Du tangible au virtuel, la mise en valeur du patrimoine au Gabon

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Nous avions publié par erreur une version erronée de cet article en octobre dernier. En voici la bonne avec toutes nos excuses à son auteur.

Le Gabon devient indépendant en août 1960. Cette reconnaissance officielle ne suffit pas à faire d’un territoire et d’un ensemble hétérogène de populations un état nation. Le gouvernement comprend rapidement que la prise en charge de son patrimoine culturel permettra de démontrer la maturité du pays. Le développement de la recherche contribue à la préservation de l’identité culturelle, qui permet l’épanouissement de la conscience nationale ferment et ciment de l’unité nationale que le pays a besoin de bâtir pour se développer.
Le développement culturel au service du développement économique et social c’est l’exemple que le Gabon prétend soumettre à l’Afrique Centrale, au continent, au reste du monde.
L’utilisation du patrimoine culturel dans la construction de l’identité nationale.
Libreville organise en 1974 le Premier Festival Culturel National, en marge de ce festival est ouvert un colloque sur le thème : « Culture et Développement ». Les allocutions qui font référence à la période coloniale la présentent, sans surprise, comme une période de régression, d’acculturation et de violence de laquelle le pays est sorti amoindri. Les traditions ont été combattues, certaines se sont perdues et il est nécessaire d’étudier et de recueillir leurs traces, partout dans le pays, afin de se redécouvrir et de transmettre aux jeunes générations les valeurs traditionnelles constitutives de l’identité nationale.
Le traumatisme colonial a fait naître un besoin de reconnaissance important. Tout ce qui constituait les spécificités des peuples du territoire à la période précoloniale a été largement dénigré par les colons, les structures de la vie de groupe ont été bouleversées, les colons ont imposé un mode de vie basé sur une philosophie proprement européenne du progrès qui a montré sa capacité à dominer par la force. Au sortir de cette période, les gouvernements gabonais expriment leur désir de prouver au monde la force et la richesse des cultures qui ont été saccagées. Au-delà du désir, il s’agit d’un besoin de trouver des référents communs aux différents groupes qui sont appelés à constituer la nation. Le Gabon est divisé par les langues et les cultures de ses groupes en dépit d’une origine bantoue commune à la majorité de la population.
Les présidents du Gabon : Léon Mba (1960-1963) puis Omar Bongo Ondimba (au pouvoir depuis 1967), à qui 40 ans au pouvoir confèrent un rôle primordial dans le développement de cette politique, deviennent, verbalement, les chantres de la décolonisation des esprits qui passe par « la préservation de l’originalité et de la personnalité gabonaise » face à la menace de la globalisation culturelle.
Depuis le début du 20e siècle les Européens collectent et ramènent en Europe, les masques Fang, les reliquaires Kota, qui font forte impression à Drouot et sont très appréciées des artistes et collectionneurs d’art africain. Le patrimoine artistique et culturel, source de fierté nationale, devrait permettre de fédérer les peuples du territoire et de faire naître le sentiment national. Chacun pouvant ressentir et revendiquer sa fierté d’appartenir à un pays dont la culture est si riche.
La mise en place des institutions dédiées à la mise en valeur du patrimoine culturel.
La naissance du Musée National des Arts et Traditions de Libreville (1)

L’unique institution muséale du pays, située dans sa capitale est le fruit d’une longue collaboration du gouvernement et de l’ORSTOM (2), dont la mission est définie par la convention signée en 1960. Le gouvernement confie à l’ORSTOM la mission de « recueillir et d’étudier les expressions traditionnelles du Gabon, ainsi que d’envisager la création d’un musée ». Les ethnomusicologues travaillent sur le terrain à recueillir des enregistrements audiovisuels de chants, de rites et plus généralement de faits de la vie sociale. Leur travail de collecte et de transcription permet la constitution d’une très riche banque de données ethnomusicologique de près de 1000 heures d’enregistrement (3). L’ethnologue Louis Perrois rejoint Pierre Sallée, ensemble ils continuent la collecte d’objets sur tout le territoire gabonais afin de constituer une collection représentative des expressions artistiques et des modes de vie des différents groupes du pays. En 1963, le président Léon Mba inaugure le Petit Musée dans une villa de la Montagne Sainte.
Rapidement les locaux deviennent trop exigus pour les collections et le musée est installé dans un bâtiment plus vaste sur l’avenue de la présidence. L’inauguration du Musée des Arts et Traditions par le président Omar Bongo a lieu en 1967. Les collections sont alors composées de plus de 1000 objets, dont 617 sont présentés au public au sein d’un espace de 210m2, faute de crédit et d’espace ceux qui ne sont pas exposés meublent les réserves.
En 1974, le jeune anthropologue gabonais Jean-Emile Mbot remplace Louis Perrois à la tête du musée, l’institution passe de la tutelle du Ministère de l’Education Nationale à celle du Secrétariat de la Culture et des Arts. La convention entre le gouvernement et l’ORSTOM n’est pas renouvelée et en 1975 la gestion du musée passe aux mains des gabonais. L’année 1976 est marquée par le transfert des collections vers leurs locaux actuels dans une annexe de l’immeuble Elf-Gabon, le musée est alors rebaptisé Musée National des Arts et Traditions.
La naissance du CICIBA (4)
La création du Centre International est une initiative du président Omar Bongo. Proposée lors de la première conférence des ministres de la Culture de la zone Bantu à Libreville en 1982, la convention intergouvernementale portant sur sa création est ratifiée l’année suivante. La création d’une telle institution rencontre les préoccupations africaines sur la régionalisation des efforts du développement, particulièrement dans le domaine culturel. Les pays signataires sont : l’Angola, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, Sao Tome et Principe, la République Démocratique du Congo, le Rwanda et la Zambie.
Le siège du CICIBA est édifié à Libreville, entre les quartiers de Delta Postal et Okala Ville, au frais du gouvernement gabonais. Ses frais de fonctionnement sont partagés entre les pays membres, à leurs cotisations s’ajoutent des aides internationales, de l’UNESCO en particulier.
La mise en place d’un centre des cultures et des civilisations bantoues répond au désir de mettre en valeur l’origine commune des peuples et les similitudes des cultures développées au sein de l’espace bantou. Il s’agit de recréer une unité culturelle perdue, par le biais de la préservation, de la valorisation de la culture et du patrimoine artistique contemporain, comme expression d’une tradition esthétique purement bantoue.
La première biennale de l’art contemporain bantou du CICIBA est organisée à Libreville en 1985, patronnée par son instigateur le président Omar Bongo. Les artistes venus de tous les états membres y exposent leurs œuvres. Depuis, sept capitales des pays membres ont accueilli la grande exposition d’art contemporain selon un rythme irrégulier. Les entreprises mécènes décernent des prix de valeur très variable aux artistes lauréats afin de les encourager dans leur démarche et de leur permettre de continuer à travailler dans des pays où il n’existe pas de politique de soutien active à la création contemporaine.
Le « portail culturel » du Gabon et le « Musée Virtuel »
Le Gabon s’enorgueillit d’avoir été le premier pays à mettre en ligne un Musée Virtuel des Arts et Traditions (5) en Novembre 2006. Le site est la première pierre d’un projet plus vaste, un véritable « Parc Virtuel de la Culture » devrait être mis en ligne dans les années à venir. L’agence française Novacom (6) conçoit et réalise les sites, où l’alliance des images de synthèse, textes, photographies, documents audio et vidéo crée un environnement agréable et propice à une découverte poussée des ressources mises en ligne. Gabon Télécom, Libertis et Total Gabon financent le projet.
Pour compléter le premier volet étaient prévues la création des Pavillons Virtuels « du CICIBA » et des « Arts Contemporains du Gabon ». Dès après l’ouverture du Musée Virtuel les équipes ont commencé le travail de documentation nécessaire à la réalisation des sites à naître. Aujourd’hui, il semble que ces réalisations soient mises en attente au profit de la réalisation de sites promouvant la nature et les parcs nationaux gabonais, opportunité permise par la collaboration de Novacom avec la Wildlife Conservation Society du Gabon et la Présidence. Cette initiative traduit « la volonté du président et du gouvernement en faveur d’une politique très active de conservation, de protection et de promotion du patrimoine ».
Une des idées maîtresse est de permettre à la collection virtuelle de s’enrichir grâce aux échanges de documents (photographies de masques et statuettes, document audio et vidéo) avec les institutions muséales étrangères et les collectionneurs du monde entier. Sur les 250 œuvres actuellement présentées sur le site, seules 80 % appartiennent au Musée National, les autres sont « prêtées » par le Musée de l’Homme de Paris, le Musée d’Ethnographie suisse de Neufchâtel, le Musée National d’Anthropologie de Madrid pour ne citer qu’eux. Le collectionneur parisien Gérard Boyer a mis à disposition une partie de sa collection.
On peut également feuilleter sur le site un carnet de voyage, dont le contenu vient compléter celui du Musée Virtuel.
Ce Musée Virtuel est unique, il permet au Gabon de présenter au monde une partie de son patrimoine artistique, historique et culturel. Il faut bien avouer cependant, que si l’esprit associe rapidement Musée Virtuel et Musée National, les deux structures n’ont rien à voir. On peut regretter que l’investissement se soit focalisé sur la promotion à l’étranger (on n’accède pas au site avec les connexions bas-débit disponibles au Gabon) alors que le Musée National a cruellement besoin de subsides.
État des lieux de la mise en valeur du patrimoine.
Depuis la mise en place du nouveau gouvernement gabonais (25 janvier 2007) qui fait suite aux élections de décembre 2006, Madame Blandine Marundu est ministre de la Culture et des Arts en remplacement de Monsieur Pierre Marie Dong décédé en décembre. Le chantier de la Culture est important, aucun doute que Madame le ministre sera bien occupée.
Le Musée National des Arts et des Traditions de Libreville a rouvert en juin 2005 après quelques mois de fermeture pour remise en état. L’exposition n’avait pas été renouvelée depuis 1977 et devant le triste spectacle offert par les vitrines poussiéreuses un « lifting général » avait été décidé. Pour les 3000 objets que compte aujourd’hui la collection peut-on vraiment parler de mise en valeur ? En dépit de la bonne volonté affichée par l’état, le musée a surtout bénéficié des efforts et de l’énergie que l’équipe, menée par la Française Gwenaëlle Dubreuil et dirigée par le musicologue gabonais Ludovic Obiang, a bien voulu lui consacrer. Il a fallu nettoyer de fond en comble un espace qui avait été laissé presque à l’abandon depuis deux décennies. Les inondations successives des réserves sont venues compliquer encore la tâche de la petite équipe. On parle beaucoup à Libreville d’un nouvel espace pour le musée, inspiré du musée virtuel, mais les paroles s’envolent et le musée restera sans doute indéfiniment associé à l’immeuble Total. On ne peut qu’espérer que si les volontaires qui ont repris en main l’institution venaient à quitter leurs fonctions, le ministère de la Culture et la Présidence ne se désintéresserait pas à nouveau du musée.
Les résultats du réaménagement sont positifs : depuis janvier 2006, en six mois, le musée a fait plus d’entrées qu’il n’en avait faites depuis 1988. Un des objectifs de l’équipe du musée est de draguer le public scolaire afin de familiariser les jeunes gabonais avec leur patrimoine et de leur transmettre des traditions dont on dit qu’elles pourraient disparaître, si la jeunesse ne s’y intéresse pas. Le nombre de visiteurs étrangers en 2006 est deux fois supérieur au nombre d’adultes gabonais. Les élèves gabonais ont été les plus nombreux, ce qui semble indiquer qu’en développant des cycles d’ateliers pédagogiques conçus pour les plus jeunes, le musée visait juste. On ne peut cependant pas crier au miracle, le musée est vide la plupart du temps, il est touché par les coupures d’électricité comme le reste de la ville et aucun chauffeur de taxi ne vous y conduira si vous ne précisez pas « immeuble Total ».
L’avenir du CICIBA est plus incertain encore. Le site d’Okala Ville évoque la zone de combat plus que l’espace de culture. Le bruit circule que les militaires français s’y entraînent. Armés de paint-ball, ils s’exercent sur cet immense terrain de jeu laissé à l’abandon, où les habitants du voisinage sont venus s’approvisionner en tôle, bois, matériaux de construction en tout genre, dépouillant si méticuleusement l’édifice, qu’il n’en reste sur place que la fantomatique structure.
Réunis à Libreville en juin 2005 les ministres de la culture des onze états membres ne peuvent que constater la faillite du projet. Un audit de l’UNESCO dénonce de graves problèmes de gestion et révèle qu’à peine 10 % des objectifs du centre ont été réalisés. Le manque de stabilité en Afrique Centrale ces vingt dernières années a contribué à détourner l’attention et les moyens de ce projet pharaonique ; le désengagement de certains membres se traduit par des arriérés de cotisations s’élevant à plus de 4 millions d’euros (2,7 milliards de CFA).
Le projet de carrefour culturel n’est cependant pas abandonné. L’UNESCO contribue à la redéfinition des objectifs et des missions du centre. L’équipe dirigeante est changée : l’ambassadrice congolaise de Kinshasa Marie-Hélène Mathey-Boo est nommée Directrice, ce qui ne va pas sans critique ; certains auraient préféré voir un scientifique à la tête de l’institution. Depuis maintenant plus d’un an, sa très réduite équipe (moins de dix personnes) travaille à la renaissance du projet dans une villa du quartier Plein Ciel où ont été rassemblées les œuvres des biennales qui ont été récupérées à temps. Les anciens partenaires sont déçus et désillusionnés, il faut les reconquérir et trouver des nouveaux bailleurs de fonds susceptibles d’être séduits par la possibilité d’un investissement, alors que les pays membres, à l’exception du Gabon qui défend son rêve, semblent manquer d’intérêt pour le Centre.
Le président Omar Bongo s’est engagé publiquement en faveur d’un développement du tourisme culturel sur le territoire gabonais. Il a décidé de donner au pays les moyens d’attirer des voyageurs, en leur proposant une fenêtre ouverte sur le Gabon qui puisse compenser les a priori et le manque d’information dont on dispose habituellement sur l’Afrique.
Quand on regarde le pays depuis l’extérieur, on croit percevoir un petit miracle africain de mise en valeur du patrimoine. En débarquant à Libreville, on se confronte à la question du décalage entre ambitions affichées et réalité des faits. Une plateforme virtuelle, aussi réussie soit elle, ne peut compenser le manque d’infrastructure.
Si le projet du Parc Virtuel de la Culture semble porteur, ne constitue-t-il pas une façade purement virtuelle, un leurre onéreux ? Ne prive-t-il pas les institutions culturelles du pays des subventions dont elles ont besoin pour se hisser à la hauteur des prétentions officielles et éviter aux touristes, guidés au Gabon par un mirage, une fâcheuse désillusion ?

1. http://www.numibia.net/gabon/
2. Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer créé en 1943, devenu Institut de Recherche pour le Dévelopement en 1998 – http://www.ird.fr/
3. Cette collection est l’œuvre de Herbert Pepper (1957-1965) et de Pierre Sallée (1966-1974)
4. Centre International des Civilisations Bantu – http://www.ciciba.org/
5. www.gabonart.com
6. Agence de conseil en communication et marketing, basée à Paris, Novacom http://www.novacom-groupe.net/ travaille également pour le gouvernement gabonais qui lui a confié la réalisation du site http://legabon.org/ qui présente en français et en anglais les possibilités d’investissement dans le pays.
///Article N° : 7054

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