L’Essor du Congo, pionnier de l’édition africaine (1928-1960)

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Dans ma critique du (Néo)colonialisme littéraire de Vivan Steemers, j’évoque quelques pistes associées à l’édition en Afrique. Je souligne aussi le problème posé par le schéma ternaire colonial/postcolonial/néocolonial.
L’édition en Afrique n’apparaît pas ex nihilo à partir des Indépendances et une élite intellectuelle était déjà présente et agissante dans de nombreux pays. Dans certains « encarts » des politiques coloniales, des « nationaux » participaient à l’émergence de textes littéraires bien avant les années 1960.
L’histoire littéraire africaine est sans cesse enrichie par de nouveaux travaux et pistes d’étude, qui élargissent le cadre restreint de « l’avant » (l’époque coloniale) et de « l’après » (l’Indépendance). Les références ne manquent plus : pensons à l’extraordinaire travail historique d’Albert Gérard (1) ou à des travaux plus orientés vers la production et la sociologie de la littérature comme ceux d’Henry Chakava (2), de Hans-Jürgen Lüsebrink (3) et plus récemment de Charles Djungu Simba (4) et de Pierre Fandio (5)…
Dans ce petit texte, tiré d’un article consacré à l’histoire du livre à Lubumbashi, j’évoque la singulière histoire d’un journal colonial du Katanga devenu éditeur, puis chantre de l’indépendance du Congo.

Le 8 mars 1928, Jean Sepulchre, un ancien administrateur colonial belge, fondait l’hebdomadaire L’Essor du Congoà Élisabethville(future Lubumbashi). Si L’Essor du Congo est souvent cité pour ses activités de presse, la société est cependant bien moins connue en tant que maison d’édition. Il est donc important de rappeler que les Éditions de L’Essor du Congo constitueront une des toutes premières entreprises éditoriales d’Afrique. L’Essor éditera des ouvrages avant la création de la Société Nationale d’Édition et de Diffusion (SNED), à Tunis (1961), ou que les Éditions CLÉ de Yaoundé (1963).
L’Essor du Congo profite, dès 1929, de la mise en place des premières linotypes d’Afrique Centrale (à l’Imprimerie belgo-congolaise de Lubumbashi) pour amorcer son activité d’éditeur. C’est alors le linotypiste Joseph Vroman qui en assure l’impression. Le premier ouvrage sort de presses, il s’agit de La politique des Missions Protestantes au Congo du père Jean-Félix de Hemptinne (alors vicaire apostolique du Katanga).
En mai 1931, à l’occasion de l’Exposition internationale d’Élisabethville, les Éditions de L’Essor du Congo publient un album, dans lequel figure notamment l’essai Perspectives sociales et politiques, de J.F. de Hemptinne.
Mais c’est véritablement la décennie 1940 qui représente un tournant éditorial pour L’Essor du Congo. À partir de 1945, plusieurs facteurs favorisent l’évolution de la presse et des publications au Congo Belge. Nous nous situons dans le contexte de la conférence de Brazzaville (6 février 1944), les ordonnances contraignantes de la presse sont abolies en 1946, et les syndicats professionnels pour les travailleurs congolais sont alors autorisés (émancipation du 10 mai 1946). Le taux de scolarisation progresse rapidement à cette période, avec une croissance annuelle de l’ordre de 6 % dès 1946.
Dans ce contexte, Antoine Rubbens publie Dettes de guerre en 1945 aux Éditions de L’Essor du Congo. Il s’agit d’une compilation d’articles parus entre 1944 et 1945 dans l’hebdomadaire éponyme. Ony trouve notamment deux textes de PlacideTempels : « La philosophie de la rébellion » (6) et « Le travail des prolétaires » (7) (des articles qui préfigurent le célèbre La Philosophie bantoue, édité en 1945 aux éditions Lovania d’Elisabethville, avant d’inaugurer le catalogue des éditions Présence Africaine en 1949).
L’Essor du Congo accroît ses activités à partir de 1945 : Jean Sepulchre, le fondateur, édite Gens et choses de l’Afrique du Sud, puis, en 1946, Pierre Romain Desfossés publie cinq nouvelles africaines « tirées d’un journal de route » sous le titre Dans les jardins de Cham.
Événement très important, la maison d’édition ouvrage alors son catalogue à des écrivains congolais. En 1947, Antoine-Roger Bolamba publie Premiers essais,recueil de poésies préfacé par Olivier de Bouveignes, en 1949, c’est un ouvrage sociologique que A.R. Bolamba édite : Les problèmes de l’évolution de la femme noire, suivi par Antoine Munongo et ses Pages d’histoire Yéké.
Au début des années 1950, Jean Sépulchre fait appel à son cousin, Marc Mikolajczak, pour le seconder à L’Essor du Congo.Léon Debertry publie en 1953 un roman intitulé Kitawala. En 1954, alors devenu directeur, Mikolajczak associe Évariste Kimba (8) aux activités de la maison, qui oriente son catalogue vers une édition rigoureusement politisée et tournée vers l’indépendance congolaise approchante. Seront édités successivement Propos sur le Congo politique de demain : autonomie et fédéralisme de Jean Sépulchre (1958) et Mes opinions sur les problèmes du Congo pré-indépendant d’Évariste Kimba (1960).
L’Indépendance du Congo, le 30 juin 1960, signifie la vente de la société à des Congolais qui changent son nom, après la séparation katangaise (11 juillet 1960) en L’Essor du Katanga à partir du 1er janvier 1961.
Si le journal continuera à être édité, la vente de la société signifie la fin des éditions de l’Essor du Congo, qui laissent derrière elles un catalogue ayant évolué d’une édition coloniale vers une édition locale et katangaise, de la religion vers la politique, sans ignorer le roman, la nouvelle, l’essai ou la poésie.

Lire également l’article [Le (néo)colonialisme littéraire]

1. Four African literatures: Xhosa – Sotho – Zulu – Amharic. Berkeley : University of California Press, 1971 ; Essais d’histoire littéraire africaine. Sherbrooke (Québec) : Editions Naaman, 1984 ; Littératures en langues africaines. Paris : Mentha, 1992.
2. Publishing in Africa: one man’s perspective. Chestnut Hill (MA): Bellagio Publishing Network Research and Information Center, in association with the Boston College, Center for International Higher Education, Nairobi East African Education Publishers, 1996
3. La conquête de l’espace colonial. Prises de parole et formes de participation d’écrivains et d’intellectuels africains à la presse à l’époque coloniale, 1900-1960. Frankfurt/Main/Québec : Verlag für Interkulturelle Kommunikation/Nota Bene, 2002.
4. « Les écrivains du Congo-Zaïre ». Metz : Littératures des mondes contemporains, série Afriques, n° 2, décembre 2007.
5. Les Lieux incertains du champ littéraire camerounais contemporain, Paris, L’Harmattan, 2012 ; Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2007.
6. [http://www.aequatoria.be/tempels/FTAfricanPhilFR.htm#III]
7. [http://www.aequatoria.be/tempels/FTAfricanPhilFR.htm#V]
8. Futur premier ministre de la République démocratique du Congo d’octobre à novembre 1965, sous la brève présidence de Joseph Kasa-Vubu.
///Article N° : 11237

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© Karthala





Un commentaire

  1. Hugo Kapenda Mutomb le

    Recherche sur l’assassinat de Kapenda François premier échevin noir du Katanga dans sa ferme de Mokambo

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