Adama Paris et la Dakar Fashion Week

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Adama Ndiaye, alias Adama Paris, fête cette année les dix ans de la Dakar Fashion Week. La styliste, dont l’atelier est basé à Dakar, s’attache depuis une décennie à désenclaver la mode africaine. Elle se lance dans un nouveau défi : celui de créer sa Black Fashion Week pendant les défilés haute-couture, cet été à Paris, la ville où elle a grandi. Elle revient sur la situation au Sénégal, et sur la perception de la mode africaine par les médias français.

Macky Sall a gagné les élections. Contente ?
Je n’ai pas voté pour Macky : j’ai voté contre Wade. L’ère Wade, et l’ère des présidents souverains, c’est fini. On a maintenant des garde-fous, comme les mouvements de jeunes, les Y’en a marristes. C’est devenu impossible de gouverner en patriarche. On ne vénère plus les présidents. Je n’ai jamais vécu ça, alors que j’ai voté trois fois : une fois pour Wade, et deux fois contre, en 2007 et 2012. Je suis fière de mon pays et de sa presse, qui a su rester libre.
Quelles priorités pour la culture ?
J’aimerais un ministre de la Culture véritablement intellectuel, concerné par les problèmes réellement culturels. On n’a pas d’infrastructures. Mais je suis une entrepreneuse, je suis pour l’initiative privée. Pour moi, cela ne me semble pas normal, au sens propre, que l’État me donne de l’argent pour faire la fashion week. Wade m’a aidée, une fois, à hauteur de 10 millions de francs CFA. Évidemment, je les ai pris ! Il m’a aidée paraît-il une seconde fois, mais je n’ai jamais vu la couleur de l’argent, qui a dû s’arrêter chez un de ses intermédiaires. L’aide de l’État ne doit pas être considérée comme obligatoire. Mais nous avons besoin d’une politique culturelle plus assumée, qui ne se cantonne pas au foot, au wango et à la lutte !
Française d’origine sénégalaise… Tu es fatiguée que l’on te demande toujours tes origines ?
Cela n’arrive qu’en France. En France quand je dis que je suis française, on me demande toujours « oui, mais de quelle origine ? » Cela n’arrive jamais aux États-Unis. On me présente comme française, basta. Et puis ici au Sénégal, j’ai le physique d’une Noire à toubab, c’est comme ça. À Dakar, tout le monde croyait que j’étais mariée à un riche toubab, alors que j’étais mariée à un Noir basketteur… Lors de mon premier défilé, mes mannequins parlaient de moi en wolof, croyant que je ne les comprenais pas. Les gens pensent que je ne suis pas sénégalaise. ». J’ai choqué, quand j’ai fait défiler les filles en maillot, ou quand une de mes mannequins a défilé avec le foulard mauritanien, mais avec un décolleté. Mais je suis globalement assez aimée. Les Sénégalais sont assez puritains, et je ne bois pas, ne fume pas, on ne me verra jamais dans les journaux à scandales…
Qu’est-ce qui t a conduit à créer la Dakar Fashion Week ?
Quand j’ai créé ma première Dakar Fashion Week, en 2001, la mode était accaparée par des stylistes de la vieille école. J’ai voulu introduire les concepts de communication, de marketing, de partenariats avec des télévisions comme Canal+. C’est ce qui a permis d’introduire un vent nouveau dans la mode à Dakar.
Mais tout cela est né d’une frustration : c’est en assistant aux défilés de mode que j’ai réalisé que personne n’était noir. Alors que des créateurs noirs talentueux, j’en connais 100 ! Après, on va me rétorquer que c’est une question de moyens, mais c’est faux ! C’est une question de copinage, de réseautage. Chaque année, la Paris Fashion Week invite un nouveau créateur. Prenons l’exemple de Julien Fournier. Il est plein de talent, c’est indiscutable. On l’a invité, il a explosé. Des Julien Fournier, j’en connais au moins dix. Mais ils sont Noirs. Iman Ayissi, Martial Tapolo, pour ne citer qu’eux, ont un talent fou, habitent depuis quinze ans en France, font de la haute-couture ! Cela vient peut-être du fait que je suis une Noire de France, ce besoin de voir des créateurs noirs, je ne sais pas.
Et puis, autre chose : il y en a marre de voir Burberrys, Gwen Stefani et autres arborer notre wax. Quand tu vois le prix auquel on vend ces pièces… C’est frustrant : je fais des maillots de bain en wax depuis 6 ou 7 ans. Je ne parle pas de l’aspect financier. Mais simplement, pourquoi ne pas regarder vers les stylistes qui connaissent notre culture ?
Tu organises la Black Fashion Week, en juillet à Paris. Qui sont vos partenaires ? Cela a été difficile à monter ?
Je ne vais pas mentir : ça a été très compliqué. C’est la deuxième fois que l’on reporte. Je voulais faire les choses en grand. On a, enfin, bouclé le budget de 300 000 euros. Il y a encore un an, tout le monde me disait que j’étais folle, et en particulier ma propre communauté, ici. On n’est jamais roi chez soi !
Une grande marque de cosmétique s’est présentée. Mais il ne s’agissait pas d’un partenariat, dans la mesure où elle ne m’offrait pas d’argent mais son expertise, et leur notoriété. Ses représentants m’ont dit « c’est quand même très communautaire votre projet ! » Évidemment, c’est communautaire, puisque cela répond à un manque : je n’ai rien à apporter à la Fashion Week de Paris, elle est déjà magnifique ! « Black », cela fait peur, cela semble péjoratif, cela renvoie à l’idée de négritude… Moi, je n’ai aucun problème avec ça. Je suis Noire, et alors ? Il a fallu composer avec ces choses-là. Et puis, pour en revenir au groupe que j’ai cité, il n’a pas répondu lorsque j’avais vraiment besoin d’aide, au tout début. J’ai préféré décliner. Je préfère travailler avec des gens qui me suivent depuis le départ et qui sont de la communauté. La BFW aura lieu en juillet, salle Cambon. J’ai invité des stars, Tyra Banks, plus de trente designers pendant trois jours… On met le paquet. L’an dernier, je l’ai organisée à Prague. D’ailleurs, les gens pensaient que cela avait été organisé par une Blanche soutenue par un Noir… On est des michetonneuses à vie ! Mais ces a priori me font rire. Contrairement à ma sœur jumelle, je n’ai jamais souffert du racisme, j’ai toujours fait ce que je voulais. En septembre 2012, ce sera à Montréal, puis au Brésil. Je suis très contente que les gens adhèrent. Et que des Africains m’appellent pour que j’organise leur fashion week, c’est vraiment gratifiant : Conakry, le Congo… Auparavant, ils ne faisaient pas appel à des Africains pour ce type d’événement.
Comment la mode africaine est-elle perçue en France, selon toi ?
Elle est inexistante. Les radars des modeuses ne sont pas en Afrique, et encore moins du côté des créateurs de mode noirs de France. Si on te voit défiler à New York, là on commence à t’écouter. Je ne suis pas dupe. Les choses sont plus faciles aux États-Unis. Comme styliste, j’ai pu habiller le rappeur 50 Cent lors d’une séance photos, pour le magazine Vibes. Là-bas, si l’on a envie de travailler avec un magazine, on peut envoyer son book pour que les rédactions jugent du travail, du sens artistique. Sur ces seuls critères, on te laisse ta chance. En France, c’est impossible. J’ai envoyé un nombre incalculable de demandes, mais les magazines français n’aiment pas que l’on vienne à eux. C’est une initiative très mal perçue en France. J’ai acquis un peu de notoriété grâce à Reuters, qui me suit depuis la fashion week de Johannesburg. C’est d’ailleurs lors de la Dakar Fashion Week que le photographe a obtenu le Prix World Press Photo. Cette photo correspond exactement à la vision que se fait l’Européen de l’Afrique : il a mené le mannequin dans le pire quartier de Dakar, dans le caniveau, alors que la Fashion Week était organisée dans un hôtel 5 étoiles !
Qu’as-tu pensé de l’article paru dans Elle, « Black Fashion Power », qui avait créé la polémique en début d’année ?
Je n’ai pas de rancune. Cet article, cela vient du fait que l’on ne se connaît pas assez. Je ne l’ai pas pris pour du racisme, mais pour de la bêtise. Une pauvre fille qui a fait un mauvais papier sur une prétendue mode de « bourgeoises noires ». Mais l’article a fait mal à beaucoup de monde. Il aura peut-être fallu cette polémique pour que les journalistes de mode apprennent à mieux nous connaître ? De ce point de vue, c’est très bien qu’elle, comme sa rédaction, se soit trompée : dire que Michelle Obama nous a ouvert les portes de la mode, quelle ignorance ! Je pense qu’Elle aime autant la mode que nous, donc lors de la Black Fashion Week, elles auront l’occasion de découvrir de nouveaux talents. J’espère que leur venue à la BFW ne sera pas une forme de rédemption. C’est juste une ouverture d’esprit à avoir. C’est triste à dire, mais dans la mode aussi, il faudrait une politique de quotas…
Tu es contre la « discrimination positive » ?
Non. Je suis triste qu’elle soit nécessaire. J’ai tout d’une Française, à part la couleur de ma peau. Mon travail, qu’il soit bon ou nul, devrait, seul, justifier du jugement que l’on me porte. Si les quotas n’avaient pas été imposés, le sport français ne serait pas là où il est… Mais j’aime la France. Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi Adama Paris comme pseudo. La France porte toutes les horreurs, mais les Français sont toujours les premiers à descendre dans la rue pour défendre les opprimés. Il y a Marine Le Pen, mais il y a ces Français qui contestent sans relâche ! Et puis, on ne critique que ce qu’on aime.

///Article N° : 10686

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Les images de l'article
Portrait d'Adama paris © Dorothée Thiénot





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