Le rêve fou d’un malade du cancer de l’assistanat

Organiser un concert au Stade de France, au nom de la diversité, de la fraternité et de la solidarité

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Nocky Djedanoum est connu comme le fondateur de Fest’Africa, festival de littérature et des arts africains qui se tenait à Lille. A son initiative, un groupe d’écrivains et d’artistes a été invité au Rwanda dans le cadre du projet « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » (cf. [ Africultures n°30]). Il a également été à l’origine de l’organisation, en 2003, du « Nouveau congrès des écrivains d’Afrique et de ses diasporas » au Tchad, son pays d’origine. Au chômage après l’arrêt du festival, il est allocataire du Revenu de Solidarité Active (RSA) qui concerne plus de trois millions de ménage. Mis en place par Martin Hirsch, ancien Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, le RSA est versé, d’une part, aux personnes qui travaillent déjà et dont les revenus sont limités ; et d’autre part, il remplace l’ancien Revenu Minimum d’Insertion (RMI), l’allocation de parent isolé (API) et certaines aides forfaitaires temporaires comme la prime de retour à l’emploi. Porteur de nouveaux projets et choqué par les propos tenus par le ministre Laurent Wauquiez sur le RSA, il a décidé de réagir en nous racontant sa propre expérience.

À l’heure où l’esprit est aux vacances et à la compréhensible légèreté de l’être, il est bon de rappeler que des centaines de milliers de Français ne goûteront pas à ce plaisir tout simplement parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Parmi ces Français, nombreux sont ceux qui vivent du revenu de Solidarité active (RSA).
Le 8 mai dernier, intervenant dans l’émission politique de RMC – BFM – Le Point, l’ancien ministre français des Affaires européennes, Laurent Wauquiez a déclaré à propos du revenu de Solidarité active (RSA) : « Quelle est, pour moi, la principale injustice dans notre pays ? C’est que celui qui travaille n’ait pas un véritable écart avec celui qui bénéficie des minima sociaux… Cette situation-là est pour moi le cancer de la société française. »
À la recherche d’un emploi depuis 4 ans et allocataire du RSA depuis 2 ans sans aucune proposition de Pôle emploi, je viens par ce texte répondre au ministre qui ne sait certainement pas dans quelles conditions vivent les « cancéreux » de la République. Mais surtout, je viens lui dire et à tous les citoyens français qui nous traitent de cancer de la société que même dans la descente aux enfers de l’assistanat, on peut avoir des rêves fous.
1 – Le sens de la fraternité
Si j’avais le talent d’une Anne Roumanoff, d’un Dany Boon, d’un Nicolas Canteloup ou d’un Jamel Debbouze et de bien d’autres humoristes qui me font pleurer de rire, j’aurais peut-être pu plaisanter avec le cancer. Je dis cela parce que jusqu’à preuve du contraire, cette affection est une faucheuse impitoyable qui opère des coupes claires dans la verdoyante forêt de la vie qui nous entoure. Je n’ai ni peur ni honte de rendre public le fait que mon propre père est mort du cancer de la prostate. Il n’y a pas bien longtemps, non seulement j’ai perdu coup sur coup deux personnes qui me sont proches et chères, mais autour de moi, je connais des gens qui souffrent d’un cancer, parmi lesquels des enfants.
Je me souviens aussi, comme si c’était hier, de la mort de l’acteur et romancier Bernard Giraudeau, emporté le 17 juillet 2010 par un cancer du rein et du poumon. Il avait 63 ans. Pendant une dizaine d’années, il a lutté contre la maladie. Quelques mois avant sa disparition, il a eu le courage de se confier au journal Libération. « Je ne vis plus vraiment, il va falloir faire quelque chose. J’ai deux chimios, une par perfusion et une autre par pilule, et elles m’épuisent. C’est le comble, les chimios peuvent finir par tuer le malade. Il y a une grosse fatigue, une asthénie, il y a toujours quelque chose de dérangé : la tête, les intestins… »
J’ai réellement connu Bernard Giraudeau dans le film Les caprices d’un fleuve qu’il a adapté en 1996 de son roman éponyme. L’histoire qu’il conte se situe en 1787, soit deux ans seulement avant la révolution française. Le chevalier Jean-François de la Plaine est forcé à l’exil par le Roi Louis XVI vers un comptoir d’Afrique de l’Ouest, après s’être battu en duel. Gouverneur colonial, il découvre les caprices du fleuve Sénégal, les réalités de l’esclavage, et finit par tomber amoureux d’une jeune Peule qui deviendra sa femme. À travers ce film historique, j’ai également fait la connaissance de deux autres acteurs. Richard Borhinger, saltimbanque ouvert sur le monde et en particulier le Sénégal qui lui a octroyé la nationalité. Il est dorénavant Franco-Sénégalais, donc un binational et surtout fier de l’être. Il est de fait le compatriote de Youssou N’Dour, Coumba Gaoulo, Ousmane Sow, Léopold Sédar Senghor et autres célébrités sénégalaises. Et puis la sublime actrice martiniquaise France Zobda que je n’avais vue nulle part auparavant dans un film. « J’ai été assimilée au personnage de la signare sensuelle du film de Bernard Giraudeau. C’était un énorme succès même si une certaine presse avait été dure. Le film couvrait une période pas forcément glorieuse de l’histoire de France. Il y a toujours une part de reniement de son histoire par la France. Le malaise des Noirs qui y vivent vient de cela. », avait-elle confié au journal Le Courrier.
Comment se fait-il que du RSA assimilable au cancer, j’en suis venu à parler du vrai cancer qui a fini par terrasser Bernard Giraudeau et bien d’autres anonymes ? C’est leur sens de l’empathie qui m’a amené à eux. Bernard Giraudeau, Richard Borhinger, France Zobda, Albert Jacquard et bien d’autres personnes qui n’ont pas été citées sont des êtres aimants comme le diamant qui attire. Ils comprennent la souffrance de leurs semblables parce qu’ils ont peut-être souffert eux-mêmes dans leur chair et dans leur histoire. Mais un être humain devrait-il nécessairement souffrir pour mieux comprendre la souffrance de l’humanité ? Pour comprendre qu’il est injuste qu’il y ait autant de pauvres dans le monde ?
Il y a quelque part un sens de la fraternité. Si Bernard Giraudeau avait fait appel à Richard Borighinger, c’est qu’il y avait peut-être déjà entre eux l’amour du Sénégal pour ne pas dire de l’Afrique. La présence de France Zobda dans le film n’est pas fortuite non plus. L’œuvre de Bernard Giraudeau aborde l’histoire de l’esclavage et de la colonisation à laquelle appartient corps et âme l’actrice martiniquaise qu’on a vue deux ans auparavant dans le film de Guy Deslauriers, L’exil du roi Behanzin… Il faut dire que la sublime dame vient de coproduire le téléfilm Toussaint Louverture qui sera diffusé sur France 2. « Il y a bien longtemps que je caressais l’espoir de mettre en lumière ce personnage. Toussaint est un exemple, il a pris conscience de l’état de subordination des nègres, il s’est révolté. Il incarne la volonté, l’estime de soi, la force, le courage… autant de qualités qui forcent l’admiration… » a-t-elle déclaré récemment à France-Antilles.
2 – Le déni d’humanité
Le cancer de la société, ce n’est pas l’assistanat, c’est le chômage. Le cancer de la société, c’est l’incompréhensible incapacité des humains que nous sommes à réduire les inégalités diverses qui existent et persistent entre nous. L’inégalité entre hommes et femmes, l’inégalité entre les handicapés et les non handicapés, l’inégalité ethnique que l’on peut désigner par le terme de racisme… En clair, le cancer de nos sociétés, riches ou pauvres, c’est le déni d’humanité. Comme l’a écrit Nicolas Demorand dans Libération : « Vivre avec 411 euros par mois. Manger, s’habiller, se laver, se chauffer, parfois se déplacer. 411 euros, c’est ce que touche une personne seule, allocataire du RSA-socle : moitié moins que le seuil de pauvreté. Le filet ultime qu’une société civilisée accorde à ses citoyens les plus fragiles car elle estime indigne de les abandonner. Qui peut, en toute rigueur, pour ne pas parler d’humanité élémentaire, prétendre que ces gens sont des privilégiés ? » Frantz Olivier Giesbert, dans Le Point, ne dit pas autre chose quand il affirme : « S’il a posé les bonnes questions, Laurent Wauquiez a donné les mauvaises réponses quand il a remis en question le RSA, qui reste une très bonne réforme. Il a eu tort, de surcroît, de passer un peu vite sur d’autres cancers de notre société, comme la cupidité des pseudo-preneurs de risques de notre système bancaire et financier qui, après avoir mis à sac l’économie mondiale, se gavent, sitôt renfloués par l’État, de bonus en tout genre. Les politiciens sont décidément toujours frappés d’hémiplégie. Parfois, que voulez-vous, on dirait même qu’un seul hémisphère de leur cerveau fonctionne, reprenant l’antienne drolatique de Marcel Aymé : « Salauds de pauvres ! »
À dire vrai, combien sont-ils, des allocataires de RSA qui ne souhaitent pas avoir un emploi ? Combien sont-ils qui préfèrent se contenter de leur situation de précarité plutôt que de travailler, ne serait-ce que pour gagner un salaire au niveau du smic ? Que dit à ce propos Martin Hirsch, le père du RSA ? « Le nombre d’allocataires du RSA qui voudraient travailler, qui voudraient avoir un contrat aidé, ou qui voudraient prolonger un contrat aidé plutôt que de revenir au chômage au bout de deux ans est énorme. Ils sont volontaires pour travailler. Certes, ils voudraient travailler plus de 5 heures. Ils sont plutôt demandeurs d’un temps complet. On leur explique que cela n’est pas possible, qu’il n’y a pas assez de contrats. »
Je suis inscrit au chômage depuis le mois de mai 2007. Cela fait donc quatre années. Pendant les deux premières années où les Assedic me versaient mes allocations chômage, je ne ressentais pas l’indicible poids de la précarité d’autant plus que j’avais tout de même un « revenu » de cadre. Mes droits ont pris fin en avril 2009. C’est à ce moment que la descente aux enfers a commencé. Je me suis retrouvé quelques mois plus tard dans le club des « assistés » situés en « dessous du seuil de pauvreté ». Durant ces quatre années où je suis inscrit au chômage, aucune proposition d’emploi ne m’a été faite. Pas de proposition de formation non plus. Mon profil n’est pas des plus compliqués, me semble-t-il. J’ai deux diplômes en journalisme et j’ai travaillé de 1994 à 2007 comme directeur artistique du festival Fest’Africa que j’ai créé en 1993. Je peux comprendre qu’il n’y ait pas beaucoup d’entreprises culturelles qui sollicitent des directeurs artistiques. Mais le journalisme ? Même de ce côté-ci, je n’ai reçu aucune proposition de Pôle emploi alors que dans le dispositif RSA, il est écrit noir sur blanc que l’allocataire qui refuserait deux offres d’emploi serait amputé de son sésame. Les quelques rares fois où j’ai répondu à la convocation de ma conseillère, c’était pour l’entendre me demander : « Quoi de neuf de votre côté » ? Bien qu’objectivement, je suis à plaindre, c’est plutôt moi qui plaignais cette pauvre dame impuissante face à la demande. Elle a la chance d’avoir un boulot, ce n’est déjà pas si mal. Parfois, je me dis qu’elle doit se sentir coupable de travailler. Alors, depuis cette comédie de rendez-vous, mon seul contact avec Pôle emploi, c’est l’actualisation mensuelle de ma situation.
3 – Comment vit un allocataire de RSA ?
Le chômage (de longue ou courte durée), en tant que cancer, nous ronge individuellement et nous tue à petit feu. Tout doucement, il tisse sa toile, il étend sa métastase. Ça semble une maladie insidieuse parce que malgré tout, on trouve à manger et à boire. C’est vrai, en France, on ne meurt pas de faim. Pas encore. On peut s’inscrire au Restos du cœur ou dans une autre association caritative. Mais en réalité, on ne vit plus normalement comme devrait l’être tout être humain. On est quelque part un zombie, un mort vivant dans sa tête. La dignité humaine ancrée dans chaque être humain est laminée, anéantie. C’est encore pire lorsqu’on a travaillé dans le passé et que l’on se retrouve du jour au lendemain au chômage, dans les bas-fonds de la précarité, la vulnérabilité à fleur de peau.
Jeunes, seniors, femmes, hommes, Noirs, Blancs, Arabes, Jaunes, nous avons un dénominateur commun : pauvreté extrême. Oui. Ma vie quotidienne est facile à illustrer en chiffres. Elle tient en quelques lignes de comptabilité :

Ressources mensuelles
RSA : 410,95
APL : 262,31
Total : 673.26

Charges mensuelles obligatoires
Loyer : 630,17
EDF : 110,00
Numéricable : 34,90
Téléphonie mobile : 29,99
Total : 805,06

RÉSULTAT : 673,26 – 805,06 = -131,18 euros

En comparant mes ressources et mes charges mensuelles, je suis à -131,18 euros. Volontairement, je n’ai pas intégré d’autres charges non moins importantes : nourriture, loisirs, dettes etc. Quand on regarde de près cette minable comptabilité, on est en droit de me demander comment je survis ? Eh bien, je vis, d’une part grâce à la solidarité des ami(es), et d’autre part porté par mes rêves. Il y a peut-être des humains sur cette terre qui ne savent pas ce que veut dire le mot SOLIDARITÉ. Quant à moi, je l’ai rencontré et je l’écris en lettres capitales. En d’autres temps, en plus de son beau poème sur la liberté, Paul Eluard aurait rajouté : SOLIDARITÉ j’écris ton nom.
J’ai toujours cru à la solidarité et à la fraternité. Lorsqu’en 1993, j’ai fondé – en compagnie de quelques ami(es) – le festival de littérature et des arts africains dénommé Lettres d’Afrique puis rebaptisé Fest’Africa l’année suivante, je n’avais pas d’autres ambitions – si modestes soient-elles – que la refondation d’une fraternité entre Français et Africains. J’étais assez triste de constater que la langue française qui devrait en principe créer des liens forts entre nos peuples ne jouait pas assez ce rôle. Il nous fallait donc, ensemble, modestement et humainement, partager la langue française d’Afrique et de France.
Lorsqu’en 1998, j’ai initié le projet « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » qui a mobilisé de nombreux écrivains, artistes et intellectuels afin de témoigner du génocide des Tutsis qui a fait un million de morts en 1994, je ne pensais pas en écrivain, mais tout d’abord en simple humain. C’était peut-être de la compassion. Mais la compassion n’est-elle pas la fille de la fraternité ? Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce projet avait été soutenu financièrement par la fondation de France dont l’une des missions est « l’aide aux personnes vulnérables ».
Lorsqu’en 2003, j’avais lancé l’idée d’un congrès des écrivains au Tchad pour faire le bilan de la négritude et débattre de la question de la paix en Afrique, je pensais à un beau rassemblement de mes frères et sœurs en littérature. À cette occasion, nous avions rendu un bel hommage à Léopold Sédar Senghor dont l’humanisme n’est plus à démontrer. J’ai toujours pensé que nous devrions lire et relire ce grand poète si nous voulons avoir une nouvelle vision des relations entre la France et ses anciennes colonies. Des relations de cœur et de paix.
4 – Rêver, c’est vivre, survivre, résister, créer…
Si je n’avais pas la tête pleine de rêves, j’aurais été victime d’une sérieuse dépression depuis bien longtemps. Ou pire. J’imagine la vie que mènent mes sœurs et frères allocataires de RSA qui n’ont pas la chance et la force de rêver. Mais de quoi et à quoi je rêve ?
La lecture : j’ai une petite bibliothèque qui est plus riche que tous les centres commerciaux de France réunis. J’y trouve presque tout ce que je veux quand l’envie de faire la lecture me prend. À ma connaissance, il n’y a pas un seul jour où je n’ai pas ouvert un livre. Quand j’ouvre un livre, ce n’est pas forcément pour le lire. Ça peut être juste un contact avec l’auteur, le grain de papier, sa texture et son odeur, le caractère des mots et que sais-je ? En attendant, bien sûr, une vraie rencontre ou des retrouvailles avec l’auteur. Parfois, je tire un livre et hop, c’est la lecture. Il y a aussi des livres qui sont en permanence sur ma table de travail. Ceux-là interviennent d’une façon ou d’une autre dans mon travail d’écriture. Une table qui sert tantôt de bureau, tantôt de table à manger quand j’ai des invités. Des invités avec le RSA comme seule ressource ? Oui. Je me débrouille avec les menus et les ingrédients de bord. Je suis attentif aux bons conseils de Jean-Pierre Coffe, l’indétrônable chroniqueur culinaire. Mais je me sers aussi de mes vieilles recettes que j’appliquais autrefois lorsque j’étais réfugié de guerre au début des années 80 au sud du Tchad et au nord du Nigeria.
En ce moment, côté fiction, après avoir terminé Al Capone le Malien, le roman de mon frère Sami Tchak, qui m’a donné une magistrale leçon de mémoire en me promenant avec amour – et érotisme comme à son habitude – dans le Mali de nos ancêtres, je relis L’étudiant étranger de Philippe Labro. C’est le premier roman que j’ai eu entre les mains quand je suis arrivé en France en juillet 1986, l’année où justement il a reçu le prix interallié. Ah ! Quel beau roman. Une véritable jubilation. Philippe Labro est un très grand conteur. Curieusement, je viens de sortir des rayons Le scandale, un roman de Jean-Marie Rouart. En lisant la quatrième de couverture, j’ai l’impression de me retrouver dans l’affaire DSK…
L’écriture : « Si je n’écris pas, je meurs » a dit un jour l’écrivain congolais Sony Labou Tansi. Je ne peux pas dire que j’écris tous les jours, mais une chose est certaine, je vis avec l’écriture même si je ne suis pas hanté par la publication. L’écriture est un besoin comme le sont les spaghetti (combino) et la sauce bolognaise au rabais que j’achète invariablement au magasin d’alimentation LIDL le plus proche de chez moi. J’ai écrit trois pièces de théâtre qui ont été jouées. Les deux dernières ont été présentées à N’Djamena, Abidjan, Lille et Marseille, ce qui me ravit. J’ai aussi écrit un recueil de poésie après mon retour du Rwanda en 2000.
Depuis que je suis au chômage, j’écris mon livre de correspondances et de l’appel à soutenir le projet « Fest’Africa Monde. » En réalité, sans m’en apercevoir, j’ai commencé l’écriture de ce livre en 1997 lorsque je suis allé au festival de littérature « Étonnants voyageurs » à Saint-Malo (Bretagne), spécialement pour rencontrer l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio. Cette rencontre unique m’a marqué. À partir de là, j’ai ressenti un besoin et un désir de correspondances imaginaires avec diverses personnalités. En les rassemblant, j’ai compris que je suis tout simplement en quête d’humanité. À travers ces bouteilles que je m’apprête à jeter à la mer et dans les autres eaux douces, je recherche la diversité, la fraternité, l’amitié, la solidarité, la beauté, l’émotion, la liberté, la justice sociale… Mon rêve est que ces bouteilles multiformes et multicolores fassent le bruit du champagne qu’on ouvre les jours de fête. Oui. Je rêve de Fest’Africa Monde, un festival de la diversité, de la fraternité et la solidarité. D’où le slogan « Besoin de vous, besoin de nous ! »
La musique : j’écoute en particulier les chanteurs français et africains. Je n’ai pas les moyens d’acheter les billets d’entrée pour leurs spectacles. Par exemple, tout dernièrement, Salif Keita était en concert à Lille. Je m’étais contenté de regarder les affiches. Une exception tout de même : cette année, j’ai reçu une invitation de l’Orchestre National de Lille pour assister à un concert classique de Jean-Claude Casadesus. J’y suis allé avec mon fils qui a six ans et demi. C’est la première fois qu’il assistait à un concert de ce genre. À la sortie, il m’a dit : « Papa, c’est fabuleux. J’ai bien aimé le son des cymbales. »
En musique, je n’ai pas que les CD et DVD. J’aime aussi les biographies des musiciens. J’ai des livres qui racontent Yannick Noah, Patrick Bruel, Françoise Hardy, Youssou N’Dour, Manu Dibango, Alpha Blondy, Renaud, James Brown, Bono, Francis Cabrel, Joey Starr… Dans Francis Cabrel, le vagabond des étoiles de Méziane Hammadi, le chanteur au grand cœur dit quelque chose qui rejoint ma pensée : « Il y a des gens trop pauvres et des gens trop riches qui s’en foutent complètement. Si j’étais pauvrissime, aujourd’hui, je ne sais pas si je ne finirais pas avec une arme de revendication. » Francis Cabrel qui a dédié une chanson à la mémoire de l’esclavage a aussi dit, entre autres paroles touchantes : « Moi, je viens d’un milieu ouvrier, d’un monde de partage et de solidarité… Alors, quand on a une vie belle, bien organisée, confortable, il faut savoir redonner et rendre des services. Quelqu’un a dit qu’être heureux ne servait à rien si on ne savait pas partager. »
Le cinéma : comme pour les concerts, mes ressources ne me permettent pas d’y aller, mais je retourne ciel et terre pour y amener de temps en temps mon fils. Quelle vie serait-ce s’il n’allait pas du tout au cinéma ? Je pourrais vendre mes livres pour cela. Le cinéma est ma passion inachevée. J’aurai pu devenir réalisateur puisque j’ai passé une année à l’Institut cinématographique de Moscou. Mais j’ai fui la Russie à cause du racisme… D’ailleurs, l’histoire que je raconte dans Illusions, ma première pièce de théâtre, tourne autour du cinéma. Bien que je sois allé vers la littérature, je rêve toujours de faire le cinéma, au moins une fois dans ma vie. La preuve c’est que parallèlement à l’écriture de mon livre dont j’ai parlé plus haut, j’écris également un scénario d’un long-métrage. L’histoire se passe dans le pays ch’ti et au Tchad, le berceau de l’humanité… Le cinéma ne me quitte pas, moi non plus.
Le théâtre : toujours avec mon fils, je me souviens que nous sommes allés à la Maison folie de Wazemmes regarder un spectacle présenté en français par des comédiens russes. À la fin, il a dit : spassiba (merci). Il connaît trois ou quatre mots en russe. Ça l’amuse beaucoup de prononcer quelques mots dans la langue de Lénine. Nous nous amusons aussi à faire nous-mêmes du théâtre dans nos chambres ou au salon. Je lui ai appris quelques phrases de la tirade de L’Avare de Molière. Nous nous poursuivons en criant « Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel !.. »
L’information : c’est tout ce que les médias nous donnent à consommer et à digérer à notre manière. Je suis avant tout journaliste même si pour des raisons liées à la discrimination, je n’ai pas pu exercer ce métier comme je le souhaitais. J’ai dit tantôt qu’il n’y a pas un jour où je n’ai pas pris un livre en main. Je peux aussi ajouter qu’il n’y a pas un seul jour où je n’ai pas lu un journal, écouté la radio ou regardé la télévision. Sans oublier internet qui fonctionne désormais en permanence sur mon ordinateur. Dieu merci, j’arrive encore à payer mon abonnement à Numéricable.
À l’instar de l’écriture et la lecture, l’information, c’est ma vie. Grâce à internet, je ne suis pas obligé d’acheter les journaux. Par exemple, je reçois quotidiennement la lettre du Figaro et du Parisien. Ensuite, je vais voir ce que je peux trouver à Libé, Rue 89, Le Monde, Jeune Afrique, Le Point, L’Express, Le Nouvel Obs, La Voix du Nord, Afrik.com… Sans oublier les différents blogs et les réseaux sociaux, Facebook en particulier.
Le 8 juin 2011 par exemple, la première information qui m’est arrivée dès que j’ai allumé mon ordinateur, c’est la mort de l’écrivain Jorge Semprun, 87 ans. Quelle prémonition ! La veille, avant d’éteindre mon ordinateur et d’aller me coucher, j’avais sorti de ma modeste bibliothèque L’écriture ou la vie.
Si j’avais les larmes aux yeux, c’est que depuis 1998, Jorge Semprun est devenu l’un de mes écrivains de chevet. Selon les informations, Jorge Semprun est mort d’une tumeur au cerveau. Une vraie tumeur, celle-là. Si mes souvenirs sont bons, c’est Armelle Legars, mon amie de la 65e promotion à l’École supérieure de journalisme de Lille qui m’avait offert L’écriture ou la vie, Gallimard (la blanche) 1994. L’autre livre de Jorge Semprun, celui que j’emporte avec moi depuis 1998, l’année où j’ai fait mon voyage du Rwanda, c’est Le grand voyage. C’est son premier roman autobiographique où il raconte sa déportation à Buchenwald. C’est dans ce camp de concentration qu’il a été interné durant seize mois par les nazis alors qu’il n’avait que 20 ans.
– Jorge Semprun, paix à votre âme. Vous m’avez nourri sans même le savoir. Vous avez insufflé une foi en la vie, malgré tout, dans mon travail d’écriture sur le génocide des Tutsis du Rwanda. Le jour où ces écrits verront le jour, vous découvrirez que je vous ai rendu hommage il y a déjà plus de dix ans. Merci d’avoir été à mes côtés ; merci de m’avoir aidé à mieux comprendre le génocide des Juifs grâce à la littérature concentrationnaire. –
Le sport : voilà une activité qui fait bougrement du bien au corps. Mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain) nous dit-on. Mais comment avoir un esprit sain quand on est en dessous du seuil de pauvreté ? C’est là où le bât blesse. Dans mon cas, j’ai tendance à prendre la chose à l’envers. Pour essayer d’avoir un esprit sain, ne faut-il pas bouger le corps ? Avoir le courage de faire du footing par exemple ou de faire une marche accélérée. C’est bien ce que je m’efforce de faire au moins trois fois par semaine quand la météo est clémente. Le problème, c’est qu’il m’arrive de culpabiliser lorsque je fais mon footing le matin et que je croise des personnes au volant de leurs voitures, qui vont au travail. Je me dis parfois que c’est quand même un luxe de faire du sport en croisant « la France qui se lève tôt. » Parfois aussi, je les envie. Oui. Comme eux, j’ai besoin que mes projets se concrétisent. Comme eux, j’ai besoin d’avoir une voiture et de prendre à nouveau la route de mon bureau. Après tout, même quand j’assurais la direction artistique de Fest’Africa, je faisais souvent le footing le matin. J’ai toujours été sportif, pas au sens professionnel du terme. Quand j’étais jeune et beau, j’étais un passionné du foot. Je touchais au ballon tous les jours. J’ai aussi fait du vélo. Heureusement que j’avais fait tout cela dans ma jeunesse. Aujourd’hui, dans ma descente aux enfers, les restes du sport me permettent encore d’avoir plus ou moins un esprit sain dans un corps sain.
5 – Tous au Stade de France pour un concert géant au nom de la diversité, de la fraternité et de la solidarité.
C’est quand même fou de se dire que ce type-là, vulnérable parmi les plus vulnérables de France, damné parmi les plus damnés de la terre, ce cancéreux de l’assistanat-là, rêve d’organiser un concert au Stade de France. Eh oui ! C’est bien de ce rêve géant qu’il s’agit. Ma certitude, c’est que malgré les injustices sociales, je crois en l’humanité. Je crois à la force de solidarité des artistes français ou d’ailleurs. Je crois à leur désir d’empathie. Je suis convaincu de leur capacité à déplacer les montagnes. Ils chantent en chœur Les enfoirés, sol en si, noël ensemble… Ils ont pris la relève de Coluche, ils s’investissent dans la lutte contre le sida et défendent d’autres causes aussi nobles les unes que les autres.
Ils s’appellent Jean-Jacques Goldman, Obispo, Line Renaud, Francis Cabrel, Yannick Noah, Zazie, Jane Birkin, Maxime Le Forestier, Jean-Claude Casadessus, Ayo, « M », Manu Dibango, Nolwen Leroy, Marc Lavoine, Bernard Lavilliers, Kassav, Christophe Mae, Manu Chao, Amel Bent, Idir, Youssou N’Dour, Angélique Kidjo, Césaria Evora, Emmanuelle Béart, Josiane Balasko, Jamel Debbouze, Joey Starr, IAM, Zebda et tant d’autres. Ils luttent contre la faim, le mal logement, le sida et autres maladies rares, le racisme etc.
Cette France de la diversité, de la fraternité et de la générosité existe bel et bien. C’est cette France de l’espérance qui me fait rêver. C’est vers elle que je me tourne. C’est à elle que je lance mon appel pour le concert géant du Stade de France. Un concert, non seulement contre la pauvreté, la misère, mais contre toutes les inégalités sociales en France, en Europe, dans le monde. Un concert en écho aux mouvements de tous les « Indignés » de la terre. Un concert pour la liberté et en solidarité avec les révolutionnaires du monde arabe. Que nous habitions le nord ou le sud de la planète, nous sommes tous interdépendants.
« Un concert, oui. Mais après ? » Pourra-t-on me demander. Voici ma réponse : dans mon esprit, ce concert est le premier acte du projet global Fest’Africa Monde. Les ressources de ce spectacle devraient nous permettre de mettre en place la Fondation Fest’Africa (FFA) dont les actions peuvent se résumer ainsi :
– Actions en direction des populations socialement vulnérables de France, d’Afrique et du monde.
– Soutien aux sociétés civiles d’Afrique qui œuvrent pour la bonne gouvernance et la justice sociale.
– Aide aux réfugiés de guerre et aux immigrés.
– Campagne EN-JEU France-Afrique (Enfance-Jeunesse de France et d’Afrique).
– Campagne de prévention contre le sida. Une campagne menée par la société civile centrée sur le dépistage.
– Promotion de la diversité et lutte contre toutes les formes de discrimination.
– Aide aux artistes en difficulté partout dans le monde. Création des prix littéraires et soutien à l’édition associative. Promotion de la littérature de jeunesse.
– Promotion de la culture de la paix. Construction d’un Centre de Recherches Internationales pour la Paix en Afrique et dans le monde (CRI-PAM).
– Organisation du festival solidaire « Fest’Africa Monde » à Lille et du festival « Fest’Africa sous les étoiles » à N’Djamena (Tchad).
– Création des Espaces Fest’Africa Monde en France et en Afrique.
Alors, « Besoin de vous ! Besoin de nous ! » Besoin des voix pour dire non à la misère de l’humanité.
Que les voix s’élèvent comme la lumière qui fraie des chemins obscurs.
Besoin de vous, du bonheur que vous distillez.
Besoin de vous, du sens critique que vous instillez.
Besoin de vous. De beauté qui nous enchante le cœur.
Besoin de nous, l’autre part indivisible de l’humanité.

pour plus d’informations, reportez-vous aux différentes rubriques du [site de Nocky Djedanoum]Nocky Djedanoum est président de Fest’Africa Monde///Article N° : 10327

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