Burundi : les racines socio-culturelles du conflit

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Au Burundi, la paix reste prise en otage. Jean-Marie Ntezukobagira analyse ici les racines du conflit, montre comment Hutu et Tutsi ont été historiquement amenés à s’affronter ainsi que les origines du parti extrémiste hutu, le FNL (Front National de Libération).

Le Burundi est un petit pays de 27834 Km2 situé dans la région des Grands-lacs. Sur la mappemonde, ce n’est qu’un minuscule point. Sur la carte d’Afrique, il ne présente pas assez d’espace pour écrire son nom à trois syllabes. Ce pays est habité depuis fort longtemps par des Hutu, des Tutsi et des Twa. L’ordre d’arrivée de ces trois groupes n’est pas bien établi.
D’après la légende du colonisateur (une vision sans fondements scientifique) les Twa (population de type pygmoïde) auraient été les premiers occupants du pays, suivis plus tard par les Hutus et enfin par les Tutsis. Les premiers se sont spécialisés dans la chasse et la poterie, les seconds dans la forge et le travail des champs, les troisièmes dans l’élevage du gros bétail. Il est à noter cependant qu’il n’y a pas d’exclusivisme absolu. Les Hutus sont souvent d’habiles potiers comme des Twa. Ces mêmes Hutu peuvent également être de bons éleveurs du gros bétail ; en même temps, les Tutsi ne sont pas de mauvais cultivateurs.
La création du Burundi fut l’œuvre des Hutu, des Tutsi et des Twa. Obéissant à un même chef suprême, le Mwami (roi), invoquant un même Imana (Dieu), régis par un même code de lois, parlant la même langue, les Burundais ont eu très tôt la conscience de former une nation.
Les trois groupes se reconnaissaient comme des Burundais, ayant une même culture. Ils cohabitaient sur un même territoire placé sous la responsabilité d’un monarque absolu accepté par tous. Les appellations de Twa, Hutu et Tutsi n’ont rien de commun avec les regroupements ethniques connus ailleurs en Afrique. Le Burundi est identique du Nord au Sud, d’Est en Ouest. Mais avec la colonisation, les trois composantes de la population burundaise furent identifiées, à tort, aux ethnies. Si dans la suite nous utilisons le mot ethnie, c’est dans le sens que lui a donné le colonisateur.
La destruction de la culture nationale a sapé les fondements de l’unité des Burundais
Un peuple sans culture est comme un arbre sans racines et qui peut tomber au moindre contact du vent. La destruction des repères culturels, religieux notamment, a exposé les Burundais aux désordres moraux qui, à leur tour, ont débouché sur des attitudes conflictuelles. Pour les Burundais, la vie était sacrée. C’était un don du ciel. La mort quant à elle, signifiait déséquilibre et rupture de l’harmonie familiale et sociale. Si la famine frappait à la porte d’une personne, les voisins passaient par la fenêtre pour lui apporter la nourriture dont elle avait besoin. Pour un problème insaisissable, tous les villageois, dans une communion solidaire, requéraient l’aide d’Imana, Dieu des Burundais, parce que Dieu était impliqué, de façon directe, dans les affaires de ce monde. La religion traditionnelle burundaise était organisée en fonction des problèmes concrets à résoudre. Elle avait une fonction de régulation de la vie collective. Par la colonisation, cette religion a été détruite.
Les conséquences ont été fâcheuses pour tous les Burundais en général et pour les Hutus en particulier.
Pour les Burundais, la religion traditionnelle assurait une cohésion sociale en liant entre eux les membres de la société.
Par exemple, une personne qui voulait faire partie de la catégorie des prêtres du culte religieux devait avoir son parrain. Celui-ci devait être d’ethnie différente. Ce qui favorisait l’unité entre les Burundais. Pendant le moment fort du culte, il y avait une séance appelée  » Gusangira « , c’est-à-dire l’instant où tout le monde, parmi ceux qui étaient présents, sans distinction aucune, devait partager le plat et le verre apprêtés pour la circonstance. Parce que les Burundais étaient convaincus que le salut des Hommes était collectif. Alors que pour la religion chrétienne qu’on a imposée de force au peuple burundais, le salut est individuel. La religion traditionnelle voyait l’entraide comme une prescription reçue des ancêtres et de Dieu.
Elle était une synthèse entre la Nature et le surnaturel. La destruction de cette religion, véhicule d’une pensée non violente, a coupé la chaîne de relations entre Hutu et Tutsi que l’histoire avait pourtant bien fermée.
Pour les Hutu, parmi lesquels les rois et les princes choisissaient leurs prêtres, la destruction de cette religion les a exposés à la tyrannie du désespoir. Ils ont perdu leurs fonctions et les avantages liés à leur charge à la cour.
Les devins et les sorciers du roi et des princes étaient des Hutu. Aucune décision grave ne pouvait être prise sans leur intervention. Cela leur avait permis de grimper les échelons de la hiérarchie économique et administrative. La divination et la sorcellerie, considérées comme des conduites païennes par le colonisateur, furent interdites. Les Hutu qui les pratiquaient à la cour perdirent leurs fonctions. La perte de leurs fonctions a mis les Hutu dans une misère matérielle et morale sans savoir à qui se confier. Ils se sont installés dans la résignation à leur triste sort, accumulant frustration sur frustration.
Consécutivement à cette situation, on a observé des troubles psychiatriques très importants auxquels on a donné le nom d' » Abaganza « , qui signifie domination. Une façon donc d’exprimer, au niveau comportemental, le malaise et l’inconfort moral dans lequel on se trouvait. Ces troubles psychiatriques se manifestaient, dit-on, principalement chez les Hutu, chez les femmes et chez quelques Tutsi de basses conditions. Ce qui était commun à ces trois catégories de personnes, c’est la faiblesse de leur pouvoir économique. Les Hutu venaient de perdre leurs fonctions à la cour du roi et à celles des princes (ce qui leur conférait une place centrale dans la société traditionnelle), les femmes qui n’avaient prise sur rien en ce qui concerne les biens familiaux, étaient elles aussi fort dépourvues économiquement. C’est pourquoi, comme les Hutu, elles ont manifesté ces troubles psychiatriques.
La mendicité n’étant pas permise dans la culture burundaise, pour susciter la compassion et l’assistance sociale, il fallait simuler une maladie. Par exemple, pour avoir du lait ou toute autre nourriture qu’il n’avait pas, le Hutu devait dire que c’est la maladie qui, par ses caprices, le contraint à ne consommer que ça. Dans un élan de solidarité et de compassion, on donnait ce qu’on demandait. Le refus dans ces circonstances signifiait l’aggravation de la maladie.
Ce que tout Burundais sensible s’interdisait de faire. Malheureusement, cette situation a profondément modifié les relations entre les Hutu et les Tutsi. Cette mendicité déguisée, consécutive à leur état d’indigence, a exposé les Hutu à l’humiliation, au dénigrement et plus tard, à l’exploitation.
La vache et la vassalisation des Hutu
Au plus haut échelon de l’Etat se trouvait le roi. Dépendaient de lui les chefs de provinces qui agissaient en son nom. Les membres directes de la famille royale (appelés princes) jouissaient de la priorité pour l’accès aux pouvoirs. A mérité égal, la participation à l’exercice du pouvoir était égale entre Hutu et Tutsi. Les Twa se sont tenus à l’écart des autres. Leur genre de vie, qui est la chasse, explique peut-être leur attitude. Ils sont restés tout près des forêts.
Les terres appartenaient au roi. Il pouvait les distribuer à ses sujets pour récompenser leur dévouement. Il pouvait aussi chasser tout sujet jugé infidèle, traître ou rebelle. Pour avoir des terres, il fallait donc les demander au roi ou aux princes. La monnaie d’échange pour avoir des terres, c’était la vache. Les Tutsi, qui avaient besoin de beaucoup de terres pour le pâturage de leur bétail ont dû se les chercher en donnant des vaches au roi ou aux princes et ils ont acquis de vastes étendues de terres.
Les Hutu qui étaient d’habiles agriculteurs avaient besoin, eux aussi, des terres pour cultiver. Mais il n’avaient pas de vaches pour les payer. Il a donc fallu approcher les Tutsi pour leur demander des parcelles pour cultiver ou pour construire des habitations. Le Tutsi a donné la terre au Hutu ; mais sous conditions. Cette terre n’appartenait pas au Hutu de façon définitive. C’était presque un prêt. En même temps qu’il cultivait sa terre, le Hutu devait aussi cultiver la terre du Tutsi. Cela l’a rendu corvéable. Le Hutu pouvait aussi être chassé s’il ne respectait pas les engagements pris. Avec ses terres et ses vaches, le Tutsi a vassalisé son frère Hutu. Cette vassalisation a progressivement créé une certaine nuance émotionnelle quant à l’évaluation de la personne du Hutu.
Vivant dans des conditions inférieures, les Hutu ont fini par être considérés comme naturellement inférieurs. Ils ont eux-mêmes cru qu’ils l’étaient. Ils ont perdu toute confiance en eux. Ainsi, ils se sont retrouvés contraints à se soumettre à l’insulte. Ils supportaient patiemment l’injustice et l’exploitation dont ils étaient victimes. La vache a donc accordé à celui qui la possédait, le Tutsi et quelques rares Hutu, un pouvoir économique et politique très important. Signalons aussi que progressivement le mot Hutu a perdu son sens original. Au départ, ce mot renvoyait à l’idée d’appartenance à un groupe, mais avec le temps, son sens a glissé vers une référence au statut socio-économique. Un hutu a fini par désigner celui qui est pauvre. Celui qui n’a pas suffisamment de terres et de vaches propres à lui. Parce qu’un Tutsi vivant sous la protection d’un autre Tutsi plus puissant que lui était appelé Hutu.  » Son Hutu  » en fait. D’après ce qui précède, on voit que le mot Hutu a finalement acquis un double sens. Il y avait un Hutu de naissance, celui-là dont les parents étaient naturellement des Hutu et un autre, dont les parents n’étaient pas nécessairement des Hutu, mais qui menait une vie misérable. L’évolution des relations entre Hutu et Tutsi a ainsi connu des vicissitudes très importantes. Le Tutsi est devenu le riche oppresseur et le Hutu, le pauvre opprimé.
Les mariages interethniques qui jadis étaient monnaie courante devinrent rares. Dans l’univers mental du Burundais, le mariage signifiait ascension ou déchéance sociales. Par exemple, une fille Tutsi, mariée à un prince, élevait sa famille au rang supérieur. Les membres de sa famille pouvaient facilement accéder au pouvoir et aux avantages qui y sont rattachés. Mais une fille Tutsi mariée à un Hutu plongeait sa famille dans la  » bassesse « . On a même fini par considérer ce genre de mariage comme inutile parce qu’il ne procurait aucun avantage à la famille de la fille. Les Tutsi en sont donc venus à interdire à leurs filles de se laisser prendre en mariage par des Hutu. Une fille tutsi qui contredisait cet interdit était anathématisée.
Avec l’école, le niveau de vie du Hutu s’est progressivement élevé. Le niveau intellectuel augmentant, il commença à relativiser sa place et son rôle dans la société burundaise. Il eut une nouvelle conception de lui-même. Il découvrit que les gens avaient attaché une importance à l’aspect spécifique du Hutu au lieu de centrer l’attention sur l’aspect fondamental de sa personne. Le Tutsi, quant à lui, fut identifié par le Hutu émancipé de sa servitude spirituelle et matérielle comme celui qui a occasionné la panne sociétale, celui qui a empêché une société juste et égalitaire d’émerger. La tension qui s’en est suivi quant aux relations entre Hutu et Tutsi peut s’expliquer par ce bouleversement dans l’évaluation que le Hutu a faite de lui-même et de l’image qu’il s’est faite du Tutsi.
En 1980, le PALIPEHUTU (Parti pour la Libération du Peuple Hutu) est créé par un ingénieur agronome Hutu du nom de GAHUTU Rémy. Quelques années plus tard, le FNL (Front National de Libération) est créé. Sa lutte prend l’allure d’une campagne de libération d’un peuple Hutu longtemps opprimé par les Tutsi. C’est pour cette raison que le patron du FNL, Agathon RWASA ne veut pas négocier avec le gouvernement actuellement dirigé par un Hutu, mais avec les Tutsi.
En définitive, on voit que la culture agit sur les structures mentales. La désorganisation de la culture perturbe les groupes et les individus jusque dans les profondeurs inconscientes où se déterminent les conduites collectives. C’est pourquoi ceux qui sont en train de se battre au Burundi, dans les rangs du FNL, sont ceux-là qui ont reçu l’héritage du chaos culturel.
L’inégalité d’accès aux biens matériels débouche, quant à elle, sur l’inégalité sociale entre les groupes et les individus dont l’évolution peut conduire au conflit armé.

///Article N° : 3233

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