« Le chemin devant nous est bien long »

Entretien d'Olivier Barlet avec Ahmad Abdalla

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Lors du festival des cinémas d’Afrique du pays d’Apt, en novembre 2011, Ahmad Abdalla a présenté son film Microphone, participé à diverses tables rondes reproduites sur ce site et répondu à nos questions sur sa démarche de cinéma et la situation égyptienne.

Il est difficile pour nous, ici, de comprendre le rapport entre cinéma dominant et cinéma alternatif en Égypte, avant et après la révolution. C’est encore un peu trop tôt pour parler de l’après-révolution, mais comment cela se passait-il avant ? Vous avez recours à des comédiens et comédiennes célèbres dans vos films, tels que Khaled Abel Naga, qui est une star du cinéma dominant. Mais vous travaillez sans budget, créant un cinéma alternatif. Comment cela fonctionne-t-il ? C’est très différent de la situation en Tunisie, par exemple.
Eh bien, je suis un enfant du cinéma commercial, tout compte fait. J’ai travaillé comme monteur pendant huit à neuf ans, et j’ai monté une dizaine de longs-métrages. Huit ou neuf étaient des films purement commerciaux, des comédies musicales égyptiennes classiques. J’ai fait cela pendant des années, à l’intérieur du cinéma commercial, et j’ai pu observer l’étendue des dégâts parce que j’ai travaillé avec beaucoup de réalisateurs. Pour certains, il s’agissait de leurs premiers films, d’autres étaient très ambitieux cinématographiquement parlant. Mais ce qui se passait quand ils commençaient à préparer un scénario et sont allés voir un producteur – j’étais toujours impliqué dans le projet dès le début, donc je voyais les étapes par lesquelles ils passaient – ils donnaient le scénario au producteur, et le producteur décidait de modifier le scénario pour le rendre plus commercial. Ils se mettaient d’accord et puis ils allaient voir les stars. Et les stars voudraient modifier un peu le scénario pour mieux leur correspondre. Ils se mettaient d’accord, et puis au moment du tournage, ils modifiaient encore le scénario pour répondre aux critères économiques, et ils se mettaient d’accord. Puis ils arrivaient dans la salle de montage, et là tout le monde avait son avis. Dans le cinéma commercial, la star disait, « je n’aime pas mon visage dans ce plan, coupons-le », et en fin de compte, on découvrait que le projet ne ressemblait plus en rien au projet ambitieux du départ, non pas parce qu’on avait commencé en disant « je veux faire un film commercial bébête », non, on dirait « je veux faire un film sérieux, un bon film pour une fois, nous voulons tout changer et faire un bon film ». Mais ils acceptaient toutes ces étapes. Je pense que l’avantage que j’ai, ou qu’Ibrahim El Batout ou les autres réalisateurs indépendants ont, est que nous ne sommes pas obligés de passer par ces étapes. Nous terminons avec la même idée par laquelle nous avons commencé. Bien entendu, le film a pu subir un certain nombre de changements, mais ceux-ci restent en accord avec l’idée fondamentale du film. Cette approche d’un projet organique est très différente de celle de changer constamment le film pour satisfaire aux besoins du producteur ou de la star.
Est-ce que vous vous produisez vous-même pour ne pas avoir affaire à tous ces partenaires ?
Non, je ne me produis pas en fait ; peut-être qu’Ibrahim El Batout est davantage dans l’autoproduction. J’avais un producteur pour mon premier film, Heliopolis. Le budget était bien sûr tout petit ; le montant que le producteur a apporté au film est le genre de montant que je peux rassembler avec mes amis et collègues sur le film. Ce ne représentait pas beaucoup d’argent. Mais on a accepté de travailler avec un producteur parce que nous voulions pouvoir négocier avec les distributeurs et les salles. Lui était la garantie que le film s’en sortirait mieux plus tard sur le marché, grâce à ses connexions. Et c’est la première raison de travailler avec un producteur. C’était le même producteur qui a travaillé sur Ein Shams d’Ibrahim El Batout, avec un tout petit budget aussi. J’ai tourné Microphone, mon deuxième film, avec un autre producteur, le genre de gars qui fait deux ou trois films commerciaux par an et puis un film non commercial. Il aime équilibrer les deux et j’aime ce type parce que quand il fait un film commercial, c’est purement commercial, et quand il fait un projet sérieux, il ne s’en mêle pas, il laisse les gens travailler comme bon leur semble. Il intervient dans les projets commerciaux, bien entendu, afin de faire de l’argent, et il prend une partie des bénéfices pour les investir dans un film sérieux afin de donner un statut international à sa boîte et afin d’avoir une reconnaissance dans les festivals. Donc c’est un bon plan pour lui aussi. Et il était véritablement génial avec nous ; j’avais un peu peur de travailler pour la première fois avec un producteur commercial, mais j’ai vu que c’est un bon type et il sait que ce genre de projet n’a rien à voir avec les autres. C’est aussi simple que ça.
Vous avez travaillé d’abord comme monteur sur de nombreux films. C’est votre métier de formation ? Ou est-ce que le montage était un moyen pour vous de passer à la réalisation ?
Je suis autodidacte. J’ai appris tout seul à monter. Je n’ai pas fait d’école de cinéma parce que je n’ai pas réussi à y rentrer. En Égypte, nous n’avons qu’une école de cinéma, celle de l’État. C’est très classique. La plupart des grands réalisateurs sortent de cette école. Pour nous, pour tous les créateurs arabes, c’est là qu’on veut aller si l’on veut apprendre le cinéma. Mais ils ne prennent que huit élèves par an. Quand mon dossier a été rejeté, j’ai décidé d’étudier la musique. En même temps, le montage non-linéaire arrivait tout juste en Égypte et j’étais fou d’informatique. C’était en 1995-1996, et je voulais juste essayer d’installer une carte vidéo et de capter des images, et de m’amuser pour voir ce que ça donnait. C’était tout nouveau en Égypte. Personne ne connaissait ça. Même à Hollywood c’était la période de transition entre le montage linéaire avec les veilles bandes et le montage non-linéaire. Je parle de la vidéo, bien entendu, pas du cinéma. J’ai commencé avec un tout petit PC chez moi, et plein de réalisateurs de l’école de cinéma voulaient tester le montage non-linéaire pour la première fois. Donc ils venaient sans cesse me demander de monter leurs films. Ils étaient jeunes aussi, la plupart étaient des amis, donc je me suis entraîné et entraîné, apprenant tout seul le concept du montage pendant qu’eux, ils apprenaient le concept de la réalisation, ensemble, dans ma chambre dans ma maison familiale, petit à petit, jusqu’à ce qu’on commence à me connaître et des gens commençaient à venir exprès pour me demander de monter leurs courts-métrages. Un peu plus tard, j’ai commencé à monter des publicités à la télé, des choses comme ça, pendant un an ou deux. Puis j’ai eu mon premier boulot en tant que monteur sur un long-métrage en 2003. C’était un film commercial intitulé The Mediterranean Man. C’était mon premier boulot de monteur. Le film est sorti en 2003, mais je n’avais que 23 ans quand je travaillais sur le film et j’étais le monteur le plus jeune en 100 ans de cinéma égyptien. Et bien sûr cela m’a attiré pas mal d’ennuis avec le syndicat parce qu’il y avait beaucoup de monteurs qui craignaient que cette nouvelle génération de monteurs travaillant sur ordinateur foute en l’air leur existence, ce qui est effectivement ce qui s’est passé.
Il y a une différence assez marquée entre vos deux films : Heliopolis semble bien plus écrit et basé sur un vrai scénario, tandis que Microphone semble plus ouvert à toutes les voix qui passent par là.
En fait, non, Heliopolis n’était pas très écrit non plus. Le scénario ne faisait que 20 pages. Je n’ai pas écrit de dialogues. Mais il y avait des limites en termes de lieux de tournage et de lignes narratives. Cela imposait des contraintes ; nous savions où était le plafond. Et donc on savait dans quel cadre nous travaillions. Avec Microphone, il n’y avait pas de limites, donc nous avons continué à travailler en permanence. Je trouvais un groupe, je restais avec eux et tournais deux trois jours. Je trouvais un artiste, et le suivais deux jours. C’est comme ça qu’on a tourné Microphone. Il n’y avait pas d’idée prédéterminée. Heliopolis était plus écrit, mais écrit au sein des cinq histoires parallèles avec lesquelles nous travaillions.
Heliopolis est plus violent, Microphone plus hip-hop.
Oui, on peut dire ça. Heliopolis est un film très nostalgique, et Microphone ne l’est pas. À mon sens, si l’on veut comparer les deux, Heliopolis est un film qui essaye d’analyser ce qui se passe dans nos vies à partir de ce qui s’est passé durant les 60/70 dernières années, et comment nous en sommes arrivés là. Tandis que Microphone cherche à analyser ce qui se passe à l’heure actuelle, à partir de ce qui va se passer à l’avenir, de ce que nous espérons voir. C’est ça la grande différence. Je ne voulais pas être aussi nostalgique dans le deuxième projet ; je voulais faire avancer d’un pas le public.
Étiez-vous impliqué dans le mouvement Kefaya en 2005, dans les protestations de l’époque ?
Pas officiellement, mais j’ai participé à beaucoup de manifestations. Je ne voulais pas faire partie de telle ou telle organisation, mais j’ai participé à la plupart des manifestations Kefaya en 2005 et je travaillais avec une autre organisation qui s’appelle Shaifnco, une organisation de veille qui recense toutes les fraudes qui ont lieu durant les élections. Nous avons sillonné le pays pour observer tout ce qui se passait durant l’élection. C’était très violent en 2005/6 et il fallait qu’on recense cela, en filmant parfois, en prenant des photos, en constituant des disques durs de tout ce qui se passait, et je participais à cela. Et bien sûr j’avais mon blog en 2005/6. Le domaine des blogs était très restreint à l’époque en Égypte, il n’y en avait que 300 à 400, mais en même temps ils étaient très suivis. Avant Facebook et le reste, les gens visitaient nos blogs pour s’informer de ce qui se passait. J’ai même reçu un prix de Deutsche Welle, un prix allemand pour le meilleur blog arabe du monde à l’époque, c’était en 2008, presque trois ans après tous ces événements. J’ai toujours le blog, mais je ne poste plus avec autant d’emphase.
Ce que vous montrez dans Microphone et ce qu’Ibrahim El Batout montre dans Hawi, est la résistance des jeunes à travers la création, une manière artistique d’essayer de faire entendre leur voix. Est-ce que c’est spécifique à cette période ? Est-ce que c’était autant le cas avant, et est-ce que vos films se veulent de témoignage de cela ?
Pour être honnête, je ne considère pas ce film comme un film sur l’art ou sur la musique. Ce n’était pas mon premier souci quand je commençais à aborder la scène underground d’Alexandrie. Mon premier souci était de sentir l’expression des jeunes. C’est aussi simple que ça. C’est pour ça que je voulais inclure à tout prix les skateurs ; ce ne sont pas des artistes, mais ils veulent simplement vivre leur vie comme bon leur semble. Et ça, c’était la question, le débat dans le film, quand allons-nous pouvoir vivre notre vie comme nous l’entendons et à quel point la communauté et le gouvernement vont-ils intervenir pour nous en empêcher ? C’est aussi simple que ça.
Quel était, selon vous, l’objectif principal des jeunes en Égypte à l’époque ? De dépasser toutes les barrières dans leur vie ? Quel était leur rapport aux pays occidentaux et à leur culture ?
Je ne peux pas mettre toute la jeune génération dans le même panier, ni parler d’eux comme une entité homogène. C’est ça qui est génial en Égypte, qui est génial avec la révolution : chacun a sa manière de voir les choses. Chacun a son background, son héritage. Prenez par exemple les hip-hoppeurs ; ils ont une culture totalement différente des graffeurs en Égypte. À Londres ou à New York, les deux cultures sont plus ou moins connectées, mais pas du tout au Caire ou Alexandrie. La seule chose qu’ils ont en commun est le fait d’être sous la pression du gouvernement et de la communauté.
J’ai l’impression, d’après vos réponses, que vous voyez vos films comme une sorte de voix, mais une voix singulière qui ne représente pas tous les jeunes.
Oui, parce que je ne me vois pas comme leur voix. Le film s’appelle Microphone ; Microphone est juste un outil dont ils se servent ; ils ne s’expriment pas à travers moi. Je ne crois pas que le film parle pour eux non plus, car si on veut vraiment écouter, le film ne donne qu’un aperçu rapide de ce qui se passe là-bas. Si on veut savoir davantage sur eux, c’est comme un océan de cultures très profond avec plein de choses qui se passent. Pour moi, c’était comme la vision panoramique rapide que j’avais d’eux et je voulais juste qu’ils nous racontent leurs histoires, plutôt que de nous donner un point de vue conceptuel de comment ils souhaitent vivre leur vie. Je leur ai dit, racontez-moi une histoire qui reflète votre vie. Je trouvais que c’était le meilleur moyen d’aborder ça. Et ils ont fourni des histoires. Grâce à ces histoires, le public et moi pouvions entrer dans leur monde. Si on veut aller plus loin dans ce monde, c’est autre chose et je ne crois pas que le film Microphone propose cela.
Yousri Nasrallah intervient dans Microphone. La question de la formation, des pères, est présente, tout comme dans Hawi d’Ibrahim El Batout. Que pensez-vous de cette question de la transmission de l’expérience et du savoir ?
J’essayais simplement d’imiter quelque chose qui se passe à Alexandrie. Comme il est si difficile d’avoir une place dans l’école de cinéma égyptienne, de nombreuses organisations culturelles et ONG tentent de mettre en place des ateliers de formation. Donc on peut toujours trouver un atelier cinéma quelque part à Alexandrie ou ailleurs, et ils invitent habituellement nos grands réalisateurs à venir du Caire pour parler du cinéma. Et je voulais juste imiter ça et je ne pouvais trouver de meilleure figure que Yousri Nasrallah pour en parler, pour donner son point de vue sur le cinéma – je n’ai écrit aucun dialogue pour lui, bien entendu. Ses remarques pouvaient être plus ou moins sur la vie de réalisateur et en même temps sur le cinéma et je voulais jouer avec cela. Je ne voulais pas un cours aride sur l’écriture de scénario ou quoi que ce soit. Je voulais poser plein de questions et utiliser ces questions pour questionner, et pour me questionner pendant que je faisais le film ; je voulais jouer avec la question de la différence entre le documentaire et la fiction, puisque c’était la phrase de départ du film.
Quelles sont vos perspectives désormais ? Vous étiez en train de participer à un grand projet de collecte d’images de la place Tahrir ; cela continue-t-il ?
Ce ne sont pas mes images. Elles appartiennent au peuple et elles retourneront au peuple. Nous avons donné gratuitement la plupart des images que nous avons collectées aux chaînes câblées, aux stations de télévision de par le monde. Notre tente était la source de beaucoup des images que vous pouvez voir désormais sur l’internet ou dans des documentaires parce que nous avons continué à en donner aux gens quand ils ont coupé l’internet en Égypte. Nous avons fini de télécharger presque tout sur notre site www.thawramedia.com. N’importe qui peut télécharger les contenus du site, ou les regarder, les taggers, ou ajouter des informations. C’est notre but : rendre les images à ceux qui les ont prises.
L’accès est gratuit, vous ne demandez pas de paiement pour aider à financer le projet ?
Bien sûr que non. Après tout, ce n’était pas coûteux à réaliser. Nous avions notre tente à Tahrir dès le premier jour, donc on était là. Et je savais, quand on traversait le pont, pour se rendre à Tahrir le 28, c’était une journée tellement violente, ils nous ont littéralement bombardés de gaz lacrymogène, et l’image que j’ai encore en tête est qu’on était tous en larmes et pourtant, partout où tu regardais, quelqu’un avait une caméra. Et même si les gens avaient très mal, ils ont continué à lever la caméra, ils voulaient absolument filmer cela pour l’Histoire. Personne ne croyait qu’on allait gagner, mais on voulait enregistrer le fait que nous avions au moins essayé. Donc je me suis dit, tout le monde a des images, collectons-les et rendons-les pour que tout le monde puisse les voir. Je n’avais pas de caméra, même pas d’appareil photo sur moi durant ces 18 jours. Je n’ai même pas pris une seule photo avec mon portable. Donc c’était peut-être aussi ma manière de ne pas oublier ce qui s’est réellement passé. Ce n’était pas cher à mettre en place ; j’ai juste demandé aux amis de la tente s’ils pouvaient emmener un ordinateur. Nous avions quatre ordinateurs ; deux Mac, un PC, un Linux pour être sûrs que si quelqu’un arrivait avec n’importe quel système cela ne poserait pas de problème. Nous avions accès à un appartement à côté donc on pouvait monter recharger les ordinateurs et redescendre. Nous avions de nombreux lecteurs de cartes donc on pouvait lire n’importe quelle sorte de carte de n’importe quel appareil, et toutes sortes de câbles, des USB pour Samsung, etc., le Bluetooth, et nous avons collecté ; c’est comme ça que nous avons réussi à tout collecter. Plus tard, le seul coût qu’on a eu était l’achat d’un disque dur, ce qui n’est pas grand-chose, et nous avons tout sauvegardé sur disque dur externe. En tout, nous avons collecté 400 gigas de matériel. Et nous l’avons donné au peuple. Le site web est aussi un projet bénévole grâce à une compagnie qui crée des sites ; ils l’ont créé gratuitement parce que, durant la révolution, ils n’avaient pas de travail. La plupart de leurs sites, de leur activité, est dans le domaine de l’entertainment, donc personne n’allait sur leurs sites, donc ils avaient toute une équipe qui a créé notre site, Thawramedia. Ils ont créé un site avec des graphiques supers, c’est un site très efficace, et ils l’ont fait gratuitement parce que leur équipe était là, ils étaient déjà payés par leur boîte, donc nous avons eu beaucoup de chance que cette compagnie hautement professionnelle ait créé notre site.
Une dernière question concernant votre rôle dans le cinéma à présent. Vous faites partie d’une commission qui tente d’organiser l’existence du cinéma à travers des festivals, etc.
Nous faisons de notre mieux pour au moins sustenter le statut qu’avait le cinéma avant la révolution. Nous nous sommes dit que, si durant le régime Moubarak nous avions eu une activité cinématographique, il fallait au moins le maintenir. Qu’il ne fallait pas y mettre fin, même si elle était corrompue et même s’il y avait beaucoup à en redire ; il fallait le maintenir pour qu’on puisse commencer à la réformer de l’intérieur, en travaillant avec. Donc nous travaillons actuellement sur les festivals. L’essentiel pour l’instant est de rendre les festivals aux ONG ; si un individu ou une organisation souhaite organiser un festival, comme le festival de Caire, ils peuvent en formuler la demande et on peut leur attribuer la gestion s’ils ont le profil adéquat. Nous finançons aussi de nombreux festivals. Nous n’excédons pas 50 % du budget, donc s’ils veulent vraiment gérer un festival, ce n’est pas chose facile et ils doivent en avoir les compétences. Nous avons aussi un fonds de financement de films conséquent en Égypte. C’est un fonds gouvernemental. Je ne sais pas si on aura le même fonds l’année prochaine, parce que la situation du pays est très difficile actuellement, mais nous avons cet argent qui appartenait au ministère avant la révolution et qui était toujours là et il fallait qu’on trouve le moyen d’utiliser cet argent à nouveau. Le fonds permet de financer 7 longs-métrages également à la hauteur de jusqu’à 50 % du budget, et aussi 5 courts-métrages, 5 documentaires, et 5 films expérimentaux. Je ne peux pas y postuler, bien entendu, ni Yousri Nasrallah, ni les autres, comme nous sommes bénévoles jusqu’à ce que les élections aient lieu et que le pays soit à nouveau sur ses pieds.
Est-ce que vous comptez créer une nouvelle structure cinématographique ?
Ce n’est pas une nouvelle structure ; nous réformons le centre national de la cinématographie existant afin qu’il rende vraiment service à tous les réalisateurs. C’était très étatique, et donc très bureaucratique et c’était presque impossible d’en obtenir quelque chose d’utile en tant que réalisateur, surtout en tant que réalisateur non-syndiqué, ou si l’on ne sortait pas de l’école de cinéma gouvernementale. C’était donc accessible seulement à une toute petite minorité et cette minorité faisait tout pour en profiter tout seul. Désormais, c’est ouvert à tout le monde. On n’est plus obligé d’appartenir à une quelconque organisation cinématographique pour postuler pour le fonds. N’importe qui peut postuler ; le réalisateur n’est pas obligé d’avoir déjà réalisé un film non plus. Si on a un bon scénario, un projet solide, on peut obtenir le financement. Ça n’a aucun rapport avec son âge, son expérience, si l’on a travaillé avec le gouvernement avant ou pas. Toutes ces pratiques d’un autre temps sont complètement bannies. C’est ça que nous essayons de faire, de le rendre plus accessible au public, à la jeune génération de cinéastes, et surtout aux cinéastes indépendants parce qu’ils ont besoin de soutien. Nous avons des suites de montage, des caméras, nous pouvons proposer une aide logistique en plus des financements. Et nous pouvons les aider à postuler pour les festivals, à envoyer leurs copies, car même envoyer les DVD coûte cher. Nous tentons d’aider jusqu’à ce que la situation se clarifie.
Êtes-vous optimiste en ce qui concerne l’avenir de l’Égypte ?
Non, je ne suis pas optimiste, mais nous devons travailler. Je n’étais pas optimiste le 28 janvier non plus ; j’étais convaincu qu’on allait être vaincu. Quand on voyait le nombre de policiers dans la rue, le degré de violence qu’ils ont utilisé contre nous, je pensais qu’ils allaient nous vaincre dans l’espace de quelques heures. Mais en quelques heures, c’était eux qui se sont effondrés. Donc je ne fais pas confiance à mes sentiments non plus, mais je n’arrive toujours pas à être optimiste. Il me semble que la bataille devient bien plus rude à présent, surtout avec ce nouveau régime militaire. Et même si nous arrivons à se débarrasser de ce régime militaire, nous aurons une lutte encore plus raide avec les conservateurs, et comment on peut mettre fin à cette confiance facile que le peuple donne aux conservateurs plutôt qu’aux autres visions politiques. Le chemin devant nous est bien long.

///Article N° : 10578

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Les images de l'article
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Olivier Barlet, Farid Ismaïl et Ahmad Abdalla © Véro Martin
© Damien Tschantre
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