Choc de cultures pour un ascenseur place Vittorio

D'Amara Lakhous

Un écrivain algérien de Rome
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Né à Alger en 1970 et d’origine kabyle, Amara Lakhous vit à Rome depuis 1995. Après des études en philosophie à l’Université d’Alger et une expérience de journaliste à la radio nationale algérienne arabophone, il part en Italie où, après avoir appris la langue de Dante, il poursuit des études en anthropologie culturelle et travaille pour une agence de presse italienne. Il vient de terminer sa thèse de doctorat à l’Université La Sapienza de Rome : « Vivre l’Islam en condition de minorité, la première génération d’immigrés arabes musulmans en Italie ».
Ce jeune Algérien naturalisé italien écrit ses livres en arabe et en italien. D’ailleurs il n’est pas le seul écrivain africain italophone ; de nombreux intellectuels d’origine africaine, asiatique et latino-américaine, implantés dans la Péninsule et issus pour la plupart de pays qui n’ont pas été colonisés par l’Italie (Brésil, Mexique, Palestine, Iran, Sénégal, etc.) y animent toute une littérature de l’immigration depuis au moins une quinzaine d’années.
Justement cette absence de lien direct entre l’histoire politique de leurs pays et une Italie aux frontières de l’Occident a favorisé à mon avis l’émergence d’auteurs étrangers italophone par amour de cette langue. Venant souvent de loin, ils ne se sentent pas moins proches de l’Italie, par leur expérience d’émigrants – partagée aussi par de nombreux Italiens d’il y a une génération -, la familiarité et l’empathie légendaires dans les rapports humains au Bel Paese qui s’est découvert brusquement pays d’accueil pour des immigrants de tous horizons.
Aux yeux des Nord-Africains, Rome est à mi-chemin entre leur patrie et les nations de l’ancien colonisateur, notamment France et Grande Bretagne. D’ailleurs le voyage romain d’Amara Lakhous, puis la « citoyenneté » romaine, suit les traces des intellectuels des provinces d’Afrique, la Numidie précisément, qui se rendaient dans la Ville éternelle pour se consacrer à une carrière politique ou littéraire. Amara Lakhous, comme tout Berbère à Rome, visite la prison Mamertine près du Capitole qui est témoin et lieu du martyre du roi africain Jugurtha, il y a environ 2100 ans. Mais ce même intérêt pour l’Italie que de nombreux intellectuels Égyptiens et Maghrébins expriment dans leur art est beaucoup moins évident parmi les intellectuels d’une ancienne colonie italienne, la Libye.
L’Italie multiculturelle, concentrée dans le quartier de Piazza Vittorio sur le mont Esquilin, entre la gare Termini et la cathédrale Saint Jean, au centre de Rome, est le décor du roman au titre quelque part provocateur : Scontro di civiltà per un ascensore a Piazza Vittorio (Conflit de civilisations pour un ascenseur à Piazza Vittorio). Sous forme de journal et divisé en treize parties auxquelles correspondent autant d’ « ululements » en guise de chapitres, ce roman représente avant tout le malaise de personnages immigrés de l’étranger – que l’on nomme confusément Extracomunitari ou bien « Marocains » et « Albanais » (même s’il s’agit d’Iraniens par exemple, fait remarquer l’auteur) – vis-à-vis des Italiens « autochtones ». Et tous ces étrangers, y inclus les Italiens immigrés d’autres régions de la Péninsule, sont égaux face à l’exil, la crise identitaire, la nostalgie et les regrets.
« Le problème est que l’estomac de ma mémoire n’a pas digéré tout ce que j’ai avalé avant de venir à Rome. La mémoire est exactement comme l’estomac. De temps en temps elle m’oblige à vomir. Je vomis les souvenirs du sang continuellement. Je souffre d’un ulcère à la mémoire. Y-a-t-il un remède ? Oui : l’ululement ! Auuuuh. » Dans son œuvre nous retrouvons de nombreuses réminiscences d’auteurs italiens (Alberto Moravia), arabes (Nagib Mahfouz), français (Louis Aragon) et francophones (Amin Malouf). Amara Lakhous synthétise finalement les civilisations qu’il a rencontrées dans son chemin d’Alger à Rome.

Scontro di civiltà per un ascensore a piazza Vittorio, Amara Lakhous (Rome, Editions E / O, 2006) et traduction chez Actes Sud (en lien)
Site de l’auteur : www.amaralakhous.com///Article N° : 8069

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