Hope, de Boris Lojkine

L'espoir, coûte que coûte

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Présenté à la Semaine de la critique à la 67ème édition du Festival de Cannes et en sortie le 28 janvier 2015 sur les écrans français, Hope joue à la fois le réalisme et la fiction pour offrir une vision encore jamais vue des règles implacables que doivent subir les migrants clandestins lors de leur périple vers l’Europe. Cf. également notre entretien avec le réalisateur : [article n°12283]

Des migrants dans le désert algérien qui s’aperçoivent que l’un d’entre eux est une femme. Quolibets. Des policiers algériens débarquent, les migrants s’enfuient, la femme est violée. Un migrant camerounais, Léonard, rebrousse chemin, la secourt. C’est le début d’une histoire d’espoir, du nom de cette Nigériane : Hope. C’est le début d’une histoire que l’on qualifierait d’amour si la dureté ne prenait le dessus. En situation de survie, même pour Léonard, le chacun pour soi prime sur les valeurs.
La survie, Boris Lojkine, qui vient du documentaire, la décrit comme personne ne l’a encore fait sur ce sujet, avec une certaine froideur anthropologique, dans toute la cruauté des règles du voyage clandestin : dans chaque ville, des maisons délabrées ou des appartements servent de ghettos-refuges par origine nationale, sous le pouvoir de pasteurs exploiteurs faisant la pluie et le beau temps des êtres et des âmes. Et partout, le mépris, les contrôles, les razzias. Et pour Hope, la prostitution comme unique destin.
Mais qui dit que l’amour est impossible en de telles circonstances où l’argent détermine tout rapport ? Sans doute faut-il se détacher d’une vision fleur bleue de la fusion : l’amour est avant tout l’intimité d’une relation, qui peut trouver sa singularité dans l’extrême et la crise. En cela, Hope se fait fiction pour affirmer que même si l’homme reste un loup pour l’homme, que s’il n’y a pas de happy end dans l’univers du drame, un appel à l’humain est présent, que certains peuvent encore saisir.
Fiction improbable certes d’un Camerounais se liant à une Nigériane sur la route, Hope propose sans le nier d’échapper à la seule noirceur d’un réalisme cru. Il n’en demeure pas moins un film-choc, destiné à remettre les pendules à l’heure, qui en rajoute sans le dire une couche sur le scandale et l’absurdité de la fermeture de frontières qui, justement parce qu’elles restent forcément poreuses, ne provoquent que trafics, drames et violence.
Tourné au Maroc sur les lieux de ce qu’il décrit, avec des acteurs recrutés sur le tas et jouant le plus souvent en se l’appropriant leur propre rôle, profitant d’une mise en scène sans fioritures mais s’aventurant parfois dans le rythme, les gros plans et les lumières du film d’action, maniant habilement les ellipses et sans voyeurisme sur la violence à l’œuvre, Hope réussit cette délicate alchimie de ne pas sombrer dans le pathos ou le misérabilisme tout en chatouillant les consciences. Sur les traces de Rêves d’or de Diego Quemada-Diez, il décrit une perte d’innocence face à l’implacable et l’insoutenable, tout en rendant à la délicatesse d’un regard ou d’un geste la force de restaurer ce soupçon d’espoir que semble nier le réel.
Comme ont pu l’être des films mettant en scène la participation africaine à la traite négrière, Hope sera peut-être encore soupçonné de déresponsabiliser les Occidentaux en mettant l’accent sur la violence des Africains envers eux-mêmes. La référence au vaudou risque-t-elle en outre d’accréditer les racines culturelles de cette violence, voire conforter le cliché si fréquent qu’elle serait dans les gènes ? Ce sont les risques d’oser aborder le réel sans fard, sans que ne soient évoqués les facteurs historiques qui génèrent la violence. Mais si Hope échappe à ce procès, c’est justement dans son approche fictionnelle qui rend aux personnages l’épaisseur humaine qui les distingue de phénomènes et du spectacle. Avec tout ce qu’elle doit endurer, le film aurait pu s’appeler Endurance, du nom de l’actrice qui incarne Hope. Mais alors que tout est sombre, le choix de ce titre centre sur l’essentiel, ce que Césaire appelait Les Armes miraculeuses : face à la négation de soi, l’homme humilié, esclavagisé, trouve dans la mise en place d’un rapport (artistique ou amoureux) la créativité qui lui permet de résister et restaurer sa dignité et son humanité. (1)

1. Cf. Les Armes miraculeuses – paroles, chants, poésie, littérature, rites et mémoires – Les Héritages vivants issus des mondes de l’esclavage, Africultures n° 98, L’Harmattan, juin 2014.///Article N° : 12284

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