Événements

Jardin d’Amour
Une installation de Yinka Shonibare

Français

Editorial
par Germain Viatte – extrait du catalogue
La publication du Voyage autour du Monde de Louis Antoine de Bougainville date de 1771 ; Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot fut écrit en 1772, il circula des copies mais l’édition ne sortit qu’en 1795. Fragonard qui peignait au même moment pour le Pavillon de Madame du Barry à Louveciennes Les progrès de l’amour pouvait philosopher dans le brouillard comme les deux protagonistes du Supplément au voyage de Bougainville, A et B, sur « notre vieux domicile et ses habitants » : le goût changeant, il dût remballer ses toiles frivoles tandis que sa protectrice préférait s’adresser au peintre Joseph-Marie Vien dont les sages compositions à l’antique étaient plus au goût du jour…
Yinka Shonibare, MBE s’est glissé dans cette histoire de l’art et des idées ; avec son humour tout britannique il se plait à la subvertir. Au premier contact ces « conversation pieces » qui sont ici doublement dévoyées (par Fragonard et par Yinka Shonibare, MBE) font illusion : l’amateur y reconnaît des tableaux connus et le public un XVIIIe siècle de convenance, charmant, ardent et fastueux qui se perd dans les caresses d’un doux clair obscur d’ombrages civilisés. Mais les ambiguïtés sautent aux yeux malgré l’admirable précision du faire : les étoffes ont expérimenté la globalisation commerciale avant de s’identifier à la fantaisie africaine, et on comprend vite en observant les protagonistes que l’on perd aussi doublement la tête à ce jeu là…
Paradoxe de l’altérité que souligne le vieillard du Supplément au voyage de Bougainville: « Pleurez, malheureux Taïtiens ! mais que ce soit de l’arrivée, et non du départ de ces hommes ambitieux et méchants : un jour vous les connaîtrez mieux. Un jour, ils reviendront (…) vous enchaîner, vous égorger ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices ; un jour vous servirez sous eux, aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu’eux ».
L’anachronisme est d’autant plus troublant qu’il s’avère immuable. Yinka Shonibare, MBE le manipule avec esprit, sans agressivité, mais son œuvre a, insidieusement, la violence d’un froid réquisitoire. Yinka Shonibare, MBE est, qu’il le veuille ou non, ici et là-bas ; il a connu l’aisance de la haute société yorouba, et aussi la souffrance physique, et la difficulté de s’affirmer comme artiste britannique et international tout en étant noir, c’est-à-dire, pour les blancs, irrémédiablement autre. Le voici paradoxalement mais réellement MBE !
Irrémédiablement ? Le monde change, en effet, qui s’uniformise tout en recherchant ses sources vives. Les mannes de la richesse intellectuelle et financière ne sont plus seulement d’un seul bord.

En privilégiant les questionnements, le musée du quai Branly, souhaite rompre peu à peu les idées reçues quelles qu’elles soient, académiques, historiques, nationales, etc. La perception des artistes, leur capacité de subvertir les fausses évidences est fondamentale dans ce travail de déchiffrement. Il y a quelques mois, Romuald Hazoume, depuis Porto Novo, jetait son cri d’alarme par La Bouche du Roi ; Michael Parekowhai et Fiona Pardington proposaient leurs énigmes sur le destin maori sur les murs du musée, tout comme les artistes australiens d’origine aborigène nous mettaient au défi de pénétrer sous « la surface des choses ». Peut-être pouvons-nous, comme le pense A dans le Supplément au voyage de Bougainville, « prendre le froc du pays où l’on va et garder celui du pays où l’on est » ?
Germain Viatte

Présentation de l’installation

Pour sa deuxième exposition d’art contemporain, le musée du quai Branly accueille l’artiste londonien d’origine nigériane Yinka Shonibare, MBE avec un étonnant « Jardin d’amour » réalisé pour l’occasion. Cette installation s’inspire des jardins à la française et convie le public à s’engager dans un parcours dans lequel il va surprendre, en différents endroits, des couples d’amants issus des peintures de la suite des « Progrès de l’amour » peinte en 1770 – 1771 par Jean Honoré Fragonard pour le pavillon de Madame du Barry à Louveciennes (aujourd’hui conservés à la Frick Collection de New York). Pourtant, découvrant ces personnages vêtus de costumes aristocratiques d’époque, le visiteur réalise bientôt qu’ils sont réalisés dans des tissus africains (le « wax ») et qu’il en résulte un étrange malaise. Avec cette création, Yinka Shonibare, MBE poursuit sa réflexion sur l’identité et l’histoire mêlant de façon indissociable ses deux cultures d’appartenance.
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