« La communauté noire donne de meilleures images »

Entretien de Sabine Cessou avec Alf Kumalo

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Vétéran de la photographie de presse en Afrique du Sud, Alf Kumalo dispose toujours d’un bureau au quotidien The Star, à Johannesburg, bien qu’il n’y travaille plus. C’est là qu’il tente de trier cinquante années de travail. Deux grands formats surplombent son désordre personnel. L’un montre des chiens de policiers blancs qui menacent deux femmes noires en 1976, l’ombre du photographe se profilant au beau milieu de la scène. L’autre montre des passants dans les rues de Johannesburg. Elle a été prise le jour de l’assassinat de Martin Luther King, comme l’atteste une manchette de journal à moitié déchirée, sur une borne, en premier plan. Ce jour là, Alf Kumalo voulait participer au deuil à sa manière. Son objectif a transformé les passants noirs en manifestants.

L’apartheid vous a-t-il entravé dans votre travail ?
L’apartheid a été une bénédiction, du moins sous cet angle : un photographe devait tout faire, du sport, de la société, de l’architecture, des arts… On risquait souvent sa peau, c’est vrai. Lors des émeutes du 16 juin 1976, les étudiants m’ont volé mon appareil photo et ma montre. Ils ne voulaient pas que je les prenne, de peur que les photos ne paraissent et que la police ne les reconnaisse.
La fin de l’apartheid a-t-elle changé quelque chose dans votre démarche ?
Je prends des photos tout le temps. Je n’ai jamais pris autant de photos que le jour de l’investiture de Nelson Mandela. J’avais trois appareils. Je ne sais pas comment j’ai fait, j’étais très ému. C’était incroyable, extraordinaire, d’assister à ce changement. L’on m’a souvent demandé pourquoi je n’ai pas fait de politique. Pour moi, la photographie est politique. Elle est bien plus puissante que de simples paroles. Deux de mes photos ont permis la libération de deux prisonniers politiques.
A quoi travaillez-vous en ce moment ?
Trois projets : le lancement d’une école de photographie qui porte mon nom à Soweto, mon autobiographie et un travail sur le sida. Notre communauté a besoin d’un traitement de choc. Parce que les malades ont l’air normal, l’on pense que le sida n’est pas si terrible. Je vais faire des photos d’un garçon malade, Siswe Motaung, une star du football national. Il faut prendre des personnes que tout le monde savait fortes et qui sont maintenant finies.
Appartenez-vous à l’école de photographie de Sophiatown ?
Oui et non. Sophiatown n’était qu’un petit quartier, on en a fait une légende. Tout ce qui semble intelligent doit sortir de Sophiatown… C’est une distorsion totale de la réalité. Peter Magubane vient de ce quartier, mais moi, j’habitais à Alexandra, qui était le Soweto de l’époque.
La photographie contemporaine vous paraît-elle ségrégée, entre Noirs et Blancs ?
De plus en plus de Blancs s’intéressent aux Noirs. La communauté noire donne de meilleures images, elle est très photogénique. Un Noir qui travaillerait sur la communauté blanche, ce serait beaucoup plus difficile, à moins d’aller voir du côté des déshérités… Dans nos quartiers, c’est plus facile d’avoir de très bonnes photos. Si vous êtes créatif, vous pouvez tirer des images fortes de n’importe quel bidonville. Du point de vue de l’image, l’Afrique du Sud est très riche.

///Article N° : 1885

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