Nuits d’Afrique à Montréal : un festival en quête de renommée

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Trente-deux pays représentés, une quarantaine de concerts, plus de 400 artistes invités : le festival Nuits d’Afrique de Montréal est l’une des principales vitrines des musiques africaines outre-Atlantique. Un rendez-vous atypique, à la fois familial et international, qui souhaite désormais acquérir la renommée qu’il mérite.

En juillet dernier, Nuits d’Afrique a soufflé ses dix-sept bougies. Bel âge pour un festival… celui de la maturité et de la remise en question. Par l’importance et la qualité de sa programmation comme par la volonté affichée de se renouveler, cette édition semble amorcer un tournant dans l’histoire du plus grand festival de musiques africaines du Canada. Une histoire longue et pleine de rebondissements, de rencontres, de pugnacité. En 1986, lorsque le Guinéen Lamine Touré décide d’organiser dans sa petite boite de nuit, le Ballattou, un festival, personne ne peut imaginer l’ampleur que va acquérir cette manifestation au fil des années.
Une programmation éclectique
Aujourd’hui, Nuits d’Afrique se déploie sur pas moins de douze jours, quatre scènes à travers Montréal et propose entre trois et huit concerts par jour. C’est devenu l’un des plus grands festivals de musiques afro. Sa particularité ? Une programmation originale et éclectique qui ne ressemble pas à celle des festivals de musiques africaines en Europe. Nuits d’Afrique a choisi de décloisonner, s’aventurer, métisser.  » Parce que la musique alimente notre passé, notre présent et nos lendemains, il est fondamentalement essentiel d’en retracer les origines et les descendances « , explique son fondateur Lamine Touré, devenu une figure incontournable d’un Montréal de plus en plus multiculturel. Ainsi, les artistes conviés à cette dix-septième édition ne viennent-ils pas uniquement d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb. Ils sont aussi originaires d’Amérique latine (Brésil, Nicaragua, Colombie) des Caraïbes (Haïti, Cuba, Jamaïque, Martinique, Trinidad), d’Asie (Inde) et même… d’Océanie (Australie) !  » A travers leurs musiques, tous ont un lien plus ou moins avéré avec l’Afrique, explique Tidiane Soumah, un jeune Guinéen, responsable de la programmation du festival. Il nous semble intéressant de montrer non seulement la richesse des musiques africaines mais aussi comment elles ont  » fécondé  » d’autres rythmes.  »
Pari tenu. En douze jours, c’est un véritable tour d’horizon des musiques afro et de leurs avatars que les Montréalais ont pu s’offrir. Du brakka swinguant de So Kalméry (RDC) au bullerengue afro-colombien de la diva Petrona Martinez, en passant par les lokembé ancestraux de Kojo (Soudan).
Les palmes du délire
Cela a donné naissance à de très beaux concerts marqués par une forte communion entre les artistes et le public montréalais. Parmi les  » grands événements « , Manu Dibango, Lokua Kanza, Natacha Atlas et Petrona Martinez ont été longuement ovationnés. Mais les palmes du délire reviennent à Hassan Hakmoun, Selaelo Selota et Oliver Mtukudzi. Le premier, sorte de Jimi Hendrix marocain, grand maître du guembri – une guitare basse traditionnelle -, fait fusionner la musique gnawa avec du rock, du funk, des orchestrations orientales… et même du reggae.
Inspiré et charismatique, Hakmoun, installé à New York depuis 1988, est l’un des musiciens world les plus reconnus aux Etats-Unis. Il a travaillé entre autres avec le Kronos Quartet et le trompettiste de jazz Don Cherry. Attendu par la communauté marocaine de Montréal et par les aficionados de la musique gwana, il a enflammé une salle qui n’attendait que de vibrer à l’unisson, donnant sans doute l’un des concerts les plus étonnants du festival.
Le second, Selaelo Selota, est l’une des révélations de cette édition. Cet ancien mineur sud-africain, qui a démarré sa carrière musicale sur le tard, s’est imposé en quelques années sur la scène de l’afro-jazz. Guitariste à la voix subtile, Selota se démarque surtout des autres jazzmen sud-africains par une énergie à couper le souffle. Est-ce la trace de son passage dans les mines ? Son inspiration dans la force de rythmes traditionnels ? Quoi qu’il en soit, Selota a démontré qu’il ne se contente pas d’être compositeur, musicien et producteur, c’est une bête de scène !
Enfin, le concert gratuit et très attendu d’Oliver Mtukudzi, donné sur la place Emilie Gamelin, en plein cœur de Montréal, reste inoubliable. Cet artiste engagé, créateur d’un style qui n’appartient qu’à lui, inspiré de rythmes zimbabwéens et sud-africains, fait aujourd’hui figure de légende de la musique moderne africaine. A soixante ans révolus, ce guitariste hors pair reste d’une étonnante jeunesse. Son vif doigté, ses mouvements fantaisistes, sa présence généreuse sont intacts. Ce concert fêtait les dix ans du très dynamique label de world music Putumayo, qui vient de rééditer plusieurs titres de  » Tuku « , devenus introuvables, dans une excellente compilation*.
Côté  » découvertes  » – qui n’en sont plus tout à fait, la plupart de ces artistes jouissant déjà d’une certaine reconnaissance -, les points d’orgue n’ont pas manqué non plus. Dans les annales de cette 17ème édition, citons, entre autres, la cithare virtuose du Syrien Abdullah Chhadeh, qui n’est autre que l’époux de Natacha Atlas, l’afro-beat des Nigérians Koffo The Wonderman & The Daylights Stars, la fusion dansante du groupe camerounais Macase et le brakka folk du Congolais So Kalméry.
Valoriser la diversité culturelle du Québec
Nuits d’Afrique ne se contente pas d’être un carrefour musical passionnant. L’un de ses objectifs affichés est de valoriser la richesse multiculturelle de Montréal. Terre d’immigration depuis toujours, le Canada compterait aujourd’hui plus d’un million de personnes ayant une ascendance africaine sur une population de plus de 30 millions. Au Québec, la communauté d’origine haïtienne vient largement en tête. Mais ces dernières années, avec la fermeture des frontières européennes, l’immigration africaine s’est accrue de manière sensible.  » Pourtant, il y a ici une grande méconnaissance de l’Afrique. La plupart des gens sont incapables de situer précisément un pays africain, témoigne un journaliste ivoirien récemment installé à Montréal. Rien à voir avec la France. Peut-être parce que le Canada n’a pas d’histoire coloniale.  »
En 1986, Nuits d’Afrique comptait parmi les premières initiatives à valoriser les cultures africaines à Montréal. Né dans la première boîte africaine de la ville, le Ballattou, devenu depuis une véritable institution, le festival a aujourd’hui pignon sur rue. Et pas n’importe laquelle : la très fréquentée et touristique rue Sainte-Catherine. Grâce au soutien du gouvernement canadien, le festival s’y installe durant trois jours pour une série de concerts gratuits qui présente la fine fleur des groupes locaux originaires du Sud : Haïti, Cuba, Congo, Guinée, Cameroun, Togo, Côte d’Ivoire, Tchad… L’immigration musicale n’est pas en reste au Québec.
Cette année, le porte-parole du festival, Corneille, jeune Rwandais installé à Montréal depuis six ans et nouvelle star francophone du r’n’b, le groupe d’origine tchadienne H’Sao – composé de six frères et sœurs – et la formation afro-caraïbéo-québecoise Dibondoko ont remporté les faveurs du public. Un public très mélangé – contrairement aux Etats-Unis, les couples mixtes sont légions à Montréal ! – familial et ouvert, qui reflète bien l’atmosphère paisible et cosmopolite de la ville.
Par son histoire et sa position géographique, Montréal est devenu un étonnant carrefour où se rencontrent l’Europe, l’Amérique, l’Asie et l’Afrique. Depuis quelques années, la ville a décidé de valoriser cette diversité culturelle. Grâce au soutien public et privé dont bénéficie le festival, Nuits d’Afrique est ainsi devenu un rendez-vous musical majeur. Mais l’équipe, une poignée de fidèles passionnés, n’entend pas s’arrêter là. Par-delà cette reconnaissance locale, elle souhaite désormais étendre la renommée du festival à l’Europe et l’Afrique, établir des partenariats avec d’autres festivals, développer ses activités tout au long de l’année. En attendant, elle a créé le label Nuits d’Afrique qui distribue les disques de plusieurs artistes au Canada (Tiken Jah Fakoly, Beethova Obas…). La soixantaine grisonnante et le sourire au lèvres, Lamine Touré peut se féliciter. Nuits d’Afrique est une success story qui dure.

* » The Oliver Mtukudzi Collection, The Tuku Years « , Putumayo.
Festival Nuits d’Afrique
4362 Boul. Saint-Laurent, Montréal, Qc, Canada H2W 1Z5
Tel : (514) 499 9239
Fax : (514) 499 9215
www.festivalnuitsdafrique.com
[email protected]///Article N° : 3134

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Les images de l'article
Corneille © D.R.
Macase © D.R.
Lokua Kanza © D.R.





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