Le souffle avant-gardiste des plasticiens congolais

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Avec Les arts du Congo, le critique d’art Roger Pierre Turine (1), dresse – dans une approche très personnelle – un panorama critique et précis de l’histoire des arts de la République démocratique du Congo d’hier à nos jours.

Publié dans le cadre de la manifestation Yambi (2) qui a accueilli 150 artistes du Congo (1), Les arts du Congo complétait en beauté les expositions d’arts plastiques – dont Roger PierreTurine était commissaire – qui proposaient un panorama de la création congolaise contemporaine, tout en portant un regard sur les pionniers, les précurseurs et les peintres populaires.
Composé de deux parties : Les arts anciens et Aujourd’hui, ce beau livre d’art va bien au-delà de Yambi et restera un document précieux sur les arts du Congo, pays, qui selon les périodes, aura connu un foisonnement créatif et une longue traversée du désert artistique. Il semblerait au sortir de ce livre, qui donne la part belle à la jeune génération, que le meilleur reste à venir à condition que les artistes d’aujourd’hui – qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes – persévèrent dans leur quête.
Roger Pierre Turine le dit d’emblée dans l’introduction des Arts du Congo, son enthousiasme a été soutenu dans ce projet par sa découverte des artistes congolais qui ont émergé au cours de ces cinq dernières années. Si le panorama est chronologique, sa chronologie a en quelque sorte été motivée par l’envers du temps, la nouvelle génération d’artistes lui donnant envie de retourner sur les traces de leurs aînés.
Les arts du Congo a le grand mérite d’être très documenté, riche d’une iconographie parfois rare comme les planches gravées sur bois de Bela Sara mais aussi d’œuvres contemporaines directement sorties d’ateliers des artistes.
Roger Pierre Turine ne s’est pas contenté de sa connaissance du terrain et de son érudition. Son livre est le fruit d’un long travail d’enquête, de recherches poussées dans diverses archives et auprès de collectionneurs. Il est aussi nourri par un travail sur le terrain, ponctué d’aller et retour qui lui ont permis de rencontrer des pionniers encore vivants comme Pilipili Mulangoy, d’interroger longuement des personnalités comme Cheri Samba et de suivre l’évolution, dans le bon comme dans le mauvais sens, du travail des jeunes artistes.
Ainsi entre 2006 et 2007 Turine ne cache pas sa déception face à l’évolution du travail des Eza Possibles, jeune collectif kinois qui l’avait enthousiasmé une année auparavant. Au contraire, il est conforté par le travail des Lushois du Vicanos ainsi que par celui des Luba-Kat Vitshois et Alain Mwilambwe. Roger Pierre Turine dresse le portrait artistique de cette jeune génération auprès de laquelle il a recueilli des témoignages spontanés et précieux permettant à chaque artiste de commenter son travail, sa démarche et le contexte de sa production artistique. L’auteur prend aussi le temps de s’arrêter sur les figures de proue de cette jeune génération que sont le sculpteur sur douilles Freddy Tsimba, basé à Kinshasa, mais aussi Michèle Magéma (Dak’art 04) et Aimé Mpane (Fondation Blachère Dak’art 06), respectivement basés à Paris et à Bruxelles.
Ce parcours « positivement rétrospectif et utilement prospectif » revient sur les étapes majeures des arts plastiques congolais. Après une rapide ouverture sur les arts traditionnels classés parmi les « trésors de la création universelle » qui étaient à la fois populaires – les arts décoratifs des Luba – et royaux – comme celui des Bashi Bushongo ou Bakuba maîtres d’œuvre de masques somptueux utilisés lors des rites funéraires ou initiatiques, Turine s’engage sur la voix des précurseurs « premiers éléments déterminants d’une modernité ».
À travers les parcours de Lubaki puis Djilatendo tous deux repérés par Georges Thiry, administrateur colonial, il dresse le portrait de deux autodidactes inspirés par leur environnement que leur « mécène » ne parviendra pas à imposer dans les cercles coloniaux ni à Bruxelles lors d’expositions marginalisées.
Viendra alors l’ère de l’École des peintres d’Elisabethville (ex Lubumbashi), expérience unique, concentrée dans l’Atelier du Hangar qui ne survivra pas à la mort en 1954 de son fondateur, le peintre aventurier français Pierre Romain-Desfossés. Quatre peintres s’y seront distingués : Pilipili Mulangoy, Mulongoy, Bela Sara autodidacte (qui a la préférence de l’auteur), Mwenze Kibwanga et Sylvestre Kaballa.
Et puis, comme l’indique le titre d’un chapitre « plus rien ! ». Sur cette longue période de disette dont l’auteur parvient, contre toute attente, à sauver deux noms, Albert Dombe et Thango, il s’interroge sans détour : « comment sont-ils tombés si bas ? ». Sans véritablement s’arrêter sur cet « enlisement d’un demi-siècle » qui n’aura produit que des stéréotypes dans un contexte de « zaïrisation Mobutiste » sur arrière-fond d’héritage colonial, il entraîne le lecteur vers les truculentes seventies qui libèrent la verve chronique d’un Tshibumba et font émerger les non moins truculents Chéri Samba et Moke, maîtres de la peinture urbaine, mais aussi Kingelez dont la renommée n’est plus à démontrer. Mais, et c’est là toute la richesse de son livre, Turine ne se contente pas de mettre un coup de projecteur sur ces artistes reconnus à l’échelle internationale, il en évoque d’autres aussi, tels Bosoku Ekunde, Bodo Pambu, Maître Syms ou encore les maquettistes Botalatala et Richard Kaumba sur lequel il prédit qu’il « faudra compter dans les années à venir ».
La première partie des arts du Congo se clôt sur le « Classicisme et renouveau » de Botembe, directeur aux musées nationaux et de son ancien élève Dikisongele qui se revendiquent comme des héritiers de la tradition qu’ils transcendent dans le Congo d’aujourd’hui.
S’ouvre alors la seconde et dernière partie du livre, sobrement intitulée « Aujourd’hui ». C’est celle qui intéresse le plus l’auteur, celle où il prend le parti d’aller au bout de son projet commentant ses coups de cœur comme ses déceptions. Entièrement consacrée « au bon grain [qui]germait, attachant et enivrant, à l’écart des cercles trop officiels, retranché dans des ateliers encore discrets mais envahis d’entrain », cette partie livre un témoignage vivant, personnel et sensible de la création contemporaine de l’actuelle RDC.
Ainsi Turine présente t – il ceux qui suscitent son enthousiasme, ceux qui ont véritablement motivé les expositions de Yambi et le projet de son livre. Ceux qui « surgis du néant », dans le cadre de collectifs d’artistes ou individuellement, apportent un nouveau souffle aux arts congolais. De ces souffles avant-gardistes, l’auteur donne à voir l’audace, l’inventivité, la diversité d’artistes, pour beaucoup diplômés des Beaux-Arts de Kinshasa, travaillant seuls ou dans le cadre de collectifs, qui, portés par leur art, ont le culot de s’acharner à créer dans un pays enlisé dans une situation politique et économique plus que difficiles.
Vitshois et Alain Mwilambwe, Gulda El Magambo, Sammy Baloji, Béatrice Badibanga, Freddy Mutombo, Nono Katanga, Thembo Kash, Christian Tundula, Pathy Tshindele, Trésor Tetshim, artistes parmi d’autres, issus de cette jeune génération sur laquelle Roger Pierre Turine prend le temps de s’arrêter à travers des portraits, n’hésitant pas à formuler des réserves sur l’évolution d’un travail qui l’avait d’abord enthousiasmé.
Dans cette seconde partie, la parole est largement accordée aux artistes « triés sur le volet de la découverte » et dont les œuvres sont mises en valeurs – fait pas si fréquent pour être souligné – par des photos pleines page qui apportent un bel éclairage sur le travail en mouvement et en construction de cette jeune génération dont les représentants les plus talentueux sont à la fois « acteurs et témoins de réalités plus souvent insupportables que réjouissantes ».
De par sa facture et le soin apporté à l’iconographie, ce livre est un beau livre d’art sur les arts du Congo contemporain mais aussi un témoignage indispensable de l’évolution de cette création contemporaine et du socle bancal sur laquelle elle est assise. Son approche rétrospective ne l’enferme pas dans une vision exhaustive, bien au contraire, c’est un livre ouvert et surtout plein d’espoir sur le renouveau artistique de la RDC et sur la capacité de ses artistes à mettre en œuvre leurs rêves et leurs cauchemars, leurs émotions et leurs colères. Reliés à une histoire de l’art qui ne les paralyse en rien, ces artistes s’abreuvent des échos du monde une liberté créative, souvent engagée et qui ne demande qu’à être préservée.

(1) Basé à Bruxelles, où il est né en 1942, Roger Pierre Turine est critique d’art depuis trente ans (Libre Belgique, Arts Antiques Auctions)
(2) Yambi a accueilli – du 15 septembre au 30 octobre 2007 – en différents lieux de Bruxelles et de Wallonie (+ Paris, Limoges et Anvers) 150 artistes qui ont témoigné de la vitalité et de la créativité congolaise contemporaine. Dans ce cadre, 117 organisateurs ont programmé 322 manifestations culturelles aux couleurs du Congo.
Yambi est le fruit d’un programme bilatéral de coopération internationale initié par le CGRI (Commissariat général aux Relations internationales de la Communauté française) et le Ministère de la Culture du Congo, avec le soutien de la Ministre des Relations internationales Wallonie-Bruxelles et des Autorités congolaises.
///Article N° : 7460

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