Cameroun : rap cherche messie

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Depuis trois ans, le rap est un véritable phénomène à Yaoundé et Douala, les deux principales métropoles du Cameroun. Le mouvement fait du chemin et emballe des millions de mélomanes. Malheureusement, il ne trouve toujours pas un échos favorable auprès des producteurs du pays.

Imaginez une fille charmante et ravissante, très appréciée de tous, mais qui ne trouve pas de mari. C’est à peu près le cas du rap au Cameroun. Depuis plusieurs années en effet, les Camerounais qui tombent sous le charme de cette musique se comptent par millions. Les spectacles de rap organisés à Douala ou à Yaoundé drainent constamment une marée humaine. Bien plus, dans de nombreux quartiers, le look rap est la chose la mieux partagée. Il n’est pas exagéré de dire qu’à Douala et Yaoundé, chaque jeune est rappeur, ne serait-ce que par son accoutrement ou sa manière de marcher.
En janvier dernier, dans la salle des spectacles du centre culturel français Blaise Cendrars de Douala, le groupe Bantou Posse avait été ovationné longuement par une foule compacte. A Yaoundé, tous les dimanches, dans le cadre du rendez-vous baptisé « Sunday Rap », l’espace African Logik s’avère exigu pour contenir les nombreux spectateurs venus vivre le show. Les play-back dans les boîtes de nuit comme Byblos night-club ou Big Ben’s ou encore à la télévision sont très prisés. La grande affluence ainsi observée à chaque rendez-vous rap, tranche net avec le peu d’intérêt que les producteurs camerounais portent au rap. Parfois, ce petit intérêt s’apparente au dédain.
Rareté des albums rap
Les producteurs du pays ouvrent rarement leur portes et leurs poches aux rappeurs camerounais. Pour eux, le rap est un très mauvais risque. Ce qui explique sinon l’absence, du moins la rareté des produits rap made in Cameroon sur le marché discographique national. Les albums rap se comptent sur les doigts de la main. Africa be tam se jem, titre du tout premier album de Bantou Klan, groupe basé à Yaoundé et créé en 1993, est sorti en mai 1998. Il y a quelques mois, le groupe Authentic clik balançait aussi sa première cassette aux férus du rap. Benjo Style les avait précédés sur ce chemin. La liste n’est pas exhaustive, mais sa maigreur reflète la réalité.
Des experts avancent plusieurs thèses pour expliquer cette situation à tout le moins paradoxale. Pour Chinois Yangeu, promoteur culturel et organisateur de Festi-rap-ta Malta (festival qui regroupe en février à Douala, une vingtaine de groupes de rap), les rappeurs camerounais manquent d’originalité. « Au Cameroun, soutient-il, le rap n’a pas d’identité propre, contrairement à la Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali. » De fait, 80% des lyrics écrits par des rappeurs, ici, sont les produits du plagiat. Il n’est pas rare de retrouver des mots comme métro, neige, RER dans les textes. Bien plus, de nombreux rappeurs camerounais adoptent le look des rappeurs américains et français. « Ils portent de gros jean’s, des tee-shirts, des gros blousons, des baskets comme les Américains« , note Chinois Yangeu, avant d’ajouter : « Et pourtant, les boubous traditionnels camerounais pourraient bien leur seoir« . Le défaut d’originalité rend donc la plupart des oeuvres des rappeurs camerounais peu attrayantes aux yeux des producteurs sérieux. Mais ce n’est pas la seule explication.
Les producteurs sur le banc des accusés
Les rappeurs, eux, pointent un doigt accusateur sur certains « aventuriers » qui se retrouvent dans le domaine de la production. Tous les posses sont unanimes : les producteurs camerounais sont les fossoyeurs du rap au Cameroun. « Les producteurs que nous rencontrons ici ne sont en réalité que des vendeurs de cassettes« , constate amèrement Guchi-K, le rappeur de Bantou Posse. Selon cet étudiant de 20 ans inscrit en première année Maths-Informatique de l’Université de Douala, les producteurs font des investissements à court terme. « Ils veulent produire un groupe et gagner de l’argent tout de suite« , fait remarquer Guchi-K. Avis partagé par Kul Ben, le chef du posse « Fureur d’union ».
Les rappeurs s’insurgent aussi contre la volonté de certains producteurs de leur imposer un style de musique qui ne leur convient pas. « Lorsque nous allons voir un producteur sensible à ce que nous faisons, il s’engage à nous soutenir financièrement, à condition que nous changions soit de beat, soit de mix tape« , témoigne Moïse, dauphin au Rap tour 97, concours de rap organisé par Contact média à Douala, il y a deux ans. Pour de nombreux rappeurs, l’amateurisme des producteurs camerounais est un obstacle à l’éclosion du rap dans ce pays. En fait, le mouvement rap existe au Cameroun ; mais il a besoin d’un catalyseur, d’une personne qui pourra lui donner une impulsion véritable. Les rappeurs, les promoteurs culturels, les animateurs radio pensent que ce messie ne peut venir que du monde des affaires des finances.
« C’est peut-être vrai ; mais je reste convaincu que le rap au Cameroun a beaucoup plus besoin des gens qui réfléchissent que de l’argent », martèle un producteur. Pour ce dernier qui requiert l’anonymat, l’absence d’une véritable politique du rap est le vrai problème de ce rythme au pays de Menelik, Manu Dibango, Francis Bebey. « Une bonne politique du rap conçue par des gens compétents devrait montrer comment mettre en place des structures d’encadrement des rappeurs et de promotion du rap, d’une part, et comment produire le rap, d’autre part », conclut-il.
Des solutions en perspectives
C’est peut-être vers cette nouvelle voie que commencent à s’orienter de nombreuses réflexions. La Maison des jeunes et des cultures (MJC) d’Akwa, une structure de l’Archidiocèse de Douala, vient d’initier Diffurap. A travers ce projet, la MJC voudrait recenser tous les groupes de rap et tous les rappeurs de la capitale économique du Cameroun. Ensuite, elle leur donnera une formation sur le rap au cours de nombreux ateliers animés par des spécialistes. « Notre objectif, c’est de favoriser la production des rappeurs« , lance Alphonse Touna, le responsable du projet. Tel semble aussi être le but poursuivi par Chinois Yangeu. Ce promoteur culturel a lancé en juillet dernier The hip hop family show (HHFS). « Dans son principe, le HHFS est une série de compétitions au cours desquelles les rappeurs improvisent, font des rimes, racontent des histoires, sous la supervision d’un jury« , explique Chinois Yangeu. Et de conclure : « A la fin, les dix meilleurs groupes ou artistes seront retenus pour la réalisation du premier album rap 100% hip hop camerounais« .
Jusqu’ici, les festivals, les play-back dans certains night-clubs, à la radio et à la télévision, Sunday rap, les Nuits du rap, Rap tour, étaient les seuls rendez-vous des rappeurs de Douala et Yaoundé. A côté de ces initiatives qui visent à promouvoir le rap dans son ensemble, se développe une autre démarche qui consiste à concevoir un plan de carrière pour un groupe. Théophile Mbouma Bissa, animateur radio, s’inscrit dans cette logique. « Je suis en train de boucler un dossier qui prépare le projet de lancement du plan de carrière de Bantou Posse, qui va de l’an 2000 à 2001« , révèle-t-il. Et d’expliquer : « le groupe vient de créer un spectacle ; début novembre 1999, il entre en studio pour l’enregistrement d’une bande son de 12 titres ; début 2000, Bantou Posse effectue une mini-tournée nationale de rodage du spectacle créé ; été 2000, il participe à un certain nombre de festivals en France et Belgique ; en 2001, le groupe prendra part au MASA (marché des arts et des spectacles d’Abidjan)« . Pour Théophile Mbouma Bissa, cette stratégie vise à décrocher des contrats juteux à Bantou Posse au plan international. « Je n’ai pas pu trouver de producteurs au sens professionnel du terme au Cameroun », note-t-il avec regret. 

Repères : la montée du rap au Cameroun
– 1997 : La fièvre du rap secoue les jeunes Camerounais. A Yaoundé, le premier atelier sur le rap est organisé ; 120 groupes prennent part à ce rendez-vous qui a lieu à l’Institut Goethe. A African Logik de Yaoundé, les Nuits du rap connaissent un succès éclatant. A Douala, Rap Tour fait un tabac en milieu jeune.
– 1998 : Le mouvement rap gagne en intensité. A Douala, la radio commerciale aménage une tranche d’antenne aux rappeurs qui font du live. A Yaoundé la télévision réserve des espaces aux rappeurs.
– 1999 : A Douala, en février, Festi-rap-ta-malta est créé. Première édition réussie.Les adultes commencent à s’intéresser au rap. Des chanteurs comme Lapiro de Mbanga flirtent avec le rythme en sortant un album qui contient un titre rap.
Lexique
– Posse : Groupe.
– Beat : Rythme sur lequel un rappeur pose sa voix.
– Mix-tape : Mélodie déjà connue sur laquelle un rappeur pose sa voix.
Lire aussi : article et entretien avec le Groupe Umar CVM (Cameroun) dans Africultures 15. ///Article N° : 1000

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