Les cris du ventre de Etienne Mbappe

Print Friendly, PDF & Email

Non ! Etienne MBappé n’a pas été battu par ses parents quand il a commencé à flirter avec la musique au collège. Son père, sa mère et ses sœurs aînées chantaient dans la chorale catholique de Douala où il naquit en 1964. Dans cette ville côtière du Cameroun son enfance baigne dans les chants funéraires de l’Esséwé, dans les rythmes de l’Ambass Bey qui animent les mariages et ceux du Labélé percussions annonçant les fiançailles. L’effervescente capitale économique vit également au son du Makossa d’Eboa Lotin et des harmonies poétiques de Francis Bebey.
C’est donc une tête chargée d’essences plurielles qui embarque pour la France à quatorze ans où l’homme explorera d’autres territoires musicaux.
Depuis Avril 2004, « Misiya » (les Cris), son premier album solo raconte vingt cinq ans de rencontres, d’échanges et de métissage.

Tout a contribué à orienter Etienne Mbappé dans le métier de la musique. Toute la famille y est de plein pied. A dix ans, son frère aîné lui apprend les premiers rudiments d’accords sur la guitare acoustique qu’il a reçue en cadeau de Noël. Son oncle maternel Valère Epée qu’il ne lâche pas d’une semelle, vient de débarquer de Washington avec une bonne collection de musiques afro-américaines et un solide projet artistique.
« …il avait monté une compagnie, Transatlantique Blues et crée un spectacle de théâtre avec un corps de ballet américain, un autre traditionnel, une chorale et un orchestre. La pièce racontait l’histoire des Noirs déportés en Amérique. Je devais avoir dix, onze ans quand il me faisait découvrir le Jazz, le Négro Spiritual, le Blues et la Soul… »
Les Jésuites du collège Liberman qu’il fréquente, dispose d’un orchestre moderne et d’instruments traditionnels pour l’éveil musical des élèves. Une aubaine pour se former en autodidacte et participer aux festivals musicaux qu’organisent régulièrement tous les établissements secondaires dotés d’équipement.« …dès l’âge de onze ans j’étais confronter à tout cet univers musical et tous autant qu’on était, on ne nourrissait qu’un rêve, devenir un musicien en vue …et on aimait aussi faire le beau devant les filles… ».
Mut par un tel conditionnement le jeune Etienne signifia son extrême penchant pour la musique à ses parents.La famille a beau baignée dans une atmosphère musicale, le père Mbappé souhaitait tout même voir ses enfants finir des études  »normales ».
Mais notre future bassiste était plus que déterminé. Le père n’avait d’autre choix que de lui conseiller le professionnalisme. »…j’ai l’impression que je ne pourrai rien faire pour te dissuader, vas y donc ! mais sache ceci, quand on veut être musicien il faut faire la musique sérieusement… ».
En 1978 Etienne Mbappé débarque en France. Il s’inscrit au conservatoire de Chevilly-Larue et étudie la guitare classique puis la contrebasse classique pendant trois ans.
A vingt ans il ratisse les clubs du tout Paris pour se faire connaître et vivre de sa basse . C’est au  »Baiser Salé », haut lieu de la scène jazz parisienne qu’il jouera régulièrement et trouvera une visibilité dans ce milieu éclectique. Véritable carrefour, le lieu accueille un volumineux public et un nombre incalculable d’artistes de notoriété.
Un placement de doigts unique, un jeu d’une précision étonnante, une rythmique riche et variée, une voix veloutée, le bassiste aux gants noirs, un soupçon démonstratif, développe un sens aigu du groove. Son doigté et la vigueur de sa frappe impressionnent et séduisent. Son nom circule de plus en plus dans le cercle des instrumentistes et des inconditionnels du Jazz. Il sera remarqué par le déjà connu Rido Bayonne qui l’intègre dans son grand orchestre en 1985. Plus tard, au  »Cafeconce »toujours dans le quartier du Châtelet, les membres de  »Ultramarine »le repèrent. En 1986, il s’associe à eux pour une aventure  »futuriste ».
De leur laboratoire sortira un premier album (D.D.E) en 1989 puis un deuxième en 1991 (Essimila), témoins de précurseurs arrivés trop tôt sur une scène ne disposant pas encore de circuit de diffusion pour les expressions au sang multiple.
« Quand Nguyen Lê m’a proposé un soir au  »Cafeconce », d’intégrer  »Ultramarine », je crois avoir répondu un truc du genre, j’ai besoins de réfléchir. Ils se sont dit, ouh là là, ce petit là ne se prend pas pour n’importe qui…J’étais jeune et à l’époque un peu prétentieux (rires). Je ne suis plus comme ça.
Dans cette formation , on avait cette chance de venir tous d’origine différente. On était pas particulièrement conscient de la richesse dont on disposait. Notre mixité nous fascinait tout simplement. On produisait une musique d’Afrique, d’Europe et des Caraïbe composée de  »Mazurka », de  »Makossa », de  »Rock ». Le tout nourrit de sève jazz.
On était amoureux de notre mélange. C’est pour ça qu’on avait énormément de plaisir à jouer ensemble. Je garde un excellent souvenir et du »Baiser Salé »et de  »Ultramarine » ».
Enfant prodige de la basse, Etienne Mbappé est sollicité par tous pour son talent sa capacité d’adaptation rapide et son jeu époustouflant. Ses contributions et ses expériences avec les grosses pointures de la musique se multiplient à la chaîne.
En 87, l’Orchestre National de Jazz sous la direction d’Antoine Hervé, l’emmène en tournée en Europe, en Afrique et aux U.S.A. De 90 à 92, Salif Kéïta l’engage comme bassiste et directeur musical pour plus de cent dates en Amérique et au Japon. Ensuite il rejoint Jacques Higelin pour plusieurs dizaines de spectacles partout en Europe. Puis il accompagne Michel Jonasz sur disque et au Casino de Paris en 97. Dans le même temps il crée le quartet  »Chic Hot » avec Mario Canonge, son ex-sociétaire d’Ultramarine. Depuis 2000, Etienne Mbappé est membre du  »Zawinul Syndicate » du célèbre Joe Zawinul. En 2001, il enregistre sur le dernier album du  »Genius » Ray Charles.
Pendant qu’il s’imprègne de tous ces personnages et de leur style, patiemment, il compose et raffermit Sa Musique et une Identité propres à lui.
« Il y avait tellement de musiques dans ma tête pour faire un album solo. J’avais besoins de me retrouver. Evidemment, je ne voulais pas reproduire un second  »Ultramarine ». Je ne voulais pas proposer un disque africain ou de jazz. Je ne voulais pas non plus me positionner comme un bassiste héros qui fait un disque pour bassiste. Je voulais un disque qui traduise ma personnalité et qui soit représentatif de mes racines et de mon expérience métissée. Il m’a fallut du temps. Aujourd’hui, je pense que  »Misiya » me ressemble énormément. Il reflète tous mes voyages et mes rencontres à travers le monde entier. Je l’offre comme un tableau multicolore avec des influences qui vont de l’Afrique à Jean S. Bach en passant par les Espagnols, les Canaque, le Jazz ou le Rock… ».
Le projet personnel d’Etienne MBappé a poussé lentement comme le baobab. Solidement enraciné dans l’éventail des rythmiques camerounaises et chantée en langue Douala, sa musique exprime son désir de rendre compte des évènements et de comprendre notre monde. De l’observer et le dire sans juger. Elle dépeint le continent noir (Cameroun O Mulema), évoque ses souffrances (Mukambilan), restitue les traditions camerounaises du mariage (Ambass), rend hommage au martyr kabyle Lounès Matoub (Olo Iyo) etc…
Assiko, Makossa, Sékélé, rythmes arabo-andalous, jazz, rock, guitares électriques, instruments acoustiques et chœurs féminins, tout s’entremêle, se complète et s’harmonise pour faire de cet album de quatorze titres, un cocktail subtil et voluptueux exhalant mille parfums enivrants.  »Misiya » ce sont les cris de l’intérieur du ventre pour traduire les joies et les peines, les forces et les faiblesses d’un homme, un artiste hors pair : Etienne Mbappé.
Un carnet de voyage exceptionnel !

///Article N° : 3466

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire