Danses en création : une tournée prometteuse ?

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En novembre dernier ont eu lieu à Madagascar les 4èmes Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien. Les trois compagnies lauréates ont été invitées à se produire à travers la France durant deux mois.

Créées en 1995, les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien sont devenues un précieux tremplin pour les jeunes compagnies africaines de danse contemporaine. C’est en effet l’unique concours continental qui a les moyens de doter financièrement les lauréats ou encore d’organiser des tournées africaines et européennes. Initiée par l’association Afrique en Créations – qui dépend du ministère français des Affaires étrangères -, « Sanga », comme on dénomme désormais la manifestation, se tient depuis 1999 tous les deux ans dans la capitale malgache, Antananarivo.
Sa quatrième édition, en novembre dernier, était placée pour la première fois sous la direction artistique du chorégraphe burkinabé Salia Sanou, qui succède à la « grande prêtresse » de la danse africaine, la danseuse-chorégraphe sénégalaise Germaine Acogny. Plutôt que de donner aux compagnies primées, comme c’était le cas pour les éditions précédentes, une forte somme d’argent (entre 50 000 et 100 000 FF), qui n’était pas toujours utilisée judicieusement, Salia Sanou a proposé que des contrats de tournées remplacent les dotations financières. Lorsqu’on connaît la difficulté pour les artistes africains de diffuser leurs spectacles hors de leur pays (épineux problème qui empoisonne la création en Afrique), on mesure tout l’intérêt de cette recommandation. Qu’y a-t-il en effet de plus vital pour une jeune compagnie africaine que de pouvoir se faire connaître à l’extérieur de son pays et de s’inscrire dans un circuit professionnel ?
Un cru 2001 diversifié
C’est ainsi que les trois compagnies primées lors des dernières Rencontres ont débarqué début février à Paris pour deux mois de tournée française. Le palmarès du cru 2001 reflète bien la diversité de la jeune création chorégraphique sur le continent africain. Premier prix : les Sud-africains de l’Inzalo Dance & Theatre Company. Une danse virtuose, fortement inspirée de l’école américaine et sublimée par un habile jeu d’ombre et de lumière. « Same But Different« , chorégraphiée par Sello Pesa, évoque la dimension cyclique du temps à travers une reconstruction géométrique de l’espace. Trois danseurs, en pantalon de couleur et torse nu, affrontent une architecture mouvante lumineuse. Tour à tour, ils s’élancent, se heurtent, se portent, zigzaguent, s’isolent au gré des formes qui trouent soudain l’obscurité. Violence des structures, des contrastes, auxquels tente d’échapper la fluidité des corps. « Same But Different » n’affiche rien d’une esthétique particulièrement africaine, et pourtant, la pièce toute entière transpire l’Afrique du Sud.
Aux antipodes ou presque, on pourrait situer la création de la compagnie malgache Rary qui a obtenu le deuxième prix et le prix RFI Danse 2001. « Mpirahalahy Mianala » (qui signifie « Plusieurs qui forment un seul ») s’enracine indéniablement dans le vocabulaire des danses traditionnelles malgaches. Ce qui ne l’empêche pas de s’en affranchir pour mieux le réinventer. Refusant la voie facile de l’imitation du contemporain occidental ou du simple collage, le chorégraphe Ariry Andriamoratsiresy (cf notre entretien) a pris le temps de « façonner » une danse qui ne ressemble à nulle autre, dans laquelle se reflète le métissage entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe propre à la Grande Ile.
Une démarche qui n’est si éloignée de celle de la compagnie burkinabée Kongo Ba Teria, troisième prix. Dans « Vin Nem » (« La Lumière », en mooré), la chorégraphie de Lacina Coulibaly puise elle aussi dans le répertoire des danses traditionnelles nationales. Mais elle en reste davantage prisonnière, donne l’impression d’une écriture plus maladroite, moins personnelle hormis quelques temps forts – notamment au début de la pièce, très intense, lorsqu’un danseur, assis en tailleur au premier plan, s’acharne sur une bouteille d’eau en plastique vide. Hélas, le reste de la pièce s’effrite. Les tableaux s’enchaînent, sur fond de cora et de djembé, donnant à voir essentiellement la beauté sculpturale des corps. L’émotion cède le pas à la narration. Ainsi la scène finale, très spectaculaire, dans laquelle les danseurs se couvrent de farine apparaît-elle presque comme un effet d’exotisme…
Quoi qu’il en soit, les trois créations primées ne manquent pas d’intérêt. Elles témoignent tout aussi bien de la multiplicité des démarches que de l’indéniable créativité des jeunes chorégraphes africains.
Entre prestige et doutes
Elles ont d’ailleurs été plutôt bien accueillies par la critique et le public français, tout au long de la tournée organisée par l’AFAA (Association française d’action artistique, qui gère le programme Afrique en Créations). D’emblée, celle-ci a commencé sous le signe du prestige par trois représentations au Théâtre de Chaillot à Paris début février. On ne peut qu’applaudir à la volonté de sortir les créations africaines de leur ghetto. Peu importe que cette programmation ait semblé un peu parachutée en ce lieu : les jeunes compagnies lauréates ont su relever le défi de se produire sur cette scène difficile, immense, froide, chargée de références.
On s’interroge, en revanche, sur l’organisation d’un bal déplorable après la dernière représentation. Vacarme assourdissant dû à la résonance du hall du théâtre, entrées sur invitation qui faisait des autres personnes venues assister au spectacle des badauds interloqués, animation qui rappelait les « soirées de camping »… Cela heureusement n’a pas terni la fierté des danseurs de s’être produit sur cette scène. « Jamais je n’aurais pensé que Kongo Ba Teria danserait un jour ici, que l’on aurait une telle reconnaissance« , avouait Souleymane Badolo. Une consécration attendue et féconde, qui n’est pas le moindre des fruits de cette tournée. En se produisant sur une vingtaine de grandes scènes françaises, les lauréats des 4èmes Rencontres n’auront pas seulement gagné financièrement un cachet appréciable. Ils auront aussi acquis une précieuse reconnaissance européenne, qui par effet miroir, améliorera leur statut professionnel, une fois de retour dans leur pays.
Au terme de la tournée, tous se révélaient d’ailleurs pressés de rentrer chez eux, épuisés par cette expérience aussi enrichissante qu’éprouvante (voyages en bus durant deux mois, 20 représentations plus l’animation d’ateliers et le tournage d’un documentaire par la chaîne de télévision Arte* !). Aucun n’envisageait de s’installer durablement en Europe : « Il y a tant à faire chez nous. Pas question de déserter« , s’enflammait Moeketsi Koena, co-fondateur de l’Inzalo Dance et Theatre Company et auteur d’un extraordinaire solo « Solve 4 X« .
Et si l’on reste circonspect sur les suites concrètes de cette tournée de prestige, si l’on se demande pourquoi l’AFAA n’a pas missionné un tourneur déjà investi dans la danse africaine contemporaine afin qu’il reprenne le flambeau et poursuive sa démarche (ceci permettant à terme une certaine autonomie des compagnies), on ne peut toutefois que se réjouir de cette initiative de coopération culturelle. Tout comme l’Atelier du Monde qui se renouvellera cette année dans le cadre du festival Montpellier Danse, elle participe, dans les limites qui sont les siennes, à la professionnalisation et à la renommée des compagnies africaines.

* La date de sa diffusion, autour de septembre, n’est pas encore connue. ///Article N° : 2256

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Les images de l'article
Inzalo dance & Theatre Company © Marc Coudrais





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