Un océan, deux mers, trois continents

Le sublime roman de Wilfried N’Sondé ou de la douloureuse beauté humaine

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En ligne, quelques informations sur cet homme : Antoine Emmanuel Nsaku Ne Vunda (Dom Antonio Manuel). Prêtre d’une grande humilité, il serait mort dans son royaume natal, le Kongo, après une vie qu’il aurait simplement consacrée à Dieu et aux humains. Mais, il était entré douloureusement dans l’Histoire quand, en 1604, le roi du Kongo, Alvaro II, avait décidé de l’envoyer à Rome comme son ambassadeur auprès du Pape Paul V. Son voyage fut un douloureux périple : parti de son royaume à bord d’un bateau transportant des esclaves, il se retrouva d’abord au Brésil, ensuite, sur l’océan en direction de l’Europe, il faillit perdre sa vie lors d’une attaque de pirates, mais il parvint à rejoindre l’Espagne où il vécut une autre facette de l’enfer. Ce ne fut que trois ans après avoir quitté le Kongo qu’il arriva à Rome, déjà durement éprouvé par tout ce qu’il avait enduré. Ainsi, malgré tous les soins que le Pape Paul V ordonna de lui prodiguer, il mourut le 6 janvier 1608. Il fut enseveli dans la Basilique Sainte-Marie-Majeure. Le pape fit réaliser, à son effigie, par le sculpteur Stefano Mademo, avec la collaboration de l’artiste Francesco Caporale, un buste en marbre noir. À la « Sala dei Corazzieri », au Palais du Quirinal à Rome, à côté du portait de 1615 de l’ambassadeur du Japon Hasekura Tsunenaga, l’on voit son portrait.

C’est de cette histoire, de la vraie, d’Antoine Emmanuel Nsaku Ne Vunda que s’empare Wilfried N’sondé, pour en faire un roman d’une grande beauté empreint d’une telle humanité ! Ce roman, Un océan, deux mers, trois continents, est un de ceux dont la lecture nous donne l’impression, durable, de nous être découvert nous même, d’avoir eu la chance d’écouter, au fil des pages, notre propre humanité. un de ces romans à propos duquel on a envie de dire à tout le monde : « lisez-le juste pour entendre mur murer votre cœur, pour vous réconcilier avec une part, peut-être endormie, de votre humanité ». En apparence, Wilfried N’sondé s’est montré d’une respectueuse fidélité à l’histoire du prêtre Antoine Emmanuel Nsaku Ne Vunda. Il nous fait suivre cet homme de ses terres natales, le royaume du Kongo (1) fondé par neuf femmes, neuf matriarches, jusqu’à la ville où il repose pour l’éternité depuis le 6 janvier 1608, Rome(2). mais, l’histoire, le romancier nous la fait raconter par le prêtre lui-même. tels sont ses premiers mots : « Je suis venu au monde vers l’an de grâce 1583 sous le nom de Nsaku Ne Vunda, et fut baptisé Dom Manuel le jour où l’évêque de l’Église catholique du royaume du Kongo m’ordonna prêtre. Aujourd’hui, on appelle ‘‘Nigrita’’ la statue de marbre érigée à mon effigie à Rome en janvier 1608 par les soins du pape Paul V. Je me suis tu il y a plus de 400 ans, mes mots sont perdus dans le silence de la mort mais, aux curieux qui s’arrêtent un instant devant mon buste, j’aimerais dire combien je regrette d’avoir été, au fil des siècles, réduit à la couleur qui jadis teintait ma peau. Je souhaiterais leur raconter mon histoire, parler de mes croyances, des légendes de mon peuples, évoquer la folie des hommes, leur grandeur et leur bassesse ». Et c’est ce que fait Antoine Emmanuel Nsaku Ne Vunda, à travers la plume de Wilfried N’sondé. littéralement habité par son héros, l’écrivain l’aide à nous livrer ce qui le rend si proche de nous. Antoine Emmanuel Nsaku Ne Vunda s’est retrouvé dans le chaos d’une humanité, celle de l’équipage d’un bateau et des « marchandises humaines » présentes dans sa cale. De ce chaos, il a échappé d’abord grâce à sa propre noblesse d’âme que les épreuves n’avaient pas altérée ; ensuite, grâce à l’amitié d’un jeune mousse, martin (dont nous préférons ici garder le secret essentiel). les deux nous offrent, témoins et victimes de la folie humaine, une leçon de résistance. ils semblent nous dire que même quand tout moralement bascule il y a encore et toujours la part divine de l’homme qui nous appelle, qui cherche en nous sa voie, qui peut avoir en nous une certaine résonance.

Un océan, deux mers, trois continents , un grand roman, fortement ancré dans les ombres et lumières d’une civilisation, d’une époque, au cœur de l’histoire d’un peuple, porté par le destin singulier d’un homme, un passé rendu avec une exceptionnelle justesse que cela en devient une fine autopsie du présent, tout en étant l’écho inéluctable du futur, car il s’agit surtout de l’humain avec son fond invariable défiant les impressionnantes théâtralités qui nous donnent l’impression que les époques changent. Ce que l’auteur a réussi à nous proposer avec ce texte, au-delà des pages à la fois sublimes et insoutenables sur le royaume du Kongo, sur le sort des esclaves et sur la cruauté de l’inquisition dans l’Espagne de cette époque-là, c’est surtout un voyage intime, un voyage dans les profondeurs troubles et troublantes de notre âme.

Nsaku Ne Vunda, dom Manuel, prêtre, toi mort en 1608, tu nous reviens, tu nous parles par la plume de ce garçon, Wilfried N’Sondé, né en 1968, tu l’habites, et vous deux, vous nous offrez ce chef-d’œuvre d’humanité. Que nous avez-vous rappelé ? La terre, l’océan, la mer : liens solides et liquides entre les humains, lieux de poétiques tumultes et d’éblouissantes tragédies où des âmes s’assombrissent, des cœurs se brisent, des humanités fléchissent, où les fragiles lueurs tentent de survivre en pleines bourrasques de la froide déraison. Que nous avez-vous raconté aussi ? Des chaînes, des fouets, la cale de bateau, des larmes, des cris, la mort, l’espoir, le désespoir, la révolte, l’amitié, Dieu, un cœur noble. Qu’avez-vous fait ? Une humaniste exploration des ténèbres et de la petite flamme qui résiste.

En vous écoutant, nombre des lecteurs verseront des larmes parfois, mais personne ne sera aveugle à la petite étoile que vous avez réussi à faire clignoter au cœur de la grande nuit. Et pour cela, l’on peut vous dire tout simplement Merci.

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