Une manifestation en quête de sens

Entretien de Corinne Julien avec Héric Libong directeur du secteur photo de la Panapress

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Présent lors des 5èmes Rencontres de la photographie africaine de Bamako, Héric Libong, ancien collaborateur d’Africultures maintenant directeur du secteur photo de la Panapress, répond avec franchise à nos questions.

Pourquoi étais-tu invité à Bamako ?
J’ai été invité à Bamako pour assister et participer à un séminaire sur le statut de la photographie de presse en Afrique et dans le reste du monde. Je devais être en compagnie de Gilles Coulon, photographe du collectif Tendance floue. A part cela, je suis venu pour voir ce qui se fait en matière de photographie en Afrique et pour rencontrer des photographes. Je devais également assister à la remise des Fuji Press awards pour lesquels Panapress a été abondamment primée. Malheureusement un couac dans l’organisation n’a pas permis à cette remise des prix d’avoir lieu.
As-tu été satisfait du déroulement des Rencontres ?
Ce n’est pas la première fois que l’on déplore le manque, disons même l’absence, d’organisation de cette manifestation : pas de centres d’intérêt où rencontrer les professionnels, des photographes qui végètent à droite et à gauche sans pouvoir identifier leurs interlocuteurs, etc. En fait ce ne sont des rencontres que de nom, pas dans les faits. Et quand j’entends Olivier Poivre d’Arvor qui, lors de la cérémonie de remise des prix parlé de  » petits détails  » en évoquant l’organisation, je suis scandalisé car ce sont ces  » petits détails  » qui nous font douter du bien fondé de cette manifestation. On ne sait plus vraiment qui en sont les bénéficiaires, car les choses sont faites approximativement. Rien n’est réellement mis en place pour que les photographes et les professionnels y trouvent leur compte. Maintenant, c’est vrai, nous sommes une agence de presse et pour l’instant, il est plus intéressant pour nous d’être représentés à Visa pour l’Image à Perpignan qu’aux Rencontres de Bamako. Là-bas, en dehors des expos et des projections, les photographes identifient tout de suite leurs interlocuteurs ; ils viennent avec leur book, présentent leur boulot, posent des questions. On voit des travaux, des images, bref on rencontre des gens. C’est une manifestation pour professionnels. Là, il y a encore ce petit côté amateur que l’on tolère car on est en Afrique. Style  » on vous expose c’est déjà pas mal « . Beaucoup de photographes m’ont dit :  » maintenant nous en avons marre d’être exposés. Nous voulons être diffusés, savoir comment ça se passe et vivre de notre activité.  » Je pense que les organisateurs devraient se mettre au diapason de ces préoccupations. Pour cela, encore faut-il leur donner la parole et les écouter. Bamako devrait servir ce genre de tribunes. Certes, il y a eu notre séminaire mais à cause de l’absence de communication et d’organisation, nous avons parlé devant… huit personnes. Dont un seul photographe africain ! Moi-même pour trouver la salle, j’ai dû demander à quatre personnes qui faisaient pourtant partie de l’organisation. Rien n’a été fait pour que la série de séminaires soit mise en exergue. Nous avons trouvé cela scandaleux. Le thème était pourtant important et aurait pu répondre à beaucoup de questions. Bref, faire avancer les choses. Là, nous avons eu l’impression de parler dans le vide. Donner un coup d’épée dans l’eau. Enfin, le plus triste dans cette affaire, c’est la non-implication de la population malienne. C’est toute la petite nomenklatura culturelle parisienne auto-désignée spécialiste de la  » photographie africaine  » qui squatte Bamako pendant une semaine ; qui vient passer des vacances, faire ses courses ou encore donner des leçons. A part les Contours de Chab Touré, ses expositions en plein quartier et la bonne volonté des gars de Tendance Floue, rien n’a été fait pour rendre cette manifestation attrayante et faire participer la population. Et c’est comme cela depuis les premières Rencontres. A l’époque on pouvait le tolérer, mais quatre éditions plus tard il y a de quoi se poser des questions. Pour moi, si ça continue comme ça, ce festival deviendra une franche mascarade.
Comment as-tu trouvé cette édition par rapport à la précédente ?
J’ai été déçu et j’ai trouvé le niveau de cette édition bien bas. Et contrairement à d’autres, je ne l’ai pas caché. La précédente édition avait été de bonne augure. Il y avait les Nigérians, les Marocains et d’autres très bonnes choses. Là, ça a parfois frisé le ridicule. Il y avait des images mais pas de sens, pas de mots derrière ; des choix d’expos et de commissaires faits à l’emporte-pièce et par copinage. En tous cas, c’est ce qu’il m’a semblé. Je trouve toujours déplorable que l’on tolère la médiocrité et l’approximatif quand il s’agit d’Afrique. S’il n’y pas de bonnes images à montrer, on n’en montre pas ou alors on cherche mieux. Ça me fait mal de voir des Occidentaux en extase pendant les expos quand il y a tout le monde et de les entendre plus tard, quand ils prennent leur avion, dire que le niveau de la photographie en Afrique est bas. Surtout quand ils ont raison. Pour cette édition, à part quelques travaux du collectif de photographes mozambicains, celui du collectif gabonais, et deux ou trois travaux présentés à l’exposition sur les Ports d’Afrique, je n’ai rien vu de transcendant voire de bon tout simplement. Et j’avoue avoir bondi en entendant Bob Plegde [directeur de Contact, directeur du jury Prix spécial des Rencontres]vanter  » la grande qualité des travaux  » lors de la cérémonie de remise des prix. Je me suis dit que personne, même les plus grands, n’échappe au consensus. En tout cas, je ne pense pas qu’il permettra à un seul exposant de bosser dans son agence. Enfin, je me dis qu’il est plus agréable de voir des images exposées dans des endroits propres quand il s’agit d’endroits fermés. Et je pense que le palais de la Culture a besoin d’un sérieux coup de peinture et de balai.
Penses-tu que les initiatives privées ou indépendantes réalisées sur le continent africain étaient suffisamment mises en avant lors de ces Rencontres ?
Non bien sûr. Pas encore assez à mon goût. Mais même si j’entretiens quelques doutes sur la volonté des organisateurs à le faire, on peut leur accorder les circonstances atténuantes. D’abord, il n’y en a pas des masses. Et ensuite, reconnaissons que les Rencontres ont permis cette année de voir le travail du collectif des photographes mozambicains et le boulot du collectif Gabon Igolini, composé de photographes gabonais. Même si ce dernier ne figure pas dans le catalogue et n’a pas eu, à mon sens, toute l’attention qu’il méritait, les professionnels dans leur grande majorité ne s’y sont pas trompés. En ce qui nous concerne, nous n’existons que depuis deux ans et demi et nous commençons tout juste à nous imposer auprès des professionnels de l’édition. Donc, j’imagine, en tout cas, je pense, que le bon sens devrait pousser les uns et les autres à plus s’intéresser à ce que nous faisons dans l’avenir car, pour l’instant, nous sommes la seule structure africaine et basée en Afrique à être parvenue à fédérer et à diffuser un certain nombre de photographes qui évoluent sur tout le continent.
Penses-tu qu’une collaboration plus étroite serait possible et de quelle manière pourrait-on l’envisager ?
Oui bien sûr, mais ce n’est pas à nous de tendre la main. Même si nous avons encore énormément de chemin à faire, c’est aux organisateurs de ce genre de manifestation de prendre en compte le travail que nous faisons. Mais comme je l’ai dit plus haut, je crois que le bon sens devrait favoriser ce rapprochement. Cette édition des Rencontres a montré qu’il n’est pas évident de découvrir des talents et de faire de la bonne récupération à chaque fois. Tôt ou tard, ils devront se tourner et accorder concrètement plus de visibilité aux organes de presse ou aux agences africaines qui, comme nous, produisent de l’image au jour le jour et tentent de développer et de diffuser une idée du photo-journalisme en Afrique. Pour moi, cela s’imposera de soi-même sans que le festival en soit dénaturé, car cela fait aussi partie de la pratique de la photographie en Afrique. Maintenant, on m’a souvent rétorqué que le photo-journalisme en Afrique n’existait pas, car il n’y a pas suffisamment de journaux et de magazines qui diffusent de l’image. Même s’il est vrai que le photo-journalisme ne peut pas réellement exister sans supports, je ne suis pas tout à fait d’accord. Car d’abord, certains journaux, notamment en Afrique australe, disposent de services photo, d’une grande expérience et d’une réelle culture iconographique. Ensuite, je suis bien placé pour savoir qu’il y a de bons photo-journalistes en Afrique qui s’acharnent avec un talent qui n’a rien à envier aux Occidentaux, à raconter et à proposer depuis longtemps leur vision de leurs réalités. Enfin, j’estime que cette carence en matière d’iconographie n’est pas liée à un désintérêt des populations pour l’image, comme je l’ai souvent entendu dire. Les gens lisent les journaux qu’on leur propose. Et il n’y a rien de congénital. Tout est à faire. Je suis toujours surpris à chaque fois que je me rends aux Rencontres de Bamako de voir des journalistes ou iconos de journaux français ou d’ailleurs, et jamais de rédacteurs en chef ou d’iconos de journaux africains. L’image dans la presse n’existe pas seule. Cela nécessite de l’organisation et la présence de personnes qualifiées et passionnées. Je pense que la confrontation entre les médias des pays d’Afrique ayant intégré l’image dans leur ligne éditoriale et ceux qui ne l’ont pas encore fait pourrait être très riche et constructive. Et là, l’apport d’iconos occidentaux serait vraiment utile. Sans oublier les photographes bien sûr, qui auront l’occasion de parler de leurs relations avec la presse de leurs pays, de décrire les problèmes qu’ils rencontrent, évoquer leur statut, etc. Cela pourrait leur permettre, une fois rentrés, d’être plus visibles dans leur presse et de pousser les journaux à respecter à la fois la mise en forme de leurs travaux, leurs droits et leur métier tout simplement. Je pense que l’idée de l’atelier auquel ont participé des journalistes culturels et des photographes de presse développée par Frédérique Chapuis lors de ces Rencontres allait dans le bon sens au départ. Malheureusement, l’atelier n’a servi qu’à faire le journal de la biennale. Et finalement, on se demande à qui cela a profité. Car une fois rentrés, je ne suis pas certain que ces photographes amélioreront leur condition. Donc, pour conclure, je dirais qu’une telle ouverture au photo-journalisme contribuerait non seulement à  » africaniser  » ces Rencontres, mais également à éviter le déjà vu, à donner du sens à cette manifestation et à la mettre au diapason des photographes, bref à vraiment faire avancer les choses. Mais faut-il encore que ce soit la volonté de tous.

///Article N° : 3226

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Sans titre © Santu Mofokeng (Afrique du Sud)





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