Ralph Thamar : « Malavoi c’est l’Histoire de la Caraïbe »

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Malavoi est sans doute, avec Kassav, l’aventure la plus ambitieuse de la musique antillaise. Université musicale, pépinière de talents, le navire orchestre fête ses quarante ans.

Il suffit de fredonner La Case à Lucie ou La Guadeloupéenne pour se rendre compte que Malavoi représente un pan entier du patrimoine antillais. Ne fût-ce que par son nom, trouvé par un défunt membre du groupe, Jean Paul Soime : celui d’une variété de canne à sucre, belle et juteuse, importée d’Afrique du Nord. La petite histoire raconte que cette canne a été dévorée par les insectes de Martinique. Des anecdotes, des clins d’œil sociétaux, la saga de Malavoi en est truffée. Un des titres phares du groupe : Amelia a été écrit par un guitariste Fayçal Vinduc qui vendait ses chansons sur le bord du marché à Fort-de-France. « Ce sont des chroniques ordinaires de la vie du quartier » explique le chanteur historique de Malavoi, Ralph Thamar. « C’est une façon poétique de colporter les nouvelles, d’imager, propre à cette culture de l’oralité qu’est le créole. Ça permet de décrire l’évolution de ces sociétés, très jeunes, issues de l’esclavage, et de voir comment elles se sont forgées. » Comme le dit son successeur au sein du groupe, Pierre-Michel Gertrude alias Pipo, originaire du Marin, au sud de l’île : « Cette musique raconte l’Histoire du fin fond de la Martinique. Ça part de l’esclavage à l’éruption du Mont Pelée, jusqu’à présent. »
Pour célébrer ses quarante ans, Malavoi, autour des chanteurs Ralph Thamar, Tony Chasseur et Pipo Gertrude, s’est adjoint les services un orchestre symphonique. C’était le vœu du chef d’orchestre et arrangeur Paulo Rosine, décédé en 1993, qui a contribué à façonner le style Malavoi. « Il a amené un concept totalement innovant » rappelle Ralph Thamar. « Il y a eu des prémices avec les premiers orchestres populaires de la Martinique, des musiciens comme Stellio, Ernesto Léardée, Alphonso, qui incluaient déjà des violons, banjos, trombones et clarinettes. La Biguine est arrivée. Paulo a arrangé avec sa couleur ces chansons traditionnelles comme Ba moin un tibo.
Premières gammes
Tout commence dans les années soixante. Emmanuel « Mano » Césaire, neveu d’Aimé Césaire, qui habite le quartier les Terres-Saintville à Fort-de-France, prend des cours de violon avec le professeur Colette Frantz. En 1963, il forme avec ses camarades de quartier le groupe Les Merry Lads et anime des soirées dansantes. Il enregistre des disques sous son nom : Mano Césaire et la formation Malavoi. Il rencontre un tel succès qu’en 1969 il monte un véritable orchestre. À l’époque il y a quatre violons : Mano Césaire, Maurice Lagier, Christian de Négri et Jean Paul Soime. Un an plus tard, Ralph Thamar est engagé. Le groupe prend différentes formes. Paulo Rosine devient pianiste, parfois remplacé par Alain Jean-Marie. Beaucoup de musiciens y font leurs armes. En 1977, il y a une coupure de trois ans. Pendant ce temps, Paulo Rosine affine sa science de l’écriture et de l’arrangement. Dans les années quatre-vingt, il réécrit l’orchestration définitive du quatuor : trois violons et un violoncelle. Une touche très caractéristique et reconnaissable à l’oreille. « Paulo a fait évoluer l’orchestre vers une musique plus d’écoute que de danse, mais tout en gardant cette base biguine, mazurka, quadrille » analyse Ralph Thamar. « Dans la réalité de l’écriture, il y a une ouverture sur le jazz et une organisation proche des musiques savantes, classiques, occidentales. C’est ce qui donne cette couleur actuelle, magnifique et visionnaire. On est dans la Caraïbe, donc il y a aussi une influence latino-américaine : la charanga cubaine, la salsa de Porto Rico ».
Une école de rigueur
Laboratoire musical, Malavoi a toujours gardé un statut non commercial afin de préserver son esprit d’invention. C’est la raison pour laquelle Ralph Thamar s’absentera longtemps pour vivre sa carrière professionnelle. En 2006, il revient dans le groupe jusqu’à présent. Parmi les succès du chanteur à la voix de velours au côté de Malavoi, l’évocation d’une de ces compositions, Sidonie,fait pétiller son œil vif : »C’est l’histoire d’une jeune femme attirée par la fête et courtisée par les garçons. Elle doit faire le choix. Un garçon très épris d’elle aimerait la garder pour lui seul. Elle lui répond qu’elle préfère se prêter au jeu de l’amour au pluriel. Comme je dis dans la chanson Les Enfants du soleil : « Nous sommes les enfants de l’amour au pluriel. C’est très sociétal ! »
En 1992, le groupe culmine avec Matebis, un album concept avec une pléiade d’invités dont Beethova Obas, Kali, Jenny Alpha, Jocelyne Béroard et une certaine… Edith Lefel :

« Peu avant sa disparition, Paulo a voulu donner un éventail le plus large possible de la musique caribéenne francophone » se souvient Ralph Thamar. À l’époque j’étais le seul chanteur. Les femmes étaient peu présentes dans cette musique. Culturellement, ce n’était pas bien vu, même s’il y en a eu des marquantes comme Léona Gabriel, Moune de Rivel… Edith Lefel est venue avec un talent exceptionnel. On reconnaissait son timbre particulier. Paulo lui a écrit des arrangements sur mesure. On en garde un souvenir impérissable puisqu’elle a disparu. Un ange est passé…
À partir de 1987, Pipo Gertrude, chanteur de piano-bar biberonné par Salut les copains, intègre Malavoi. « Avant je chantais à la bonne franquette. Malavoi c’était la rigueur. J’ai appris à avoir une tenue sur scène, à concevoir et créer cette musique. J’ai appris à répertorier et présenter ces thèmes au public sur les grands phénomènes qui touchent ce pays si particulier. On a des tremblements de terre, des cyclones, des problèmes sociaux, des grèves… »
Peu après, Tony Chasseur, jeune chanteur issu de la scène Zouk, passé par un autre groupe emblématique, Fal Frett, participe à l’aventure pendant deux ans, au cours d’une tournée internationale : « Rentrer au sein de Malavoi c’était expérimenter in vivo le travail vocal que j’ai effectué en écoutant leurs albums. On a écumé les grandes scènes : un concert au Japon avec 250 000 personnes, l’Olympia, le Zénith… Ça m’a servi pour ma carrière. » En 2001, dans la lignée de Malavoi, il forme Mizikopeyi, le premier Big Band de la musique contemporaine antillaise. Comme par hasard, leur premier enregistrement est une reprise de Malavoi, Flé bo kay. Une manière de rendre hommage aux fondamentaux…

En savoir plus :
[http://httpviyerimanounblogf.unblog.fr/2009/08/01/la-naissance-de-malavoi-nou-ka-sonje-yo/]

///Article N° : 12067

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