Les téléfilms tournés en Afrique trouvent en Europe un marché porteur. L’exemple d’Africa productions qui diffuse aussi des concerts, des matchs ou du théâtre.
Le théâtre a toujours été populaire en Afrique de l’Ouest. Au Sénégal, la radio diffusait des pièces de théâtre bien avant que la télévision s’installe dans le quotidien africain. Cette popularité n’a fait qu’augmenter depuis qu’à la fin des années 70, la télévision nationale sénégalaise commence à diffuser des troupes de théâtre comme Daaray Cocc. Les acteurs des troupes, tels Péne, Golbert et Baay Peul, font aujourd’hui l’actualité du pays. Ils sont devenus des stars ; rien que de voir Péne, le Louis de Funès du Sénégal, fait rire le public sénégalais.
Les immigrés africains en Europe, friands de » théâtre « , n’ont pas voulu abandonner cette tradition. Au début des années 90, la majorité des produits vendus sur le marché occidental était composée de cassettes amenées par des vacanciers lors de leur séjour en Afrique. La qualité était souvent mauvaise et la disponibilité des productions peu évidente. Africa Productions, créé en 1995 par le couple franco-malien Mohammed Diakhité et Nadine Besnard, résout ce problème. En 1997, ils signent un contrat avec la télévision sénégalaise et gambienne qui leur donne des droits sur les productions des différentes troupes. Ils assurent une meilleure qualité et donnent aux productions un visuel présentable. Aujourd’hui, leurs productions sont devenues populaires dans la communauté africaine en Europe. Africa Productions exporte vers tous les pays d’Europe : l’Italie, l’Espagne, la Suède partout où il y a une communauté africaine, on retrouve également le théâtre télévisé.
Africa Productions a un catalogue vaste. Il comprend des disques du continent, des vidéos et DVD de concerts, d’événements sportifs et d’événements religieux africains. La société se concentre principalement sur la vente en gros. Elle a aussi une boutique, mais celle-ci ne constitue pas la part la du chiffre d’affaires. Ses produits sont vendus à des magasins spécialisés dans les produits à destination de la communauté africaine, partout en Europe. Une pièce de théâtre coûte 15 euros en format VHS et entre 20 et 25 euros en DVD. Chaque année, il y a entre 45-50 nouvelles productions. Depuis la création de la société, les ventes ne cessent d’augmenter. Les produits sont demandés partout dans le monde. Une boutique de vente en ligne sur Internet ouvrira prochainement. Pape Faye, client chez Africa Productions depuis plusieurs années, explique une des raisons de la réussite : » La qualité est toujours bonne chez Africa Productions. Quand on achète leurs produits, on sait qu’on aura un bon film et qu’il tiendra longtemps. »
Les films sont presque sans exception réalisés en Afrique alors même qu’il est difficile de trouver certains produits dans le continent. Malgré tout, Africa Productions vient de s’installer à Dakar pour élargir son réseau. A partir du mois d’avril, la nouvelle chaîne du Sénégal, la Rts2s, diffusera un film d’Africa Productions tous les jeudis. Les home videos d’Africa Productions sont également en vente au prix de 5000 CFA (9 euros) dans les magasins en Afrique. Le grand défi de la société est de réduire le piratage : les films piratés sont vendus à 1500 CFA. Selon Nadine Besnard, le piratage représente une perte de la moitié des clients potentiels en Afrique. En France, le contrat signé avec la télévision sénégalaise et gambienne a rendu le piratage quasi inexistant. Par contre, en Italie et en Espagne, la situation est plus sombre.
Les pièces de théâtre portées à l’écran par Africa Productions sont majoritairement d’origine sénégalaise. En général, les pièces, comédies ou pièces dramatiques sont basés sur le quotidien. Selon Nadine Besnard, » les Africains aiment voir des choses qu’ils ont vécus eux-mêmes, la fiction ne leur exauce pas. » Ibra Italien, la meilleure vente d’Africa Productions, est un bon exemple de la thématique en vogue. Ibra, homme sénégalais sans moyens, profite du rêve des jeunes Sénégalaises de se marier avec un homme résidant à l’étranger. Il prétend être un homme d’affaires basé en Italie pour attirer l’attention d’une jeune fille. Il réussit à gagner le cur de la Sénégalaise, non sans conséquences. Il rend la demoiselle enceinte et est finalement obligé de fuir lorsque son secret est dévoilé.
La majorité des films d’Africa Productions sont en langues africaines. Le wolof est la langue la plus représentée devant le soninké, le peul et le bambara. Depuis quelque temps, des productions en français ont également vu le jour. Cependant, chaque communauté n’achète en général que des produits dans sa propre langue.
Pour les immigrés africains en Europe, Africa Productions est devenu un lien entre l’Europe et l’Afrique. Grâce aux nouvelles technologies, il est aujourd’hui possible de capter certaines chaînes de télévisions africaines en Europe. Mais la grande majorité des expatriés n’a pas accès à ce privilège. Ainsi, Africa Productions reste une des grandes voies de diffusion de la culture africaine en Europe. Mohammed Diakhité, co-dirigeant de la société, explique que » sur le plan culturel, nous avons apporté pas mal de choses aux immigrés « . A travers les films, la diaspora africaine a la possibilité de suivre le développement de leurs sociétés. Les films reflètent toutes les mutations qui se passent en Afrique. Les femmes, les clients les plus importants d’Africa Productions, ont la possibilité de se familiariser avec les nouvelles modes de coiffures et de vêtements. Les nouvelles danses sont rapidement copiées et pratiquées dans les baptêmes et mariages en Europe. Les expatriés sont initiés aux nouveaux langages et aux nouvelles expressions du pays. Les films ont aussi une fonction sociale parmi les Africains en Europe. Des familles entières peuvent se réunir et regarder ensemble les nouveautés d’Africa Productions. Nulle crainte de scènes violentes ou vulgaires, car selon Pape Faye » il y a une tendance dans les cultures africaines de ne pas filmer certaines choses « .
Pour intéresser un public plus vaste, il reste encore beaucoup à faire. Nadine Besnard souhaiterait améliorer la qualité et inclure un sous-titrage. Pour la thématique, il faudrait aussi quelques modifications, car » les films africains sont souvent lents, ce ne sont pas des films d’actions « . Mohammed Diakhité pense que les chaînes occidentales seraient plutôt intéressées par leurs documentaires. En mai 2004, Africa Productions, en collaboration avec la télévision sénégalaise, produit un documentaire sur le » combat du siècle » de lutte traditionnelle sénégalaise, entre Tapha Guéye et Mohammed Ndao Tyson. L’émission examinera tous les aspects de l’événement : l’ambiance du stade, les rites de préparation et évidemment le combat. Selon Diakhité, ces types de productions peuvent bien être au goût d’un public plus étendu. Un pari pour l’avenir : élargir un marché jusque là restreint à la seule communauté africaine.
Né en Finlande, Gustav Store, qui effectue un stage à Africultures, a passé dix ans à Fatick (Sénégal), et retourne presque chaque année en Afrique. ///Article N° : 3403
