Dans l’étau du politiquement correct

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Sida, festivals, théâtre, musée de l’apartheid… La vie culturelle sud-africaine navigue entre le ronronnement du politiquement correct et quelques tentatives de déranger. Exploration.

L’année culturelle en Afrique du Sud a mal commencé. L’annulation du méga-concert contre le sida, qui devait se tenir le 2 février sur l’île de Robben Island, à l’appel de Nelson Mandela, a beaucoup déçu. Pour des raisons obscures, officiellement faute d’un  » « accord »  » avec la Fondation Nelson Mandela, la société de production américaine Epop a préféré tout annuler. C’était elle, pourtant, qui avait suggéré l’idée et devait tout organiser.
Youssou N’dour, Bono, Shaggy, Baaba Maal, Elton John, Macy Gray, Femi Kuti, Johnny Clegg, Angélique Kidjo et bien d’autres, les papes de la  » « world »  » et les pop stars étaient prêtes à se bousculer au Cap, sans cachet. Le show aurait été retransmis par les chaînes de télévision du monde entier, comme en 1988 lors du concert historique de Wembley pour la libération de Mandela. Les recettes seraient allées à la Fondation Nelson Mandela et ses projets pour l’enfance, ainsi qu’à l’Onusida et au musée de Robben Island.
Pour les militants sud-africains de la lutte contre le sida, qui se heurtent toujours au refus de leur gouvernement de distribuer des médicaments, c’est un dépit de plus. Certains se demandent d’ailleurs si le concert n’a pas été annulé pour des raisons politiques. Tous ces projecteurs braqués sur l’Afrique du Sud auraient pu embarrasser Thabo Mbeki, l’actuel président, critiqué pour sa (non) gestion du sida. Si Nelson Mandela a multiplié les prises de position en faveur de l’accès aux traitements antirétroviraux, dans son pays, il ne s’est encore jamais servi de son aura internationale pour cette cause…
Pièce à succès
Bonne nouvelle de la rentrée, cependant, après les grandes vacances de l’été austral (décembre-janvier) : le succès d’audience de « Nothing but the Truth » ( » Rien que la vérité « ), une pièce de théâtre produite par le Market Theatre, à Johannesburg. La pièce a été écrite par John Kani, acteur célèbre (« Sarafina« ) et co-auteur de pièces avec Athol Fugard, un grand nom du théâtre sud-africain. Ceux qui redoutaient l’omniprésence de John Kani et de son ego sur scène ont été agréablement surpris. Le monument s’est certes taillé un rôle sur mesure, mais la pièce, politiquement incorrecte, touche l’un des points névralgiques de la nouvelle Afrique du Sud : la fracture entre les militants anti-apartheid de  » « l’intérieur » « , ceux qui ne sont jamais partis, et les activistes qui ont passé de longues années d’exil en Grande-Bretagne, en URSS, en Zambie ou ailleurs, avant de rentrer au pays en 1990, après la libération de Nelson Mandela.
Le thème est particulièrement sensible, puisque le président Thabo Mbeki, le président, ancien étudiant de l’université du Sussex (Grande-Bretagne), soupçonné de mal connaître les réalités de son pays, est aussi accusé d’attiser la fracture en ne faisant confiance qu’à ceux de  » « l’extérieur » « , comme lui. L’intrigue met aux prises un père, un vieil homme de l’intérieur, et sa fille, une jeune sud-africaine londonienne aux dreadlocks blondes.
Musée de l’apartheid
John Kani n’a pas su attirer les mêmes foules dans un autre lieu de mémoire, sans doute le plus important, avec le musée Hector Peterson, à Soweto, à avoir été édifié depuis la fin de l’ancien régime. Le Musée de l’apartheid, dont il préside le conseil d’administration, a ouvert ses portes dans l’indifférence générale. Achevé et ouvert au public depuis novembre 2001, il n’a été inauguré qu’un an plus tard, sans tambours ni trompettes. La presse en a à peine parlé – sauf pour noter, en passant, le caractère tout juste  » « politiquement correct »  » de l’institution.
Sur la route de Soweto, au sSud de Johannesburg, le Musée de l’apartheid fait face au Casino et aux parc d’attractions de Gold Reef City. L’édifice a été  » « vendu »  » au gouvernement comme faisant partie de cet ensemble. Il représente le  » « volet social » « , quelque 80  millions de rands, d’un investissement bien plus important dans les jeux d’argent. Le résultat est paradoxal. Tout est fait, à l’intérieur du musée, pour faire ressentir l’apartheid au visiteur, plutôt que de lui expliquer froidement. Depuis l’entrée où on lui donne, sans considérer sa couleur de peau, un  » « pass »  » portant la mention  » « blanc »  » ou  » « noir » « , avec des tourniquets différents d’accès, jusqu’à la sortie, où il est invité à ajouter un galet blanc à un petit monticule placé sous un exemplaire de la nouvelle Constitution… ÀA la fin de la visite, encore bouleversé, le visiteur est saisi par les cris de joie et de terreur des clients de Gold Reef City – – des Sud-africains de toutes origines, plus nombreux à vouloir faire des montagnes russes qu’à ressasser le passé.
Festival à Newtown
Cette année encore, la culture promet de ne déranger personne, en ronronnant dans ses festivals. Comme tous les ans en février, le FNB Dance Umbrella a offert à Johannesburg sa programmation  » « politiquement correcte »  » (c’est-à-dire racialement équilibrée) de spectacles de danse. ÀA l’exception de Robyn Orlin, installée depuis deux ans à Berlin, tous les talents contemporains qui comptent sont noirs et au rendez-vous : Vincent Mantsoe, Moeketsi Koena, Sello Pesa, Gregory Maqoma.
Alors que Lle Cap se prépare pour son North Sea Jazz Festival annuel, le sommet culturel de l’année est attendu en juin à Grahamstown (Cap oriental). Playtime, un nouveau festival, se lance du 30 avril au 4 mai dans sa seconde édition. Tentée l’an dernier par Henri Vergon, chargé des arts plastiques à l’Institut français d’Afrique du Sud (Ifas) et fou de Johannesburg, l’expérience vise à animer le quartier culturel de Newtown, niché au cœoeur de la métropole. Depuis l’africanisation du centre-ville et la montée de la criminalité, le quartier fait peur. L’an dernier, le public s’est réconcilié avec Newtown pour la musique, lors des concerts, mais il n’y avait pas foule au Museum Africa pour voir des installations d’art contemporain. Cinéma en plein air, invitation au pique-nique et au débat… Loin du politique, du correct et de l’incorrect, pendant une semaine soufflera sur Newtown comme un petit vent frais de liberté.

///Article N° : 2878

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