Tchibemba, parcours d’un bédéiste persévérant

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Tchibemba

Novembre 2008
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Né en 1954 à Kipushi – ville minière située à 30 km de Lubumbashi – Tchibemba fut l’un des premiers dessinateurs à publier une bande dessinée au Zaïre [actuelle RDC](1). Comme beaucoup d’autres, il quitta son pays pour l’Europe à la fin des années 80. À la différence de la majorité de ses collègues, Tchibemba n’est pas parti en France ou en Belgique mais en Grèce, pays peu réputé pour son effervescence en matière de bandes dessinées. Là, confronté à une culture et une langue qu’il ne connaissait pas, il a poursuivi une carrière un peu en marge de la sphère franco-belge.

Dans quel contexte familial avez-vous grandi ?
Fils d’un ajusteur, je suis issu d’une famille de sept enfants. La vie n’était pas facile surtout après la guerre de sécession dans la province du Katanga quelques jours après l’accession du pays à l’indépendance. Mais grâce au scoutisme, j’ai appris à me débrouiller, à faire des petits travaux dans la paroisse (jardinage, nettoyage de véhicules, vaisselle etc.) et à subvenir ainsi à certains de mes besoins personnels et à ceux de mes frères. En ce qui concerne, j’ai commencé à dessiner dès mon plus jeune âge, comme tout enfant mordu par l’art de salir les murs avec un morceau de charbon. J’étais doué dans ce domaine et je peux considérer que cette époque constitue le « début de mon parcours artistique », émaillé des réprimandes et des punitions de mon père. Après la pluie, je faisais quelques croquis sur sable qui émerveillaient toujours mes copains du quartier. Inscrit à l’école primaire Saint Boniface, j’ai été initié au scoutisme où j’ai passé toute ma jeunesse. Je suis resté Sachem (2) jusqu’à l’âge adulte. Une expérience merveilleuse. J’y ai initié beaucoup de jeunes à la vie pratique et au civisme. Il y avait une bibliothèque pleine de livres sur la religion et les activités scouts que les prêtres mettaient à notre disposition. Nous avions toutes les séries des bandes dessinées : La Patrouille des castors, Don Bosco, Mowgli, Tintin et autres.
Comment sont nées vos premières réalisations ?
J’ai commencé à écrire et dessiner des petites histoires d’une à deux pages relatant la vie d’une patrouille dans un camp scout. Les petites affiches que je peignais pour décorer notre coin attiraient l’admiration de mes paires. À l’école, j’obtenais toujours des bonnes notes en dessin ainsi que dans les cours où il y avait des schémas ou des représentations figuratives. La plupart de mes cahiers de dessin ont été confisqués par les enseignants en guise de souvenir. À 14 ans, au secondaire du cycle d’orientation, je dessinais déjà des projets à battre sur cuivre que je vendais à l’atelier d’art du Monastère Notre Dame de Source de Kiswishi où je passais mes vacances. Mes petites économies me permettaient de collectionner des bandes dessinées que j’achetais sur place ou sur commande en Europe par le canal des éditions « Sois prêt », une librairie catholique qui vendait des ouvrages sur le scoutisme.
Dans le contexte familial qui était le vôtre, quel regard portait votre famille sur votre vocation naissante ?
À la maison, mon père était content de voir mes dessins. Il a vite compris ce qui bouillonnait en moi et s’arrangeait pour me fournir régulièrement du papier et des crayons, peut être pour épargner ses murs peints de mes gribouillages au fusain.
Quels ont été vos débuts professionnels ?
J’ai d’abord été admis à l’Académie des Beaux-arts de Lubumbashi où j’ai obtenu mon Diplôme d’État en 1976. J’étais déjà marié depuis un an et en 1977, j’ai été engagé en qualité de dessinateur à l’Université de Lubumbashi. J’ai été affecté au laboratoire de biologie. J’y dessinais à l’œil nu des objets d’après nature dans différentes disciplines : anatomie comparée, ostéologie et myologie, entomologie et enfin la botanique.
Arriviez-vous à en vivre ?
En tant que père de famille, la tâche était rude, le salaire mensuel était insuffisant et ne me permettait pas de tenir les deux bouts du mois. Ainsi, je devais faire parallèlement des travaux ici et là pour compléter mes revenus. Les conditions de vie en RDC étaient et restent précaires sur tous les plans. Je continuais donc à faire de la bande dessinée et des illustrations que je proposais aux magazines Njanja, de la compagnie SNCZ à l’époque, et Mwana shaba de la Gécamines, ainsi qu’à certaines maisons d’éditions religieuses locales. Je soumettais ma peinture aux galeries de la place et je réalisais des motifs décoratifs que je proposais aux sociétés textiles Solbena et Amato Frères de Lubumbashi.
Qu’est-ce qui a ensuite motivé votre installation à Kinshasa alors que vous aviez, malgré tout, trouvé votre rythme à Lubumbashi ?
En 1986, après la publication de mon premier album Cap sur la Capitale par le Centre Culturel Français de Lubumbashi, je fus invité en France – à Troyes – lors de la Décade Africaine où des planches originales furent exposées. Cette plongée dans le monde de la BD a mis fin à ma carrière de dessinateur scientifique. Je décidais de m’installer à Kinshasa où j’ai entamé une collaboration avec la revue Kin Flash et Bédé Afrique de Mongo Sisé qui vient de mourir.
Au final, Kinshasa s’est révélée un tremplin pour l’Europe…
Oui. En 1988, j’ai reçu une bourse d’études du gouvernement hellénique qui m’a permis de m’installer à Salonique en Grèce où j’ai obtenu un diplôme de langue grecque moderne à l’Université Aristote. Arrivé en Grèce, mes premiers moments ont été durs. Je ne connaissais pas la langue et il m’était difficile de communiquer, hormis en anglais. Boursier du gouvernement grec, j’ai trouvé une chambre dans un appartement en cohabitation avec deux étudiants éthiopiens. Cette cohabitation et quelques travaux les week-ends dans les restaurants et plus tard chaque après-midi dans le bureau d’un architecte francophone, m’ont permis d’économiser pour préparer l’arrivée de ma famille, un an après la mienne. Une femme et six enfants, ce n’était pas simple. On a trouvé un appartement dans un quartier populaire avec un loyer abordable. Les enfants ont eu quelques difficultés au départ mais ils se sont mieux adaptés que mon épouse et moi. Aujourd’hui, les moins âgés sont tous à l’université et les aînés sont déjà mariés. En ce qui nous concerne, l’adaptation dans ce nouveau milieu n’a pas du tout été commode. Il fallait se trouver des amis, s’intégrer dans la communauté et vivre une vie normale, « à la grecque »…
Dans ce contexte, avez-vous continué à dessiner ?
En 1990, j’ai publié mon deuxième album, Le Mystère de la Victoire qui a été édité par l’Institut Français de Thessalonique. J’ai également participé à des expositions et des concours à travers l’Europe à partir de 1991, en France mais aussi en Grèce. En 1992, j’ai participé au 12ème Festival international de la caricature organisé, en Italie, par le Studio d’Arte Andromeda, expérience que j’ai renouvelée l’année suivante. En parallèle, je me suis inscrit à l’école des Beaux-arts de Saint Étienne en France ou j’ai obtenu mon Diplôme National d’Arts Plastiques.
Comment avez-vous vécu durant toutes ces années ?
De 1993 à 1997, j’ai enseigné les arts à l’école française de Thessalonique. Puis, les quatre années suivantes, j’ai oeuvré comme dessinateur de presse et caricaturiste au quotidien Macédoine. Parallèlement, je travaille avec des magazines, agences de publicité, studios de dessin animé, des journaux locaux et maisons d’éditions. J’ai également publié trois bandes dessinées en grec aux éditions Dynamitis de Thessalonique et fait des illustrations pour des ouvrages. Enfin, je collabore avec des architectes pour les dessins d’extérieur et d’intérieur de bâtiments.
En bref, 20 ans après, vous n’arrivez pas à vivre de la bande dessinée en Grèce…
Le monde de la BD en Grèce n’est pas comparable à celui de l’hémisphère franco-belge sur le plan créativité. Lors des festivals de bandes dessinées organisés chaque année par la revue Babel à Athènes, on rencontre un bon nombre de dessinateurs de talents. Le seul problème c’est que les maisons d’éditions locales hésitent beaucoup à se lancer dans ce genre des publications. La plupart d’entre elles préfèrent rééditer dans une version grecque les albums étrangers connus pour des raisons strictement commerciales. Les créateurs de bandes dessinées sont soit caricaturistes de presse, soit enseignants, soit illustrateurs de livres didactiques. Très peu ont déjà publié ne serait-ce qu’un album et rares sont ceux qui sont parvenus à graver leur nom dans la mémoire minuscule du monde de la BD hellénique. Par conséquent, le marché est inondé par des « comics » américains que certains libraires avisés importent. J’ai déjà été contacté par certains éditeurs grecs. Nous avons même signé un contrat mais les conditions de travail ne m’ont pas permis de poursuivre cette collaboration.
Quels sont vos projets en tant que bédéiste ?
Mon éloignement géographique de l’hémisphère franco-belge fait que je me sens isolé de mon environnement artistique d’origine, bien qu’Internet ait considérablement rétréci le monde. Mon espoir fervent, maintenant que mes enfants sont autonomes, est de retrouver l’édition francophone. De plus, le retour au bercail a toujours été dans ma tête, mon rêve final. Je projette de rentrer à Lubumbashi dans la mesure du possible afin d’y ouvrir un studio où je compte former des jeunes dessinateurs. Je n’y suis retourné qu’une seule fois il y a 15 ans. En RDC, il existe beaucoup de talents dans le domaine de l’art visuel. Chacun cherche à s’exprimer sur un support facile à trouver sur le marché. Le problème majeur que rencontre chaque créateur de bande dessinée en RDC, c’est la publication de leurs œuvres. J’aimerais, comme mon compatriote Barly Baruti revenir au pays et donner un coup de main.
Pourquoi aspirez-vous tant à retrouver l’édition francophone après une si longue absence ?
C’est assez pragmatique. En tant que créateur de bandes dessinées, mon regard est plus attiré vers un espace où la diffusion d’une création peut atteindre un nombre important de lecteurs. La langue joue un rôle capital pour accéder à cet objectif. Or, ce n’est pas faire offense à la Grèce que de dire qu’hormis à Chypre, la langue grecque est peu parlée ailleurs. Quand vous produisez en français, vous touchez un public très large, réparti sur plusieurs continents, en particulier dans le domaine dans lequel j’ai dû me spécialiser, la bande dessinée éducative. Enfin, dans ses projets personnels, un bédéiste se nourrit de son environnement, de sa réalité quotidienne, et l’Afrique me reste toujours plus proche. Et puis, j’ai une vision très prometteuse de la BD africaine en particulier concernant les dessinateurs congolais, très présents en Europe. J’ai envie de participer à cette émulation.

(1) Cap sur la capitale, publié au milieu des années 80 à Lubumbashi.
(2) Sachem : dans le scoutisme traditionnel français, le sachem est un scout qui a reçu son totem et son qualificatif, lors d’une cérémonie. Dans d’autres pays francophones, le sachem est un responsable régional ou local.
Depuis novembre 2008 :
Tchibemba vit maintenant en Belgique, à côté de Mons. Il a publié en 2010 Des clandestins à la mer chez Coccinelle BD, sur un scénario de Pie Tshibanda.///Article N° : 10192

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