Quand l’histoire se raconte autrement…

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Avec humour et générosité, Jean Quercy met en scène l’impromptu d’une rencontre entre le résistant français Jean Moulin et un vieil Africain, endeuillé par la perte de ses fils morts au combat pour la France.

Rencontre des générations, rencontre des cultures et des peuples, rencontre des histoires… Ce n’est pas qu’un vœu pieux pour Jean Quercy qui monte un spectacle des plus émouvants en imaginant une rencontre improbable, mais ô combien emblématique entre un héros national de la Résistance, Jean Moulin, et un vieux Nègre anonyme, comme il y en eut tant qui perdirent leurs fils sur les champs de bataille de la guerre de 40 et que le gouvernement colonial s’empressa d’oublier après la libération, balayant du même revers de main l’héroïsme des anciens combattants de l’AOF.
Blancs et Noirs avaient pourtant combattu ensemble. Un homme comme Jean Moulin, alors préfet à Chartres, avait refusé qu’on salisse l’honneur des combattants africains, au mépris de tous les chantages et de toutes les peurs. Ce fut même son premier acte de résistance contre l’envahisseur nazi.
Mais ce n’est pas l’aventure de Jean Moulin que l’histoire a retenue. Cet épisode terrible de sa vie, Jean Moulin l’a raconté dans un journal dans lequel Jean Quercy a puisé le récit du  » refus « , celui d’un résistant de la première heure préférant se trancher la gorge dans sa cellule plutôt que signer les documents qui mettaient en cause des troupes africaines dans des actes de barbarie commis sur des civiles et dont les officiers nazis voulaient à l’évidence dédouaner l’armée allemande.
Le pari de la simplicité
Jean Quercy a voulu mêler les voix, celle d’un résistant français témoin des événements qu’il raconte à celle d’un romancier camerounais qui a tenté de traduire la déception de toute une génération d’hommes sujets africains de l’empire colonial et dont le sacrifice pour la France n’a finalement pas beaucoup compté pour les autorités de l’époque. Ce sont les tribulations, désopilantes et cruelles, du vieux Méka, méprisé par les autorités coloniales qui l’ont invité à recevoir une décoration en l’honneur de ses fils morts à la guerre et qui, dès la cérémonie finie, se retrouve sur la touche, ignoré de tous, buvant un peu trop et passant même la nuit au poste avant de rentrer chez lui dépité et contrit, jurant, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Cette histoire ironique, pleine de dérision, imaginée par Ferdinand Oyono et qui met en œuvre la force décapante de l’humour africain, rencontre l’aventure tragique de Jean Moulin avec une évidence désarçonnante. Jean Quercy a su associer les deux histoires grâce à une invention dramaturgique d’une vraie ingéniosité, celle de la simplicité. Les événements qu’a vécus Jean Moulin, en juin 1940 à Chartres, sont racontés par un griot. Les personnages qui entourent le vieux Méka en Afrique et qui ont participé à ses mésaventures jouent les événements de Chartres, comme dans un rêve : celui des images que fait apparaître le récit du griot.
Les fils de la narration se coupent, s’entrecoupent, se tissent sans que jamais l’on ne se perde. Au contraire, les événements s’éclairent les uns les autres, et les émotions s’en trouvent décuplées. Les comédiens jouent avec un plaisir et une joie communicative dans un décor brechtien qui ne s’appuie que sur quelques éléments scéniques : une table, des chaises et surtout des tentures de tissus colorés. Elles convoquent l’Afrique, créent des coulisses de fortune et permettent une très grande mobilité aux changements d’espace et de situation, aux changements d’époque et de continent. Un spectacle inoubliable qui a la grande vertu d’aborder l’histoire sans didactisme, mais avec simplicité, humour et humanisme – un hymne à l’amitié des peuples.

Le Refus
d’après Premier combat de Jean Moulin et Le vieux nègre et la médaille de Ferdinand Oyono
Une création du Théâtre Averse
mise en scène de Jean Quercy
avec Mukuna Kashala, Frédéric Laurent, Robert Nana, Betty Bussmann, Éric Auvray, Paulin Fodouop et Gérard Probst.
Reprise au Lavoir Moderne Parisien du 7 au 16 septembre 2006 du mardi au samedi à 19 h 15.///Article N° : 4316

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