissance dans son domaine de compétence, artistique, l’administration des affaires étrangères ne veut pas le savoir. Cela fait pourtant des années qu’il vient régulièrement en Europe.

Dernièrement, il a fait l’objet d’une « erreur système » mais, le réflexe commun et systématique est de transférer la faute sur la victime. Elle est forcément coupable de quelque chose, ne fusse que de légèreté. Le libellé du visa prête à confusion. L’intéressé, de betrokkene, se laisse prendre au piège et en fait une mauvaise interprétation. La sienne bien sûr, celle qui était en cohérence avec le dossier déposé. Il a compris qu’il avait un visa de six mois (du 25 juin au 24 décembre) conditionnés à deux fois 90 jours consécutifs sur le territoire Schengen. Il aurait dû comprendre qu’il n’avait que 90 jours à l’intérieur d’une période de six mois. La maison Schengen de Kinshasa a ignoré ses contrats. Elle est sourde, aveugle, et muette. Elle s’applique.

Tout le monde n’y a vu que du feu. L’agence fédérale de coopération culturelle qui a fait la réservation du vol pour la première période, la compagnie aérienne avec laquelle il effectue l’aller-retour Kinshasa-Bruxelles, l’inspection des frontières à l’aéroport de Zaventem qui le laisse sortir alors qu’il est illégal depuis six jours, la même compagnie aérienne qui encaisse le prix d’un second billet aller-retour Kinshasa-Strasbourg. À son arrivée à l’aéroport de Bruxelles-National, le passager est immédiatement arrêté en zone de transit. Son visa n’est pas valide ! La Cie reçoit une amende de 4500 euros pour avoir transporté un « illégal », dont elle devra s’acquitter auprès de l’État belge. L’intéressé, de betrokkene, victime malgré lui, est placé en centre fermé, « directive retour » immédiat, à moins qu’il n’ose demander ce qui lui arrive et réfléchir un peu. Il demande qu’on lui explique, par exemple. Pourquoi suis-je d’emblée abordé et traité comme un criminel, enfermé ? À double tour ? Il vivra cinq jours avec ses compagnons d’infortune, soumis au bon vouloir de ceux qui décident, le laissant dans l’incertitude et l’angoisse de son sort. Il optera finalement pour le rapatriement volontaire mais pour cela il doit s’engager à ne pas introduire de recours au Conseil du contentieux des étrangers. L’Office des étrangers lui donne aussi la garantie orale, par avocat interposé, qu’il ne serait pas tenu compte de cet incident, étant donné son « bon profil » ! Toutefois, en flagrant délit de contradiction avec cette parole, son visa sera balafré et son passeport confisqué à son arrivée à Kinshasa.

Ce cas est tordu, me direz-vous. Comme les cuillères dont le sculpteur fait des corps de supplicié(e)s ? À moins que l’Office n’en fasse qu’à sa tête. En effet, l’intéressé n’était pas le seul à avoir été rapatrié. Le plus étrange est que ceux-là avaient des visas en bonne et due forme. Le seul problème est qu’ils avaient perdu une virgule pendant le voyage ! Il y a donc deux têtes : une tête qui dit « oui » (qui accorde un visa au départ) et une tête qui dit « non » (qui refuse d’office l’entrée à l’arrivée). Il y a toujours un bon argument pour justifier un refus, quitte à verser dans l’arbitraire, le délit de facies par exemple. Sans le dire, bien sûr. Mais en le faisant sentir. Les chiens ont du flair, c’est pourquoi on les engage.

Chaque jour, des dizaines de personnes, parmi lesquelles des enfants et des personnes âgées, sont cueillies à leur arrivée et enfermées là, au centre INAD, en attendant qu’il soit statué sur leur sort. Chaque jour l’Office des étrangers ordonne des expulsions mises en œuvre par les forces de l’ordre. Certaines sont violentes. Recourir en extrême urgence pour suspendre une exécution d’expulsion aboutit rarement, nous confie l’avocate qui s’est penchée sur le dossier pour tenter d’éclaircir la situation dans laquelle se trouvait l’intéressé, de betrokkene. Seule alternative : demander l’asile (la procédure est longue, douloureuse, et sans garantie) ou rentrer chez soi profil bas. Il n’y a pas de place pour le tourisme ni pour la mobilité professionnelle lorsque l’on vient d’Afrique.

Pour ajouter votre signature, merci d’écrire un courriel à :

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Premiers signataires:

Saïd Abass Ahamed (professeur affilié de géopolitique et négociation, Rouen Business School), Jesús Ahedo (galeriste, Kalao arte negro, Bilbao, Espagne), Nathalie Alazard (France), Pedro Andre Gary Monaville (chercheur, University of Michigan), Géraldine André (chercheur, Centre Pôle Sud, Université de Liège-ULg, Belgique), Clothilde Anty (artiste-dessinatrice, France), Brigitte Atzenhoffer (France), Michèle Baczynsky (artiste), Olivier Barlet (africultures.com), Rhode Bath-Schéba Makoumbou (artiste plasticienne, Congo Brazzaville), Mireille Battut (citoyenne française), Joëlle Baumerder (dir. La Maison du Livre, Bruxelles), Jean-Paul Blachère (Fondation Blachère, Apt, France), Alain Brezault (écrivain), Jean-Marc Biry (prés. Horizome, Strasbourg), Daphné Bitchatch (artiste peintre, Paris), Marguerite Bobey (artiste, curator), Ariane Bosquet (artiste peintre, Bruxelles), Aline Bosuma (Racont’Art asbl), Antoine Bouillon (socio-anthropologue), Christophe Cassiau-Haurie (conservateur de bibliothèque), Mériam Cheikh (anthropologue, ULB & EHESS), Melissa Collignon, Joseph Costanzo (Université libre de Bruxelles-ULB), Roby Comblain et Claudine Gillet, Anne Cremieux (maîtresse de conférences, Paris Ouest Nanterre), Anne Debaar (psychanalyste), Frédérique Denis Bâ (Lausanne), Amélie Deymier, François-Xavier Dubuisson (Afrique Taille XL, festival des cinémas africains de Bruxelles), Paul-Emile Dupret (juriste, Parlement européen), Daniel de Beer (Pr invité Faculté universitaire Saint-Louis-FUSL et maître de conférences ULB), Filip De Boeck (Pr Katholieke Universiteit Leuven-KUL), Dialogue Afrique-Europe asbl, Florence Delmotte (chercheur qualifié FNRS, FUSL), Françoise Deppe (bibliothécaire), Nathalie Dolhen (plasticienne art visuel et sonore, Horizome, Strasbourg), Jean-Yves Donnay (sociologue), Joaldo Domínguez (journaliste), François Duconseille (artiste, curator, professeur à l’ESADS), Isabelle Durant (députée européenne, groupe Verts/ALE), Yves-Luc Conreur (l’Autre « lieu »), Joëlle Conrotte (psychanalyste SSM Le Méridien), Ralph Coeckelberghs, Vanessa Crasset, Nicolas Dekemel, Sarah Demart (chercheur, Cedem, ULg), Françoise De Moor, Aline Dhavré, Thierry Delforge, Daniel Derrien, Odile Fabregoul, Monique Fodderie (resto Inzia), Françoise Gauder, Pélagie Gbaguidi (artiste plasticienne), Zoé Genot (députée fédérale Ecolo), Bruno Gilson, Sarah Gilsoul (Groupe de Recherche sur l’Action Publique, ULB), Victor Ginsburgh (Pr émérite ULB, Ecares), Annabelle Giudice, Jacqueline Goffin (ex-enseignante, psychanalyste), Audrey Brisack et Guillaume Goor, Nicole Grégoire (chercheuse, LAMC, ULB), Sonia Gsir (chercheur, Cedem, ULg), Colline Guinchard (graphiste, projet HTP40, Strasbourg), Jean-Frédéric Hanssens (photojournaliste, www.entreleslignes.be), Paul Hermant (chroniqueur), Marie-Bernadette Hochstenbach, Anne-Marie Janssen (Herve), Julie Jaroszewski (artiste), Roger Job (photojournaliste), Danielle Jouaire (citoyenne française), Vincent Kenis (Crammed), Ana Lanzas et Didier de Lannoy, Polydor-Edgar M.M. Kabeya (juriste et journaliste), Kanakassy (Mansour Ciss, Laboratoire de Déberlinisation, Berlin), Anne-Marie Kelecom (artiste céramiste, France), Sébastien Kennes (Oasis Ndjili asbl), Jean-Michel Lafleur (chercheur, Cedem, ULg), Benoît Laffiché (artiste visuel, France), Francis Leboutte (ingénieur civil), Nicole Legrand, Benjamin Lew (compositeur), Christiane Levêque, Jean-Marie Lison, Vincent Litt, Vincent Lurquin (avocat, député régional bruxellois, Ecolo), Gabrielle Manglou (artiste plasticienne, Ile de la Réunion), Noé Martens (juriste, Région de Bruxelles-Capitale), Marco Martiniello (Research Director FNRS, dir. Centre d’études de l’ethnicité et des migrations-CEDEM, Pr ULg), Régis Marzin (prés. de Survie Paris IDF), Bénédicte Maccatory (Songes asbl), Dominique Malaquais (chercheur, Centre d’études des mondes africains-CEMAF, CNRS), Maïté Maskens (docteur en anthropologie), Jacinthe Mazzocchetti (Pr Université catholique de Louvain-UCL, Visiting Researcher University of Amsterdam), Hameline Mbadu, Véridienne Mbadu Bavuna, Fiona Meadows (architecte, France), collectif Mémoires coloniales, Bénédicte Meiers (chercheur, Centre Pôle Sud, ULg), Pierre Mendiharat (dir. de projets Santé publique), Henri Monceau (conseiller politique auprès du Vice-président du Gouvernement wallon), Barbara Morovich (anthropologue, enseignante chercheure, assoc. Horizome), Bibish Mumbu-Kabundi (écrivain), Charlotte Morantin, Julie Ndaya (chercheur, African Studies Centre-AFC Leiden), Nasser Mwanza Mujila (écrivain), Joseph Nzau Seke, Yatshita Mutombo, Justin-Gr.Muzigwa Kashema (Senior Research Associate), Marie-Jeanne Omari (Liège), Annick Peeters (Bruxelles), Charlotte Pezeril (Observatoire du sida et des sexualités, FUSL), Alice Poncelet (chercheur, Cedem, ULg), Mirko Popovitch (dir. Africalia), Jacob Rajchman (photographe, Cinedomo asbl),Claire Remy (médecin et psychanalyste), Thierry Robert (réalisateur, France), Virginie de Romanet, François Ronveaux, Nicole Roumans-Vangeebergen (Ville de Herve – Première échevine), Carol Sacré, Nordine Saïdi (porte-parole Égalité), Marie-Claude San Juan (blogueuse, Paris), Christine Scrève, Gérard de Sélys (écrivain, e.a. auteur de la pièce Les inads), Victoria Sepulveda (artiste, Liège, Belgique), Magali Silvestre (coordinatrice Africamäli), Christine Simon, Guy Simonis (Herve, Commission communale consultative pour la coopération au développement), Marc Somville (manager artistique), Geneviève Spinette (citoyenne belge), Christine Sitchet (journaliste, docteur en sociologie), Jérôme Stoquart (Mons), Olivier Sultan (galeriste, Musée des Arts Derniers, Paris), Estelle Stefanini (France), Joseph Tonda (Pr Université Omar Bongo, Libreville, Gabon), Claudine Tondreau (écrivain), Anne Theisen, Violaine de Villers (auteur et réalisatrice de films documentaires et d’émissions radio), Roger Pierre Turine (critique d’art à La libre Belgique), Georgina Vaz, Carmelo Virone (coordinateur du bureau d’étude de SMartBe), Jocelyne Vouloir (psychologue), Alexandre Wajnberg (journaliste scientifique, ULB, RTBF), Jean-Claude Willame (Pr émérite UCL, équipe de coordination Afrique Centrale, Amnesty International-Belgique Francophone), Paul Willem, Katia Winnykamien (artiste, intervenante psychosociale), Willy Wolsztajn (artiste, dessinateur), Willy wana Van Waeyenberge, Grégoire Zabé (enseignant Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg, plasticien et designer), Fatima Zibouh (chercheur, Cedem, ULg, Belgique)

///Article N° : 10443

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