Othello Théâtre urbain

De William Shakespeare

Mise en scène : Éric Checco
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Les sarcelleries d’Othello en Avignon

Sorcellerie ou sarcellerie ? Quels sortilèges ont donc encore employé les jeunes artistes de Sarcelle et la Compagnie du Voile déchiré qui ont fait salle comble au Collège de la Salle avec Othello durant tout le Off d’Avignon ? Il faut se rendre à l’évidence, c’est avant tout une énergie qui fait plaisir à voir, que la sorcellerie sur laquelle repose le succès de ce spectacle plein d’humour et de dynamisme.
Éric Checco travaille à Sarcelles depuis plus d’une dizaine d’années et développe une esthétique théâtrale qui intègre avec talent les expressions artistiques issues des cultures urbaines. On se souvient par exemple de l’extraordinaire réussite de Pas de quartier qui conjuguait les pratiques de danseurs hip-hop, de human beat box et de slameurs.
Éric Checco s’est lancé aujourd’hui un nouveau défi en s’attaquant à une œuvre classique et a choisi d’adapter la tragédie d’Othello une des pièces les plus problématiques du répertoire shakespearien sur la scène française. Une pièce que l’on jugeait trop barbare au temps de Voltaire et que l’on tenta souvent d’adapter en adoucissant la violence. Sous la Révolution Talma interpréta le rôle d’Othello dans une adaptation de Ducis, puis Vigny à l’époque romantique porta la pièce sur la scène de la Comédie Française. Mais décidément le meurtre de la femme blanche par le cruel et intraitable Maure indignait le public. On jugeait la pièce subversive et indécente !!!
Sans détour, Éric Checco ramène la pièce ouvertement sur le terrain du racisme et ce texte que l’on a longtemps édulcoré, en le réduisant à une tragédie de la jalousie, en occultant l’enjeu racial et le préjugé de couleur, reprend cette fois toute sa force. Loin d’éluder les références à la noirceur repoussante du Maure, bel et bien inscrite dans le dialogue de Shakespeare et les formules violemment négrophobes du texte que l’on coupe traditionnellement quand Othello, enturbanné, est joué par un comédien grimé auquel on attribue d’ailleurs plutôt l’allure d’un Prince arabe et non celle d’un Maure selon pourtant le sens qu’on donne à ce terme au XVIIe siècle, autrement dit un Noir. Or la question de la couleur n’est plus une curiosité dans le parti pris de mise en scène d’Éric Checco. C’est la diversité chromatique de la société d’aujourd’hui qui occupe le plateau, et la couleur d’Othello est abordée frontalement, comme elle peut l’être dans les citées où le vivre ensemble n’exclut pas le racisme et les préjugés.
Le vrai sujet de la pièce n’est pas la jalousie, mais ce que le regard de l’autre définit comme la « sorcellerie du Maure », autrement dit la magie de l’amour qu’il a pu inspirer à la blanche Desdémone au point qu’elle trompe son père, cette sorcellerie que cristallisera finalement le mouchoir et qui se retourne en objet de manipulation, la preuve que l’amour n’était pas dans le talisman égyptien du mouchoir, mais simplement dans les âmes et les cœurs. Aussi la sorcellerie devient-elle sarcellerie sous la plume d’Éric Checco, un calembour qui en dit long sur le parti pris de mise en scène, car au final c’est tout l’ostracisme que vit la banlieue qui est au rendez-vous.
Mais Éric Checco n’a pas choisi de transposer l’histoire à Sarcelles. Le fond vénitien de la pièce et l’imaginaire qu’il suscite nourrissent l’esthétique du plateau. L’univers de Venise est convoqué avec finesse, grâce notamment à un portique en métal qui permet toutes les acrobaties des danseurs. Les ogives orientales, les couleurs rouge et or, les jalousies, les persiennes à claire-voie, les mâts striés de rouge évoquant les gondoles fond surgir les peintures de Canaletto. Les masques du carnaval vénitien, ceux de la commedia dell’arte convoquent aussi l’espace des faux-semblants et de la manipulation dont sera victime Othello qui a beau avancer la poitrine bombée, fier de sa force et de sa dignité, lui qui a séduit Desdémone par les récits de ses aventures se réveille finalement petit garçon capricieux et jaloux face à ses sentiments piqués à vif. Un retournement pathétique que Jean-Claude Muaka mène avec un réalisme étonnant. Et le vaillant guerrier se fait attendrissant et drôle avant d’être gagné par la violence de sa nature africaine qui renaît en lui et apportera la mort à une Desdémone, que Céline Broudin joue avec une fragilité de grande classe. La métamorphose d’Othello en sauvage le corps peint au caolin relève bien sûr du cliché, on retrouve cette vision d’épouvante que l’Afrique suscite dans l’imaginaire occidental, ce moment où Othello redevient un « sorcier cannibale » avec ses peintures de guerre et sa jupe de raphia peut choquer aujourd’hui, mais il s’agit en même temps de ce masque qu’il continue à porter aux regards de ceux qui l’on conduit jusque-là. Le texte de Shakespeare joue justement sur cette métamorphose, à laquelle Éric Checco a choisi de donner une image. Et les chaînes qu’on lui passe au cou finalement avant qu’Othello ne se suicide, font toute la différence. Cette image fantasmatique de l’Africain cruel surgi au coin de la jungle à laquelle il y est enchaîné comme une fatalité, c’est le cliché qui l’enferme. Il ne s’agit pas tant de la vraie nature du Maure, que du cliché dans lequel le complot de Iago la conduit inexorablement, les filets tentaculaires de cette toile d’araignée que représente le racisme. Le maléfice est là, le vrai sorcier, c’est Iago avec son petit uniforme propre sur lui et bien boutonné. La sorcellerie la plus dangereuse n’est pas forcément dans l’exubérance de ce que l’on croit sauvage…

Compagnie du Voile Déchiré
Assistante à la mise en scène : Christelle Garand
Chorégraphies : Erick Touitou
Costumes Fatma Jendli
Avec Romain Abrego, Céline Broudin, Caroline Drivet, Madeleine Ndabo, Réginal Jean Louis, Alice Lebovits, Jean-Claude Muaka, Geoffrey Renaux, François-Xavier Rey-Brot, Coralie Carrassan, Josué Thermilus, Erick Touitou, Franck Vizzone.///Article N° : 8004

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© BM Palazon 2008
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