Juste une silhouette sur le bitume que laveront les dernières pluies d’août

Les Larmes du ciel d'août

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Conçu pour deux comédiennes et une chanteuse soprano, à partir de la pièce d’Aristide Tarnagda, le spectacle d’Ados Ndombasi présenté au centre culturel John Lennon, dans le cadre des dernières Francophonies de Limoges, a retenti comme un cri qui déchire la nuit et vient se heurter à l’absurdité du monde, un cri obstiné qui trouble le spectateur et n’est pas sans laisser un goût amer…

d’après le texte d’Aristide Tarnagda
Adaptation et mise en scène : Ados Ndombasi
Lumières : Wedou Wetungani
Direction musicale : Loïc Bescond
avec Ados Ndombasi, Maguy Kalomba, Loïc Bescond, Starlette Mathata, Wedou Wetoungani, Marithe Mitongo.
Théâtre : Burkina Faso/République démocratique du Congo

« Non je ne veux pas de votre aide… Madame, partez, ne restez pas là. Non merci, je ne veux pas monter dans votre voiture. Passez votre chemin, je ne veux pas monter dans votre voiture… » Une voix jaillit de la foule.
C’est le mois d’août la saison des pluies. Le Ciel d’août verse en trombes des flots de larmes sur la ville dense de foule compacte. On imagine… des voix résonnent en écho, devant, derrière, en haut, en bas. Soudain, une voix, presque par terre : la lumière se fait sur une jeune femme qui est postée dans le public, à la lisière de l’espace de jeu. Elle est assise. Elle garde son calme. Elle s’exprime simplement. Se faire entendre, c’est vital. L’espace de jeu est au milieu et le public est tout autour. On s’attend à ce que les événements se déroulent dans cet espace. Tous les spectateurs sont tournés dans sa direction. Il y a bien quelque chose qui se déroule là, c’est la musique. Avant même le début de la pièce, tout le dispositif musical est en place, un musicien prêt à jouer. La surprise a été cette voix toute simple qui a « déchiré » l’air. Cette voix claire et déterminée « Partez Madame, je ne veux pas monter dans votre voiture, je ne veux pas de votre aide, partez ! Je ne veux pas que l’on s’occupe de moi, je ne veux pas de votre aide ». C’est un face à face entre deux voix ; une qui fait silence et qui s’obstine à rester là pour apporter son aide, l’autre qui s’obstine à crier son refus. Silhouette, la voix se déplace et dans la pénombre se place ailleurs. La voix est double, la voix circule. Elle devient multiple. Elle se place sous la lumière d’un réverbère pour crier encore et encore « Partez, ne restez pas là. Allez-vous-en. Je ne veux pas de votre aide ! »
Non. Elle ne bougera pas c’est à elle, à l’autre de partir : « Madame, ne restez pas là, partez, je ne veux pas de votre aide. Je n’aime pas qu’on m’aide ! » ça tourne en rond, une affaire de cycle, de saison.
La voix a beau crier, inviter, ordonner, s’affirmer, conseiller : « rentrez dans votre voiture, partez ». Le Ciel du mois d’août, chargé de tensions, gronde et déverse encore et encore ses flots de larmes en averse et grondements, en tension, en décharge électrique… Elle a l’habitude, c’est normal… Elles ont l’habitude.
Cette voix fantomale finit par prendre corps lorsqu’elle parle de son homme qui lui fait bien l’amour. Il lui donne existence. Il résonne en elle grâce à leur bébé qu’elle porte. Il est parti et lui a dit de l’attendre. Il lui a dit : « Attends-moi, ne bouge pas ». Elle ne bouge pas. Elle attend. Elle espère. L’homme reviendra. Le Ciel d’août cessera de pleurer, ses larmes se tairont. Elle l’attend et les rires et le soleil seront bien présents. Son amour viendra prendre avec elle la charge de leur bébé. Une charge d’avenir et de renouveau… et la voix, pourtant épuisée, continue de répéter « Partez ! Madame ». Même avec des micros descendus des cintres, rien n’y fait. La voix n’est pas entendue. Une autre voix venue d’en haut exprime la tragédie, chante un chant lyrique…
Le temps a passé. L’homme n’est pas revenu. Le bébé est mort, elle le met dans un sac… Elle-même n’a plus de force, elle meurt sur le sable… Avec le temps il ne restera plus rien de son corps, du corps du bébé. Ils se seront effacés, emportés par les larmes du Ciel d’août qui couleront encore. Voilà la tragédie. Seule l’image en est témoin. Une image projetée sur l’écran au-dessus de la scène. À peine une silhouette, comme les chiens qui dans les nuits tropicales, aveuglés et happés par des « bolides » restent sur le bas-côté des routes jusqu’à ce qu’il ne reste rien de leur existence, juste une trace sur le bitume.

///Article N° : 10434

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Les images de l'article
Les Larmes du Ciel d'août, 28e Francophonies en Limousin © Patrick Fabre
Les Larmes du Ciel d'août, 28e Francophonies en Limousin © Patrick Fabre





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