« Il faut être fidèle à soi-même mais c’est dur de nos jours. »

Entretien de Samir Ardjoum avec Khaled Benaïssa

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Auréolé de plusieurs prix, Sektou du jeune réalisateur algérien, Khaled Benaïssa, continue de mener une vie rentable. Voici un entretien réalisé en juin 2009 où le cinéaste revenait sur les notions fondamentales de son cinéma, l’espace et le temps.

Le cinéma n’est pas venu par hasard. A la maison, et du fait que mon père, Slimane Benaïssa, était comédien, j’ai très vite été bercé par cette famille. On parlait toujours de fiction, d’imaginaire, de mise en scène et rapidement je voulais raconter des histoires avec beaucoup d’humour. Cette manière est fondamentale pour moi car elle me permet d’attraper un sujet grave et d’en décortiquer toutes les facettes afin d’extraire de l’humour. Le message passe mieux que si je l’avais traité avec gravité. Et puis, il y a aussi mon frère, Mehdi, qui est encore plus habité par le cinéma que moi et qui avait effectué des études cinématographiques à la FEMIS. Je ne pouvais donc pas passer à côté de cet art qui représente quelque chose de symbolique. Je m’y suis identifié assez rapidement. C’en est devenu vital !
Quel fut ton premier choc cinématographique ?
Sans réfléchir, Le Grand Bleu de Luc Besson. J’en garde un très beau et très fort souvenir, la salle, l’ambiance, la personne qui m’avait accompagnée et qui est encore critique de cinéma. Sinon, je me souviens de toute la filmographie de Bruce Lee qui avait eu un sérieux impact sur moi….sans doute parce que cela me renvoie à l’époque où je pratiquais le karaté (rires). Cyrano de Bergerac que j’avais vu avec mon père la première fois où je suis allé en France. Danse avec les loups…
Tous ces films traitent du fantasme comme dans Sektou où l’on sent une rupture entre rêve et réalité ?
Cette notion m’est très importante car elle m’a constamment habité du lycée à la fac en passant par mes études d’architecture. Je ne suis pas forcément un rêveur car il n’a plus de sens s’il est détaché de la réalité. Faire un film, c’est l’interprétation d’un rêve et le fait que j’adore jouer avec les mots, tout cela est donc relié.
Comme ton personnage, qui est animateur radio et qui vit cela toutes les nuits.
Absolument ! Une fois, je travaillais sur le courant surréaliste durant mes études d’architecture. L’exercice était intitulé « subjectif de la ville« . J’avais choisi le collage et comme courant le surréalisme. Pour quelles raisons le rêve n’est plus dans la réalité ? Pourquoi la création absolue se fait dans l’inconscience et donc le sommeil ? Cette notion est excitante tout comme celle de l’espace et du temps. Dans l’un de mes précédents courts-métrages, Où quoi comment ?, je réfléchissais déjà sur cela et je la confrontais avec les outils de communication actuels. Je me suis rendu compte que nous étions, par le biais du téléphone portable, très vite ailleurs et donc détaché de la réalité.
Sektou regorge aussi de ces notions ?
Oui, et ça continue de me hanter surtout dans le prochain scénario que je suis en train d’écrire.
Nous sommes donc dans une forme de schizophrénie ?
Tout à fait ! L’Algérien, par exemple, est toujours habité par autre chose comme la télévision et même le colonialisme. Une fois, quand j’étais gosse, je disais : « Les Français, ce sont les étranger, ils sont là-bas. Mais alors où nous nous trouvons quand on est en France ? e. Quand j’étais étudiant, je ne me posais jamais la question : « Où tu vas ? » mais plutôt « Est-ce que tu vas ?« . La Villette (quartier du 19é arrondissement à Paris), par exemple, est devenue une seconde El Harrach (commune de la wilaya d’Alger). Forcément, après les études, nous voulions aller en France car l’histoire nous rattrapait. Nous voulions croquer le monde, et certains étaient curieux donc la France s’imposait majoritairement à eux !
Mais toi, en réalisant Sektou, tu restes dans ton quartier ?
Oui, mais cela m’a permis d’aller ailleurs. J’ai effectué pas mal de voyages grâce à ce film. Et puis, faire un film dans mon quartier ne relève aucunement d’une posture nombriliste. Quand j’écrivais le scénario, je me voyais déjà dans ce quartier. Et puis plus tard, je savais que j’aurais pu le faire n’importe où. D’ailleurs, l’écriture fut très douloureuse. Il y eut beaucoup d’échecs, de remises en question, à un moment donné je m’en même suis éloigné. Et puis je croise Nicole Gillet (Déléguée générale du Festival francophone du film de Namur) au festival Vue d’Afrique de Montréal qui me propose d’envoyer le tout à l’atelier de réécriture de scénario de Namur. J’ai été sélectionné et je l’ai retravaillé intensément pendant une semaine. Au départ, c’était une chronique affublée d’une chute narrative…
Sektou est-il une chronique ?
Oui, mais avant d’arriver à Namur, je n’avais pas forcément toute la construction narrative. Je jetais des idées mais je n’avais pas encore pu les relier. Et Namur m’a aidé dans ce sens.
En t’écoutant depuis le début de cet entretien, et pour l’avoir déjà évoqué, ta manière de concevoir le cinéma relève parfois de la schizophrénie ?
Pourquoi ? Non, je ne pense pas. D’abord, je suis comédien. Je suis curieux du comportement de l’Algérien en particulier et de l’homme en général. Je suis assez passionné et j’ai souvent vu que l’homme évoluait comme un animal. J’ai toujours été sensible à la manière de parler d’un être humain, mais aussi son côté discret. L’échange est pour moi fondamental. Mais oui…sans doute, je suis schizophrène !
Prenons la séquence où ton personnage principal, campé par le comédien Hichem Mesbah, joue avec le son….nous sommes réellement dans une situation d’affections psycho-cérébrales assez fortes.
Oui bien sûr ! Mais nous sommes constamment dans le changement. Il faut être fidèle à soi-même mais c’est dur de nos jours. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Il faut voyager, lire, se bouger, voir autre chose. Nous ne sommes jamais les mêmes ! Et puis, ces gens-là ne m’intéressent pas. Quand j’étais comédien, je voulais dire ce que je pensais, je voulais raconter des histoires tout comme quand tu es cinéaste, même si les sensations sont différentes.
Pourquoi avoir fait des études d’architecture alors que tu es devenu comédien et cinéaste ?
Mais cela se complète avec mes objectifs. Le décor, pour moi est aussi important que la caméra. L’architecture, la perspective, tout cela est travaillé dans Sektou. Quand j’intègre une voiture, signe d’extérieur par excellence dans une chambre et un lit, signe d’intérieur par excellence dans une rue, c’est tout un parallèle que j’entretiens avec l’Algérie et l’artiste. Tout cela n’est pas anodin ! Me concernant, je n’ai pas quitté l’Algérie, mais dans mon esprit, j’étais ailleurs quand j’écrivais Sektou…Sektou, c’est le résultat de nombreux voyages !
La thématique du voyage est assez récurrente dans tes propos ?
Oui, mais je ne me déplace pas, je voyage par curiosité. La culture s’aère, j’en ai besoin aussi !

///Article N° : 10067

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