Riparo (L’Abri)

De Marco Simon Puccioni

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Présenté en avant-première mondiale au festival de Berlin 2007 et sélectionné dans une cinquantaine de festivals internationaux, Riparo de Marco Simon Puccioni a remporté le Grand Prix et le Prix de la meilleure interprétation féminine (Antonia Liskova) au Festival du cinéma italien d’Annecy. Un parcours respectable pour une coproduction indépendante italo-française qui confirme la personnalité de Marco Simon Puccioni dont c’est la deuxième œuvre de fiction. Le film est sorti en Espagne et aux Etats-Unis, sort en mars 2008 en France et a été acheté pour être distribué dans plusieurs pays européens. Pourtant, en Italie, Riparo n’a pas trouvé de distributeurs. Avec beaucoup d’entêtement du producteur italien du film Mario Mazzarotto, le film est enfin sorti en salles dans la Péninsule le 18 janvier 2008, sur une vingtaine de copies (une seule salle de cinéma à Rome la première semaine, deux salles la deuxième semaine de programmation), grâce a une nouvelle distribution indépendante créée exprès par le même Mazzarotto, la Movimento Film.
Dès les premières images, l’atmosphère est différente des autres films italiens récents sur l’immigration, comme le docu-fiction Lettere dal Sahara di Vittorio De Seta. Marco Simon Puccioni opte pour le réalisme psychologique, en phase avec ce que dégage le décor, ces paysages du riche Nord-est italien mis en valeur par l’excellente photographie du Tunisien Tarek Ben Abdallah, mais pour construire un mélo gelé, un triangle existentiel et amoureux qui confronte trois personnages à la recherche de soi. La quête identitaire, un voyage sans fin, est à nouveau le cœur du film, comme dans le premier film du réalisateur, Quello che cerchi (Ce que tu cherches, 2002), distribué en Italie grâce au soutien de Nanni Moretti avec sa salle de cinéma Nuovo Sacher.
Anna (Maria De Medeiros) a trente-cinq ans, elle est la riche héritière d’une famille d’industriels de la chaussure et elle vit avec Mara (Antonia Liskova), de dix ans sa cadette et ouvrière dans l’entreprise. De retour de vacances en Tunisie, elles découvrent qu’un adolescent marocain, Anis (Mounir Ouadi), était caché dans le coffre de leur voiture et a ainsi traversé clandestinement les frontières. Son but est de rejoindre un oncle qui est supposé vivre à Milan, mais l’oncle est introuvable et Anis, ne sachant pas où aller, revient frapper à la porte des deux femmes. Anna l’accueille dans sa maison et lui trouve même un emploi dans le dépôt de l’usine gérée par son frère. Un équilibre précaire semble s’installer.
Un couple des femmes lesbiennes et un adolescent immigré clandestin : tout trois expriment un malaise lié à la difficulté de se faire accepter par la société italienne mais aussi de s’accepter, de construire une image de soi affectivement et socialement puissante. Puccioni accompagne ses trois personnages avec une caméra très physique et mobile, un rythme qui respire avec les acteurs, qui sont des « immigrés » eux aussi : la Portugaise Maria De Medeiros, la Polonaise (et Italienne d’adoption) Antonia Liskova et le jeune Marocain Mounir Ouadi, croisé en France avec une histoire personnelle très proche de celle du personnage qu’il joue dans le film.
Une étrange et singulière relation familiale semble pouvoir se créer entre les trois personnages en quête de soi, mais les règles du jeu ne sont pas si faciles à comprendre : il s’agit là – dans un style douloureusement froid à la Fassbinder – de révéler les rapports de pouvoir et de classe sociale qui se cachent derrière l’amour et l’accueil. Quelle est la frontière entre amour et manipulation, entre générosité et dépendance?
Anna peut se permettre d’être altruiste, grâce a son niveau social, même si sa mère la méprise et son frère la cajole comme la petite brebis galeuse de la famille. Mara aime Anna, même si son amour a parfois le goût amer de la gratitude pour la bonté de sa copine ou, a l’opposée, se transforme en rébellion pour affirmer son indépendance. Anis à son tour est aidé mais aussi utilisé inconsciemment par les deux femmes pour se révéler et pour s’affirmer (la maternité pour Anna, la féminité pour Mara). Elles ne prennent pas au sérieux l’incapacité d’Anis à s’imaginer – et donc à accepter – un couple de femmes qui s’aiment, « sans mari, sans fils ». Tous trois cherchent un abri où se sentir mieux, mais ils devront fatalement sortir à découvert.
Puccioni situe l’histoire du film dans une petite ville près d’Udine, où les patrons des usines peuvent donner du travail aux immigrés, mais aussi sortir des pistolets et renvoyer tous le monde pour ouvrir de nouvelles usines à bon marché en Roumanie. Et où le monument principal est une chaise géante: absurde et involontaire métaphore d’une réalité immobile, en contrepoint du monde qui bouge, qui change et qui se mélange…
Le rêve d’une famille nouvelle et différente, à réinventer, se brise une fois que Mara, Anna et Anis comprennent que ce qu’ils cherchent (pour paraphraser le premier film de Puccioni) ne se trouve pas dans un miroir. Il est encore loin, à venir. Mais il faut toujours y croire, en courant comme Anis qui se perd à la fin du film, englouti par les champs de maïs.

///Article N° : 7266

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