Goodbye Bafana

De Bille August

Goodbye Mandela
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Légère controverse autour de Goodbye Bafana : le film est inspiré des mémoires du geôlier de Mandela, James Gregory, dont le leader noir sud-africain a affirmé dans ses propres mémoires (1) que celles de James Gregory étaient totalement fantasques à son égard. Nelson Mandela et James Gregory n’auraient jamais été amis, mais bien prisonnier et geôlier. Ce dernier, chargé de censurer les lettres personnelles des détenus, s’en serait inspiré pour rédiger un livre dont les revenus lui ont assuré une retraite confortable.
Bille August n’aime pas discuter de cette affaire dont il s’est dédouané au festival de Berlin, affirmant qu’il n’y avait là que différence d’opinion sur un sujet sensible et qu’il avait d’ailleurs soigneusement évité les déclarations les plus controversées du livre. Le site officiel du film (goodbyebafana.com) explique que le réalisateur a eu l’occasion de s’entretenir longuement avec la famille de James Gregory, décédé en 2003, mais qu’il est malheureusement  » très difficile d’approcher Mandela. C’est un monsieur âgé, très entouré.  » On soupçonne que ce n’est pas la seule raison de son refus.
James Gregory, fonctionnaire zélé du régime de l’Apartheid, est choisi pour superviser l’incarcération du chef de l’ANC et son rapport très limité avec l’extérieur parce qu’il parle la langue maternelle de Mandela, le Xhosa, apprise sur la ferme paternelle du Transkei où ses seuls amis de jeux étaient des enfants noirs.  » Bafana  » signifie  » enfant « ,  » boy  » en anglais et donc par extension,  » serviteur  » (c’est aussi le nom de l’équipe nationale de football,  » Bafana Bafana « , les  » boys « ). Il est sans doute regrettable qu’un film sur Mandela s’intitule  » Goodbye Bafana « , phrase prononcée par Gregory lorsque Mandela est enfin libéré. Pour Gregory, Mandela est la réincarnation de son ami d’enfance. Pourquoi son amitié si forte avec ce garçon jamais oublié, dont la photo figure dans l’album familial, dont James Gregory porte l’amulette en permanence contre son cœur, ne l’incita pas à douter de l’Apartheid indépendamment de sa rencontre avec Mandela ? Celui-ci était-il d’ailleurs le saint décrit par le film, toujours maître de ses troupes révolutionnaires non-violentes, allant jusqu’à transcender l’injustice qu’il subit pour aider le fils de son geôlier à réussir ses examens de droit alors que James Gregory est peut-être responsable de la mort de Thembekile Mandela, son propre fils ? A-t-il vraiment absous James Gregory de toute responsabilité, alors que celui-ci avait pour devoir de l’espionner et de déjouer ses plans politiques ? On peut en douter et être finalement rassuré de découvrir que  » Goodbye Bafana, d’après les mémoires du geôlier de Nelson Mandela  » ne fait que retranscrire le fantasme d’un fonctionnaire anxieux de se laver de cette culpabilité mondialement partagée. Goodbye Bafana n’est pas un film sur Mandela mais bien sur son geôlier, désireux de partager la notoriété de celui dont il connaît la vie privée pour avoir systématiquement censuré son courrier.
Bille August explique son choix artistique : « Dans une fiction, il est très difficile de mettre en scène un homme parfait. C’est pour cela que j’apprécie tellement Amadeus de Milos Forman. La bonne idée était de raconter l’histoire de Mozart en prenant le point de vue de Salieri. Là, je prends le point de vue de James Gregory. » La différence, c’est que contrairement à Mandela, Amadeus n’est jamais décrit comme un homme parfait, qu’il reste le véritable héros du film, et que Salieri est présenté comme un beau salaud, arriviste et fourbe… En revanche, Milos Forman avait lui aussi préféré la légende à la réalité en reprenant la thèse que Salieri avait empoisonné Mozart, ce que Salieri a toujours démenti. Pour des raisons également politiques, il était plus dramatique que l’Italien jaloux ait assassiné le génie autrichien.
Même si tout le monde s’accorde sur le bien-fondé de la lutte menée par Nelson Mandela, son courage politique et son charisme vont bien au-delà de cette image d’Epinal. Le Nelson Mandela de Bille August s’inscrirait presque dans la tradition des  » nègres magiques (2)  » du cinéma américain, ces personnages qui mettent leurs pouvoirs surnaturels au service du héros blanc sans raison apparente autre que leur infinie bonté (The Legend of Bagger Vance en est l’exemple canonique). Le Mandela de Goodbye Bafana est plus proche du personnage de Brutus (David Morse) dans La Ligne verte, autre film sur l’humanité profonde des geôliers et de leurs petites familles, que du Mandela président d’un pays divisé, chef d’un mouvement bel et bien terroriste à ses heures, mari d’une Winnie Madikizela-Mandela qui n’était pas qu’une mère éplorée. Si Bille August voulait un point de vue extérieur, pourquoi ne pas avoir choisi celui de cette femme courageuse et charismatique, mais aussi en porte-à-faux avec la doctrine pacifiste de son mari, inculpée de corruption et de meurtre au sein même de l’ANC ? Nelson Mandela a toujours milité et agi pour la réconciliation, pas pour l’absolution. Ceux qui ont jugé La Vie des autres un brin consensuel, à force de vouloir démontrer la bonne foi et l’humanité des petites mains de la Stasi est-allemande, ne manqueront pas d’être consternés par la fraternité improbable de Goodbye Bafana.

1. Nelson Mandela : The Authorized Biography de Anthony Sampson,
2. Voir l’article de Rita Kempley, « Movies »Magic Negro’ Saves the Day, but at the Cost of his Soul », pour dvrepublic.com, http://www.blackcommentator.com/49/49_magic.html
///Article N° : 5889

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